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Importation des “minerais de sang” : une réglementation trop coûteuse pour Trump

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Dans un projet de décret, Donald Trump propose de suspendre un texte de loi permettant de contrôler l’approvisionnement des entreprises américaines en minerais issus de zones de conflit. Une mesure peu efficace et trop chère, selon lui.

Dans la ligne directe de son credo, “l’Amérique d’abord”, Donald Trump compte remettre en cause l’une des mesures phares obtenue par Barack Obama. Dans un projet de décret obtenu par Reuters, le nouveau président américain propose une suspension de deux ans de la loi sur les minerais de conflit.

Plus précisément, de la disposition 1502 de la loi Dodd-Frank, qui impose à près de 1 200 sociétés cotées aux États-Unis d’informer la Securities and Exchange Commission (SEC), le gendarme de la bourse américaine, de leur utilisation des matières premières extraites dans la région africaine des Grands lacs.

Entrée en application en 2014, la section 1502 de la loi Dodd-Frank contribue à “briser ce qui relie les violations des droits humains en Afrique centrale aux produits de consommation comme les smartphones (…) en exigeant des entreprises qu’elles fassent preuve de transparence quant à la chaîne d’approvisionnement de leurs matériaux”, affirme Amnesty International dans un communiqué.

Millions de morts

Smartphones, bijoux, industries aéronautique et aérospatiale… Nombreux sont les débouchés possibles pour des minerais tels que l’or, le tungstène, l’étain ou le tantale (extrait du coltan). Depuis deux décennies, l’est de la République démocratique du Congo (RDC) est déchiré par les conflits, qui ont fait des millions de morts, et de nombreux belligérants tirent profit de l’exploitation de ces “minerais de sang”, dont la région regorge.

>> À lire : Minerais de conflit, un rapport dénonce le laxisme des entreprises américaines

Donald Trump, qui entend recentrer les dépenses des sociétés américaines dans le seul intérêt des États-Unis, reconnaît la situation mais s’inquiète surtout des frais qu’impose la mesure de transparence sur l’approvisionnement pour les entreprises. “La SEC a estimé en 2014 que les compagnies américaines seraient forcées d’encourir des coûts de mise en conformité de 3 à 4 milliards de dollars, suivis de 200 millions de dollars par an”. Il relaye ainsi les remontrances des grands milieux d’affaires américains, tels que l’Association nationale des industriels, qui estime que les mesures sont trop coûteuses ou trop lourdes à mettre en place.

“Assainir le marais”

Dans le projet de décret de Donald Trump, il est affirmé qu’il y a “de nombreuses preuves que les obligations d’information contenues dans la loi ont porté préjudice à certaines parties en RDC, contribuant à l’instabilité dans la région et menaçant la sécurité nationale américaine”. Le milliardaire propose plutôt une “approche ciblée” sur des entreprises spécifiques, connues pour leur implication dans le financement direct ou indirect des groupes armés dans la région. Les ONG de défense des droits de l’Homme redoutent l’apparition d’un “handicap concurrentiel” entre les entreprises transparentes sur leurs approvisionnements et celles qui ne le divulguent pas.

“Si l’administration Trump veut ‘assainir le marais’, cela n’a aucun sens d’affaiblir l’action des entreprises qui tentent d’empêcher l’enrichissement de malfrats aux pratiques abusives, lance Arvind Ganesan, directeur de la division Entreprises et droits humains à Human Rights Watch. De nombreuses entreprises de premier plan ont adopté la règle Dodd-Frank et prouvé qu’elle fonctionne.”

Le président américain promet qu’en cas de suspension de la loi, il chargera les secrétaires d’État et du Trésor de proposer un “plan alternatif” afin de “briser le lien” entre les acheteurs et les groupes armés. Ce à quoi Global Witness répond que le projet de décret, loin des aspects “humanitaires” qu’il entend revêtir, sera plutôt “un cadeau aux entreprises enclines à faires des affaires avec les criminels et les corrompus”.

Une mesure aux effets limités

Un collectif d’universitaires, journalistes et membres d’associations ont pointé les limites de la loi contre les minerais de conflit. Dans une lettre ouverte publiée en 2014, ils dénonçaient une mesure qui “par mégarde, incite les acheteurs du marché international à se retirer de la région pour trouver des minerais ailleurs”. Et ce, aux dépens d’une population travaillant dans les mines, qu’ils estiment de 8 à 10 millions de personnes, et se retrouvant alors sans ressources. Selon le collectif, les groupes armés ne dépendent pas des minerais pour exister, car ils peuvent compter sur une multitude d’autres trafics. Tout en reconnaissant la nécessité d’améliorer la transparence dans la chaine d’approvisionnement en matières premières, ils proposent une série de mesures plus concrètes, visant avant tout à améliorer la vie des Congolais. Autant d’aspects réels, mais nullement évoqués par Donald Trump.

>> À lire aussi : L’Afrique, cadet des soucis de Donald Trump

L’Union européenne, qui doit mettre en place en début d’année son propre système de contrôle sur l’approvisionnement de ces minerais par des entreprises du continent, a pris en compte ces faits, soulignant les impacts négatifs de la disposition 1502 sur l’économie congolaise et le travail de mineurs, les difficultés de mise en place d’un système de vérification, et la facilité de contourner cette loi.

L’institution reconnaît néanmoins l’intérêt de la loi Dodd-Frank, tout comme l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui a émis un guide sur le “devoir de diligence” pour des chaînes d’approvisionnement responsables de ces minerais. Human Rights Watch prévient qu’en cas de suspension de la règle de contrôle américaine, les États-Unis accuseraient un retard et un retour en arrière “sur l’échiquier mondial des efforts visant à mettre fin au commerce des minéraux issus de zones de conflit”.

Source: France 24

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