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L’échec de l’intervention française au Mali

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Les Soldats français (Barkhane)

Deux ans après la ratification de l’accord de paix, les islamistes ont gagné la bataille de l’opinion publique, face aux forces internationales présentes sur le terrain.

Janvier 2013 : François Hollande déploie en urgence l’opération Serval (qui deviendra l’opération Barkhane en août 2014) pour «arrêter la progression des groupes terroristes» et «aider le Mali à recouvrer son intégrité territoriale et sa souveraineté». Aujourd’hui, force est de constater que ces deux objectifs n’ont pas été atteints. Depuis la signature de l’accord pour la paix et la réconciliation, en juin 2015, la situation sécuritaire du Mali n’a cessé de se dégrader. Les «groupes armés signataires» (GAS) n’ont pas été désarmés, ce qui explique la prolifération du banditisme. Les violences intercommunautaires se sont multipliées, impliquant des communautés restées jusque-là en dehors du conflit. L’Etat malien n’a qu’une présence limitée, y compris dans les grandes villes, et les groupes armés prolifèrent faisant régner l’insécurité à quelques kilomètres de la capitale. De plus, les forces internationales, initialement déployées pour stabiliser le Nord, font face à une augmentation d’actes violents dans le centre du Mali. En conséquence, malgré l’appui financier au retour volontaire mis en place par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), peu de réfugiés acceptent de rentrer au Mali (1). Enfin, les trois principaux mouvements islamistes (Mujao, Ansar ed-Dine, Aqmi) se sont renforcés avant de s’allier au sein du Groupe pour le soutien de l’islam et des musulmans. Seule force nationale unie, ils gagnent du terrain dans les zones rurales, et progressent sur un plan politique et militaire.

Après une première opération d’envergure qui a permis de désorganiser militairement les mouvements islamistes, le passage à un travail de renseignement pour identifier et neutraliser les groupes radicaux s’est révélé délicat. L’armée française s’est donc, dans un premier temps, appuyée sur la délation des habitants et la collaboration avec certaines unités détachées du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) pour débusquer les caches d’armes des islamistes. De plus, comme souvent, l’installation d’une force étrangère a été propice aux délations intéressées comme en témoigne un commerçant de Tombouctou : «A partir de l’intervention française, il y a eu beaucoup de trahisons, de fausses accusations. Les gens allaient voir les Français pour leur dire qu’untel ou untel était un islamiste, c’était un moyen de régler ses histoires personnelles. C’était du n’importe quoi, tout le monde pouvait être accusé parce que quand les islamistes avaient le pouvoir, tout le monde a été obligé de collaborer avec eux.» Cependant, l’absence de protection et de soutien aux individus ayant collaboré avec les Français a découragé la coopération de la population locale (2). Un cadre du MNLA, à Kidal, s’exprime ainsi : «Les gens ne veulent plus aider les Français, tu vas faire des combats contre des islamistes, souvent tu tues des frères, et en échange tu n’as rien ! Après on te dit “vous aidez les kouffar [les “non-croyants”] et eux, ils ont fait quoi pour vous ?”»

Du point de vue des habitants du Nord-Mali, la présence des forces internationales a multiplié les tensions. D’abord, les méthodes d’arrestations de l’opération Barkhane font problème : les suspects sont directement transférés à Gao ou à Bamako sans communications avec leur famille : «On ne sait pas où Barkhane a envoyé nos gens, c’est comme si c’est des bandits qui vous prennent.» Ensuite, leur arrivée a coïncidé avec l’ethnicisation des groupes armés (rébellion ou milices pro-étatiques). En particulier, les opportunités financières et politiques qu’apportent les forces internationales via le processus de paix sont autant de raisons de créer un mouvement communautaire armé pour entrer dans le jeu de la redistribution. Pour un habitant de Kidal : «Ils essaient à travers les tribus d’avoir une part du gâteau et ils ont raison parce que tout le monde travaille encore dans cette logique, pour pouvoir avoir quelques officiers dans l’armée, quelques maires, quelques trucs, c’est pour avoir un poids.» De plus, dans un contexte de grande insécurité, le repli communautaire devient un moyen d’assurer sa survie au sein d’un réseau de solidarité familial où la trahison est rare. «Maintenant, chacun se prend en charge [chaque communauté], tous ces autres mouvements sont créés pour se protéger les uns des autres, pour avoir une entité qui te protège. Le Mali est un Etat où tu dois assurer ta propre survie, ta propre sécurité, ta propre aspirine.»

Face au chaos sécuritaire, la nostalgie de l’occupation islamiste fait surface chez certains, «il n’y avait aucun problème de sécurité, quand l’Etat est revenu le choc a été flagrant», commente un médecin qui exerçait à Tombouctou en 2012. En effet, la gouvernance islamiste a marqué les esprits, et pas toujours de façon négative. Eau et électricité gratuites, distributions alimentaires hebdomadaires, gratuité des soins à l’hôpital et des médicaments, financement des mariages religieux et suppression des taxes et des impôts. Un agriculteur de Tombouctou témoigne du système de transport mis en place par Aqmi, qui lui permettait de se rendre dans ses champs à moindre coût. Après s’être plainte de la condition de la femme sous l’occupation islamiste, une jeune fille d’Aguelhok affirme que «les islamistes ont fait plus de choses pour la population que le Mali». Un ex-combattant du MNLA résume : «Socialement, ils aident les gens mais le problème, c’est qu’ils t’obligent à faire des choses que tu ne veux pas faire.»

Porteur d’un projet de contre-Etat, les islamistes sont à peu de chose près les seuls à proposer, à travers le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, une idéologie qui dépasse les clivages intercommunautaires avec à sa tête un Touareg, un Arabe et un Peul (3). En zone rurale, ils constituent la seule force financière et sécuritaire crédible. D’une part, grâce à leurs activités liées au narcotrafic ou au terrorisme, ils bénéficient de revenus considérables. Un jeune Touareg du Nord l’explique en ces mots : «Si tu poses une mine, ils te donnent 100 000 FCFA [152 euros], si elle cause des dégâts, tu gagnes 400 000 FCFA [609 euros], c’est un moyen de financer un mariage (4) D’autre part, en contrepartie d’un travail de renseignements, ils donnent des armes, des téléphones et des voitures aux petites communautés rurales. Enfin, ils solidifient leur base sociale en assurant les besoins primaires de la population dans des zones qui n’ont jamais eu accès aux services publics élémentaires (écoles, centre de santé, eau, électricité).

En définitive, cette montée des islamistes signale l’échec sans appel de la stratégie militaire actuelle. Au moment où le gouvernement remet à plat l’ensemble des dossiers de défense, il est plus qu’urgent de réorienter radicalement la politique française au Mali, sauf à connaître le même échec qu’en Afghanistan.

(1) Le HCR relève une augmentation de 125 % de réfugiés et déplacés entre 2013 et 2015.
(2) En avril 2016, la commission des droits de l’homme du MNLA avait recensé plus de 150 assassinats ciblés suite à des dénonciations de «caches» d’islamistes à l’armée française.
(3) Iyad Ag Ghaly, ex-rebelle touareg (ex-leader d’Ansar ed-Dine), Amadou Koufa, prêcheur peul renommé (ex-leader du Mouvement peul pour la libération du Macina) et Djamel Okacha (émir d’Aqmi au Sahara).
(4) Le salaire minimum au Mali étant d’environ 32 000 FCFA.

 Denia Chebli Doctorante à Paris-I Panthéon-Sorbonne, membre du programme européen Social Dynamics of Civil Wars
L’échec l’intervention française Mali

Source: Liberation

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