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Suspension de la révision constitutionnelle : regards croisés

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Pour certains acteurs politiques et des spécialistes, il est préférable de continuer à appliquer l’Accord pour la paix et la réconciliation sans le référendum. D’autres pensent que l’on peut coupler le référendum et l’élection présidentielle. Il y a aussi ceux qui estiment qu’il faut aller à une constitution de transition pour construire une nouvelle République

Six jours près la décision du président de la République de surseoir à la révision constitutionnelle, le débat est loin d’être clos. Ce sujet très sensible continue d’alimenter les discussions dans la rue comme dans les bureaux. Les passes d’armes entre les partisans du « OUI » et ceux du « NON » ont duré pendant plusieurs semaines. Les deux camps n’ont pas raté une occasion pour essayer de prendre le dessus. Sur les antennes des radios et télévisions, sur les réseaux sociaux comme dans les journaux, ils se sont livrés à une guerre sans merci. C’est pourquoi après l’annonce du chef de l’Etat de retarder la réalisation de son projet, le temps de ratisser large à travers un « dialogue inclusif et dépassionné », les opposants au référendum ont crié victoire lors d’une manifestation organisée devant la Bourse de travail.

Au-delà, c’est tout le pays qui a poussé un ouf de soulagement car la situation était tellement tendue qu’on craignait le pire. D’ailleurs dans son adresse à la nation, le président de la République a indiqué avoir pris cette décision « parce qu’à l’heure où notre pays est confronté à tant de défis majeurs, on ne saurait ajouter aux périls existants ceux que font naître la mésentente, la polémique et le malentendu ».

Avec le sursis de la révision constitutionnelle, quel sort sera-t-il réservé à l’Accord pour la paix et la réconciliation? Un référendum est-t-il possible avant l’échéance de la présidentielle en 2018 ? Pour répondre à ces questions, nous avons approché certains politiques et professeurs d’université. Vice-président des Forces alternatives pour le Renouveau et l’Emergence (FARE ANKA WULI), Souleymane Koné estime qu’il n’y a pas de rapport entre l’Accord pour la paix et la réconciliation et le projet de révision constitutionnelle initié par le président de la République pour la simple raison qu’aucune disposition de ce projet ne prend en compte l’Accord de paix si ce n’est que la gestion des autorités traditionnelles dans le cadre de la création d’un Sénat. « Votre question sur le sort à réserver à l’Accord de paix après le sursis de la révision constitutionnelle n’a aucun sens car ce projet du président de la République n’a rien avoir avec cet Accord », a-t-il dit.

Sur la question de savoir si un référendum est possible avant l’élection présidentielle de 2018, l’opposant politique nous renvoie à l’article 118 de la constitution qui interdit toute révision constitutionnelle lorsque l’intégrité territoriale du pays est menacée. « Tout le monde sait que la situation du nord du pays ne permet pas d’organiser un référendum. En le faisant, c’est bon nombre de personnes qui ne vont pas voter. Il sera difficile d’accepter cela. C’est cet argument de l’opposition qui a d’ailleurs fait que beaucoup de Maliens sont sortis dans la rue pour s’opposer à ce projet », a expliqué Souleymane Koné. Toutefois, le premier vice-président de FARE ANKA WULI est d’accord qu’on peut organiser un référendum avant la présidentielle de 2018 si toutes les conditions sont réunies. « Tout le monde est conscient que la constitution actuelle a besoin de toilettage. Mais le référendum est une disposition constitutionnelle qu’on ne peut pas violer. A la différence du référendum, l’organisation d’une élection reste à l’appréciation du gouvernement. Qu’il s’agisse de l’élection présidentielle, des élections législatives ou municipales », a-t-il expliqué.

UNE DECISION TRES SAGE. Du côté du camp présidentiel, il est clair que la réforme constitutionnelle, initiée par le président de la République, a bel et bien un lien avec l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger. « Nous pensons que les deux sorts sont liés car certaines dispositions de l’Accord de paix mettent l’accent sur la réforme constitutionnelle, principalement la décentralisation ou la régionalisation approfondie », a indiqué Sory Ibrahima Kouriba, président du groupe parlementaire RPM (Rassemblement pour le Mali). L’élu de la nation pense que la décision du président de surseoir à la révision constitutionnelle ne peut, en aucun cas, mettre en péril l’Accord de paix. « En dehors de cette disposition qui parle de réforme constitutionnelle, la mise en oeuvre de l’Accord peut continuer. Il y a les autorités intérimaires; il y a la mise en place du Mécanisme opérationnel de coordination (MOC) », a-t-il dit, avant d’ajouter que la décision prise par le chef de l’Etat de surseoir à la révision constitutionnelle est « très sage ».

Par ailleurs, le président du groupe parlementaire RPM estime qu’il est bel et bien possible d’organiser un référendum avant l’élection présidentielle de 2018. Il a précisé que cela pourrait se faire au mois de novembre prochain.

Mais cette décision, a-t-il précisé, appartient au président de la République, initiateur du projet. Et le chef de l’Etat peut toujours compter sur les députés de la majorité pour que son projet passe.
Avocat et professeur de droit, Me Amadou Tiéoulé Diarra pense lui aussi qu’il est possible de mettre en oeuvre l’Accord de paix sans le référendum à partir du moment où certains aspects de l’Accord sont déjà en application, notamment la mise en place des Autorités intérimaires.

La loi relative à ces Autorités intérimaires a été votée par l’Assemblée nationale même si certains la trouvent anticonstitutionnelle. Par rapport à la faisabilité d’un référendum avant l’élection présidentielle, Me Amadou Tiéoulé Diarra estime que cela ne peut se réaliser que par consensus. « Pour ma part, il est possible de coupler la révision constitutionnelle et l’élection présidentielle et tout le monde doit faire en sorte que l’élection présidentielle puisse avoir lieu en 2018. Avec le chaos, le désordre, c’est la porte ouverture à l’incertitude. Nous devons donc faire preuve de maturité. On peut donc coupler cette élection avec le référendum », a-t-il proposé.

Par contre, Dr Fousseyni Doumbia, enseignant chercheur à la Faculté des sciences juridiques et politiques de Bamako, pense qu’il est dangereux de coupler le référendum et l’élection présidentielle. En le faisant, on va dégrader l’image de notre démocratie, a-t-il soutenu. « Le référendum est une votation qui met l’accent sur l’intérêt collectif alors qu’une élection est organisée pour permettre à un individu de décider au nom des électeurs. Donc en couplant le référendum et l’élection présidentielle, le caractère personnel va être déterminant plus que la cause collective qu’est le référendum », a-t-il analysé.

L’enseignant chercheur pense que si jamais il y a impossibilité pour le Mali de recourir aux textes existants pour sortir de la crise, il est impératif voire souhaitable de s’ouvrir à une constitution de transition à partir de laquelle le pays va définir de manière consensuelle toutes les solutions de sortie durable. « Dans cette hypothèse, la constitution sera mise entre parenthèse au profit d’une constitution de transition ou de sortie de crise qui va gérer la crise dans une période bien définie. Après la sorite de crise, notre pays pourra alors adopter une nouvelle constitution pour basculer dans une nouvelle République. Il faut admettre que la constitution actuelle a atteint ses limites. L’Accord pour la paix et la réconciliation a aussi atteint ses limites, c’est pourquoi il a du mal à être appliqué sur le terrain. Même le droit positif malien a atteint ses limites dans le règlement de la crise que le pays connaît. Or cette crise a trop duré, c’est pourquoi il est souhaitable de réunir l’ensemble des Maliens autour d’une solution consensuelle de sortie de crise par l’expérimentation d’une constitution de transition. Beaucoup de pays, à travers le monde, ont eu recours à cette mesure particulière pour sortir de leur crise », a-t-il développé.

Enfin, Dr Fousseyni Doumbia pense qu’il ne faut pas s’accrocher à un accord qui est tout le temps violé par ses signataires, précisément par les groupes armés à savoir la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) et la Plateforme.

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Madiba KEITA

Source: L’Essor

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