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Côte d’Ivoire : la campagne de tous les dangers pour le cacao

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Alors que s’est ouverte la campagne de commercialisation du cacao, la Côte d’Ivoire fait face à l’effondrement des cours en restructurant la filière et en luttant contre l’exportation clandestine vers le voisin et concurrent ghanéen.

Le 29 septembre, l’enthousiasme des premières éditions des Journées nationales du cacao et du chocolat (JNCC), instaurées en 2013 par le président Ouattara pour célébrer les performances du secteur, avait déserté l’auditorium de l’immeuble Caistab, situé dans le quartier du Plateau, à Abidjan.

Ce rendez-vous est devenu un rituel avant l’ouverture de la campagne de commercialisation du cacao, première source de devises du pays. Les planteurs, acheteurs et exportateurs venus assister aux JNCC n’ont pas caché leur inquiétude face à la chute du cours de l’or brun et à ses conséquences sur la filière ivoirienne.

Lambert Kouassi Konan, le président du Conseil café-cacao (CCC), ne les a pas rassurés en n’annonçant pas le prix bord champ payé aux cacaoculteurs. Une grande première depuis la mise en œuvre de la nouvelle réforme, en 2012.

S’accorder sur l’ajustement des prix

En coulisses, le chef de l’État ivoirien et son homologue ghanéen Nana Akufo-Addo tentaient d’harmoniser leurs politiques tarifaires. À eux deux, la Côte d’Ivoire et le Ghana représentent plus de 60 % de la production mondiale, estimée à 4,7 millions de tonnes en 2016-2017 – 40 % pour le premier et 20 % pour le second –, en hausse de 18 % sur un an.

Les cultivateur ivoiriens sont payés 700 F CFA le kilogramme de cacao, contre 1000 F CFA il y a un an.

« La situation était délicate et inédite. La Côte d’Ivoire ne pouvait pas prendre le risque de fixer un prix sans discuter au préalable avec le voisin ghanéen, de peur de voir une bonne partie de sa récolte vendue en contrebande au Ghana », confie un membre du gouvernement ivoirien.

Les cultivateurs ivoiriens défavorisés

Un effort en partie vain. Si l’écart entre les deux pays est moins important que l’an dernier, il demeure substantiel. En octobre, la Côte d’Ivoire a finalement fixé son prix au même niveau que lors de la dernière campagne intermédiaire, à 700 F CFA (1 euro) le kilogramme de cacao, alors que le Ghana offre actuellement 960 F CFA à ses producteurs. Grosse perte pour les agriculteurs ivoiriens, qui recevaient 1 100 F cfa en octobre 2016.

Le mécanisme de fixation des prix d’achat aux cultivateurs de cacao est le cœur de la réforme de 2012. L’objectif est de leur garantir l’équivalent de 60 % des cours internationaux. Le Conseil café-cacao pilote le processus mais le dernier mot revient au gouvernement, et surtout au chef de l’État, Alassane Ouattara.

Le Conseil café-cacao est à sec

En l’état, les finances du CCC ne permettaient pas d’aller au-delà des 700 F CFA, et le gouvernement a renoncé à utiliser le fonds de réserve et de stabilisation, placé sous séquestre à l’agence de la Banque centrale d’Abidjan. Au dernier pointage, à la fin de décembre 2016, il affichait un solde de 170 milliards de F CFA, selon le gouvernement.

Cette réserve est constituée à partir des 20 % de la récolte vendus sur le marché spot (vente instantanée) au cours de la campagne intermédiaire, qui se déroule entre le mois d’avril et la fin de septembre. « Il n’y a pas assez d’informations sur le fonds de réserve.

Le gouvernement ne communique pas beaucoup sur son fonctionnement et sa possible utilisation. Pour porter le prix payé au producteur à 1 000 F CFA le kg, il faudrait 300 milliards de F CFA, alors que la disponibilité du fonds de réserve ne dépasse pas 200 milliards de F CFA », confie un connaisseur de la filière.

L’État se serre la ceinture

L’heure est à l’austérité. « Si l’on tenait compte des cours mondiaux, en respectant la norme de 60 % au producteur, le gouvernement se serait situé entre 600 et 675 F CFA », explique la même source, précisant que l’État a renoncé à une partie de la fiscalité applicable sur les exportations, notamment la taxe d’enregistrement qui représentait environ 5 % du prix CAF (coût, assurance et fret).

En 2017, le budget a été amputé d’environ 210 milliards de F CFA en raison de la crise du cacao.

Un manque à gagner supplémentaire estimé à 80 milliards de F CFA pour l’État, qui a déjà subi en raison de la chute du cours en début d’année 130 milliards de F CFA de moins-perçu au titre du droit unique de sortie (DUS), la principale taxe à l’exportation.

Pas de hausse avant six mois

En 2017, le budget a été amputé d’environ 210 milliards de F CFA en raison de la crise du cacao. La campagne commencée en octobre s’annonce donc à haut risque pour le gouvernement, car les cours ne devraient pas connaître de hausse significative avant la fin de l’année.

La tonne de cacao se négocie autour de 1 600 livres (1 800 euros), contre plus de 2 300 livres au 1er août 2016. Selon les statistiques de l’Organisation internationale du cacao (Icco), les stocks mondiaux à la fin de la campagne écoulée atteignaient au mois d’août 1 782 000 t, en hausse de 382 000 t comparativement à la fin de campagne 2015-2016. Le cours du cacao ne devrait pas franchir la barre des 1 800 livres avant six mois.

Augmentation de la contrebande

Pour nombre de cacaoculteurs ivoiriens et acteurs de la filière, la solution pour maintenir leurs revenus consistera à passer en contrebande leurs récoltes vers le Ghana. Le phénomène n’est pas nouveau mais pourrait encore s’aggraver. « Nous craignons une disparition des coopératives qui ne peuvent rien collecter auprès de leurs membres », a expliqué Bredou Kadjo, responsable de coopérative dans la ville d’Abengourou, dans l’est du pays, non loin de la frontière avec le Ghana.

Les complicités entre les contrebandiers et toute la chaîne de commandement des forces de sécurité sont nombreuses.

Selon des estimations, la Côte d’Ivoire craint de perdre environ 400 000 t de sa récolte au profit du Ghana. L’impact sur les recettes publiques sera encore une fois important. Simplement pour la campagne intermédiaire (de janvier à avril), ce sont 100 000 t qui ont franchi la frontière.

Surveillance aux frontières

Sentant le péril, plusieurs exportateurs ont déclaré « zone rouge » les régions de production depuis Aboisso dans le Sud-Est jusqu’à Bondoukou dans l’Est, et ont réduit les préfinancements au profit des acheteurs et des coopératives. Le CCC a entrepris à la fin du mois d’octobre une tournée de sensibilisation dans les villes frontalières avec le Ghana.

Des comités de surveillance incluant les responsables de coopérative ont été institués pour monter la garde tout le long de la frontière. Les autorités administratives ont décidé de supprimer les magasins de stockage dans les zones frontalières, et, enfin, les forces de l’ordre verront leurs moyens de locomotion renforcés et seront dotées d’équipements de pointe afin d’accroître les patrouilles.

Mais l’efficacité de ces mesures reste à démontrer, car les complicités entre les contrebandiers et toute la chaîne de commandement des forces de sécurité sont nombreuses.

Dysfonctionnements au sein du CCC

En attendant, Yves Koné, le nouveau directeur général du CCC, qui a pris ses fonctions au début du mois d’août, tente d’apporter un souffle nouveau à une filière très affaiblie. La dernière campagne, terminée le 30 septembre, a coûté très cher au CCC. Le conseil a notamment dû pallier les défauts de plusieurs exportateurs, qui n’avaient pas pu vendre leurs contrats, pour un stock qui aurait atteint 400 000 t, soit environ 20 % de la production nationale.

« Les pertes du CCC étaient de deux ordres. Il y a eu la crise des défauts due à certains petits intermédiaires, dont le CCC a revendu avec une décote de 600 F CFA les contrats acquis généralement autour de 1 800 F CFA. Et aussi le soutien aux exportateurs pour qu’ils continuent de payer le cacao aux paysans », estime une source au CCC.

Vendre avant la récolte

Le 29 septembre, après des mois de silence, le conseil, par la voix de son président, a reconnu pour la première fois les dysfonctionnements de la filière. Les pertes du gendarme du secteur sont estimées à environ 283 milliards de F CFA. Dans le viseur des acteurs du cacao, Massandjé Touré-Litsé, directrice générale depuis la création du CCC, en 2012, jusqu’à son limogeage, le 1er août. Il lui est reproché un manque de transparence dans la gestion des contrats. La crise actuelle a révélé la vulnérabilité du système de vente par anticipation.

Afin de participer aux enchères, les négociants doivent fournir les contrats déjà conclus avec leurs clients.

Pour limiter la spéculation, l’État a décidé il y a cinq ans d’imposer la commercialisation de 80 % de la récolte avant même son démarrage. Afin de participer aux enchères, les négociants doivent fournir les contrats déjà conclus avec leurs clients. Portée par un cours du cacao à la hausse, la nouvelle organisation a correctement fonctionné les premières années. Mais avec la baisse du prix de l’or brun, il est apparu que certains acheteurs, pour maximiser leurs profits, présentaient de fausses promesses et avaient omis de s’assurer contre les fluctuations du marché mondial.

Rigueur et contrôle

Dès sa prise de fonctions, Yves Koné a apporté plus de rigueur à la gestion des contrats. La première mesure a été le renforcement du contrôle de la solidité des entreprises. Le CCC exige une preuve de la capacité financière et une garantie bancaire de 200 millions de F CFA. Les sociétés qui participent aux enchères doivent prouver une existence de dix ans dans le négoce du cacao.

Les résultats de la nouvelle politique de transformation ont déjà permis à la Côte d’Ivoire de devenir le leader mondial du broyage

« Il y a un projet en cours pour accorder des agréments aux contreparties, et recruter une société dont la mission sera d’analyser la crédibilité et les capacités opérationnelles et financières de celles-ci », révèle une source à la direction du CCC, en ajoutant que cela permettra de minimiser les défauts de contrats, qui ne sont pas à exclure.

Redonner confiance

L’actuel directeur général a hérité d’une situation catastrophique. Aujourd’hui, l’ambition est de stabiliser le secteur par une gestion transparente du système de contrats de vente afin d’éviter la spéculation. L’attribution des agréments d’exportation, précieux sésame pour débloquer les contrats, a été plus stricte au cours de cette campagne. Un peu plus de 70 coopératives et sociétés ont obtenu l’agrément, contre 93 l’année dernière.

Pour l’heure, Yves Koné bénéficie de la confiance du Premier ministre, Amadou Gon Coulibaly, qui lui laisse les mains libres malgré la réactivation du Comité interministériel des matières premières par le chef de l’État, Alassane Ouattara. Près de deux mois après le démarrage de la campagne, les banquiers affichent une grande prudence. Les prêteurs sont devenus frileux, au point de limiter les prêts et les crédits de campagne à de nombreuses sociétés d’exportation de petite envergure.

Transformation sur place

Pour être à l’abri de la fluctuation des cours, le gouvernement a lancé un programme de transformation des fèves sur place. Sept sociétés ont déjà signé avec l’État ivoirien des contrats d’engagement de transformation. La capacité de broyage locale, estimée à 550 000 t, devra, pour respecter les objectifs du gouvernement, être portée à 900 000 t à l’horizon 2020.

Afin d’y inciter les multinationales et les sociétés ivoiriennes, des avantages fiscaux ont été accordés. Et les résultats de cette politique ont déjà permis à la Côte d’Ivoire, selon les statistiques de l’Icco, de devenir le leader mondial du broyage, devant l’Indonésie (420 000 t), le Brésil (228 000 t), la Malaisie (220 000 t) et son voisin le Ghana (220 000 t).


Yves Koné positionne ses hommes

Le nouveau directeur général du Conseil café-cacao (CCC) n’aura pas attendu longtemps pour tourner la page Massandjé Touré-Litsé.

Le 16 novembre, le Conseil des ministres a validé deux changements parmi ses directeurs généraux adjoints. Djibril Fadiga, chargé des statistiques et de la commercialisation, a été remplacé par Lamine Claude Bamba, un ancien d’Archer Daniels Midland et d’Olam, tandis qu’Édouard N’guessan, jusque-là chargé de la commercialisation intérieure, a été remplacé par l’ingénieur agronome Koffi N’Goran

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Source: Jeune Afrique

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