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Commission Vérité, Justice et Réconciliation : A pied d’œuvre

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Etape par étape, cet instrument idéal de catharsis pour la nation trace sa voie

Dans l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger signé à Bamako il y a bientôt trois ans, il est accordé une place de choix à la réconciliation, à la justice et aux questions humanitaires.
Pour être encore plus précis, l’article 46 du texte stipule que «les parties conviennent de promouvoir une véritable réconciliation nationale fondée sur un certain nombre d’éléments». La mise en place de mécanismes de justice transitionnelle, notamment par l’opérationnalisation de la Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR), y figure en bonne place.

Ainsi, le gouvernement a, par ordonnance n° 2014-003/P-RM du 14 janvier 2014, ratifiée par la loi n°2014-001 du 7 avril 2014, créé la Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR).

Le président de la Commission a été nommé par décret en date du 10 septembre 2015, les 14 premiers commissaires dont les deux vice-présidents par un décret du 20 octobre de la même année, et les 10 derniers commissaires par un décret du 9 juin 2016. C’est l’ancien ministre et non moins ancien directeur de l’Ecole nationale d’administration (ENA), Ousmane Oumarou Sidibé qui est aux manettes de la structure qu’il conduit, certes dans une discrétion somme toute relative, mais avec méthode.

Afin d’éclairer la lanterne de l’opinion sur les missions et le travail abattu par la CVJR un peu plus de deux ans après sa création, nous avons eu un entretien avec son expérimenté président. Lors de nos échanges, Ousmane Oumarou Sidibé a abordé également les défis et les contraintes de la CVJR.

Selon Ousmane Oumarou Sidibé, aux termes de l’article 2 de l’ordonnance mentionnée plus haut, la CVJR a pour mission de «contribuer à l’instauration d’une paix durable à travers la recherche de la vérité, la réconciliation et la consolidation de l’unité nationale et des valeurs démocratiques».

A ce titre, développe M. Sidibé, elle est chargée d’enquêter sur les cas de violations graves des droits de l’homme individuelles et/ou collectives commises dans le pays, et spécifiquement celles commises à l’égard des femmes et des enfants ; de mener des enquêtes sur les cas d’atteinte à la mémoire individuelle et/ou collective et au patrimoine culturel ; d’établir la vérité sur les violations graves des droits de l’homme et les atteintes aux biens culturels ci-dessus cités, en situer les responsabilités, et proposer des mesures de réparation ou de restauration ; de créer les conditions de retour et de réinsertion sociale des personnes réfugiées et déplacées.

PROMOUVOIR LE DIALOGUE ENTRE LES COMMUNAUTES. Et notre interlocuteur d’ajouter que la CVJR est également chargée de favoriser le dialogue intra et inter-communautaire, la coexistence pacifique entre les populations, et le dialogue entre l’Etat et les populations ; de promouvoir auprès des communautés le respect de l’Etat de droit, des valeurs républicaines, démocratiques, socioculturelles et du droit à la différence  ainsi que de faire des recommandations dans le domaine de la prévention des conflits.

Aux dires de l’ancien ministre, la prise de dépositions constitue le premier point de contact entre la CVJR et les victimes. Ce travail, a-t-il précisé, permet de recueillir des informations essentielles pour les travaux des analystes et investigateurs, et participe également à la réparation immatérielle et individuelle des victimes.

«En fin janvier 2017, le nombre de dépositions aux antennes de la CVJR est estimé à 7000. Ces dépositions concernent les infractions suivantes : meurtres et exécutions arbitraires, arrestations ou détentions arbitraires, enlèvements et séquestrations, enrôlements forcés et tentatives d’enrôlement forcé, viols et autres violences sexuelles, pillages, vols, et destructions des propriétés. S’y ajoutent des cas de disparitions et de déplacements forcés, de tortures et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants», a expliqué Ousmane Oumarou Sidibé.

Et le grand commis de l’Etat de rappeler que ces dernières semaines, le rythme de dépositions indique un épuisement tendanciel dans les capitales régionales et pose la problématique du déploiement des équipes mobiles dans les zones d’accès difficiles des régions du Nord et du Centre, ainsi que de l’ouverture de l’antenne de Kidal.

Depuis l’installation du gouverneur de la Région à Kidal, fait observer M. Sidibé, la CVJR a dépêché une équipe pour préparer cette ouverture.

A en croire le patron de la CVJR, d’autres activités de la structure ont porté ou continuent de porter sur le traitement et l’analyse des dépositions des victimes ; les enquêtes sur les graves violations des droits de l’homme ; la recherche des causes profondes du conflit et la réparation des préjudices causés aux victimes. Sur le chapitre de l’accompagnement des victimes dans un besoin urgent et ayant fait des dépositions au niveau de la CVJR, une centaine se trouvant dans un besoin urgent d’accompagnement psychologique ou médical fait l’objet d’un suivi de premier niveau par les conseillers régionaux en attendant un référencement vers des structures appropriées, a indiqué notre interlocuteur.

«En effet, pour la mise en œuvre des mesures urgentes d’accompagnement psychologique, psycho-social et/ou médical des victimes, la CVJR a opté pour un partenariat avec des structures spécialisées», a déclaré l’administrateur chevronné.

Dans ce cadre, a-t-il poursuivi, la CVJR a mis en place des référencements tests : une victime de violence basée sur le genre (VBG) a été référée au service social de l’hôpital à Mopti pour une prise en charge psychologique ; cinq victimes ont été référées à Tombouctou pour une prise en charge médicale ; onze victimes ont été référées à Tombouctou au CICR pour une prise en charge psychologique ; trois victimes de VBG ont été référées à Gao à l’ONG GREFFA pour une prise en charge psychologique.

Le président de la CVJR a assuré que ces référencements seront généralisés courant premier trimestre de cette année, grâce au soutien d’ONU-FEMMES, de la MINUSMA, d’Avocats sans frontière Canada (ASFC) et GIZ (la coopération allemande).

S’exprimant sur les défis et contraintes rencontrés par la structure, Ousmane Oumarou Sidibé a reconnu que même si la mise en place de la CVJR est intervenue après la signature de l’Accord pour la paix et la réconciliation, dans les faits la violence continue sur le terrain et s’est même amplifiée dans le Centre. «Établir une Commission au milieu d’un conflit armé génère des défis supplémentaires, liés à l’évolution de la situation politique et de sécurité nationale, régionale», a-t-il reconnu.

Pour lui, même si les victimes sont informées et sensibilisées sur le mandat de la Commission et de leurs droits, la situation sécuritaire dans certaines zones entrave l’accès des victimes aux antennes de la CVJR. Car, a fait savoir M. Sidibé, le travail de la Commission ne doit pas mettre en danger les victimes, les preneurs de dépositions, et toute autre personne liée à la Commission.

DES DEFIS ADDITIONNELS. «Les analyses de sécurité (faites entre les agents de la CVJR, les ONG, les institutions de sécurité de l’État et les victimes mêmes) permettent à la fois de diminuer le risque d’exposition individuelle et collective. Mais elles sont aussi des sources d’information très utiles pour l’élaboration des rapports de la Commission et le suivi général de la situation», a expliqué le patron de la CVJR. Selon lui, l’analyse peut inclure la création et le fonctionnement de systèmes d’alertes précoces au niveau local et communautaire.

A en croire M. Sidibé, ces défis additionnels des Commissions atypiques sont pris en compte et incorporés dans les méthodologies, feuilles de route, guides, formulaires, procédures et activités de la CVJR, ajoutant qu’ils sont suivis de façon récurrente pour générer des mécanismes d’adaptation lorsque nécessaire.

«Cette situation, en particulier la non ouverture de l’antenne de Kidal constitue un réel facteur de ralentissement du travail de la CVJR. Au vu des étapes qui restent à franchir, on estime d’ores et déjà qu’à la fin de son mandat de 3 ans qui se termine en fin d’année 2018, la CVJR aura certainement besoin d’une certaine prolongation pour terminer son travail», pressent Ousmane Oumarou Sidibé.

Commission Vérité Justice Réconciliation pied œuvre

Massa SIDIBÉ

Source: L’ Essor

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