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Qui de Nicolas Sarkozy ou des magistrats a le plus à perdre dans sa mise en examen?

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Cette situation judiciaire exceptionnelle oblige à réfléchir à ce qu’est la justice.

Voilà un ancien Président de la République française accusé d’avoir financé sa campagne électorale gagnante en 2007, avec de l’argent venant de l’Etat libyen contre lequel, en 2011, il va faire entrer la France en guerre. Ce qui se terminera par l’exécution de Kadhafi. Corruption passive, financement illégal de campagne électorale, recel de fonds publics libyens disent les juges d’instruction qui décident d’une mise en examen. Cela ne vaut pas condamnation, il faut simplement pour qu’elle soit justifiée des “indices graves ou concordants”. Ensuite, après enquête, le juge d’instruction décide s’il existe des charges suffisantes pour un renvoi devant le tribunal qui, lui, pour condamner, exige des preuves.

Pour l’ancien Président et pour la France, l’enjeu est énorme. Si une condamnation était finalement prononcée, la justice triompherait mais pas l’autorité de l’Etat. Et pourtant, les deux sont liés symboliquement. Libre jeu des institutions démocratiques? Sans aucun doute. Avec des enjeux sans commune mesure avec ceux d’une affaire judiciaire ordinaire. Mais si la justice se trompe sur la valeur des indices “graves ou concordants” qui l’ont amenée à cette mise en examen, elle aura mis en cause son autorité. Le public en retiendra qu’elle est capable du pire. Le Parquet financier ainsi que l’instruction pénale pourraient en souffrir institutionnellement. Les magistrats qui le composent n’en souffriraient guère puisque les juges bénéficient intrinsèquement d’une irresponsabilité pour leurs actes, sauf si le justiciable attaque l’Etat pour faute lourde du service public de la justice et que celui ci entame une action contre les magistrats (ce qui n’arrive jamais). La réputation de la justice en serait quand même entamée et donc l’ordre public atteint.

Donc, d’un côté, dans ce que représente Sarkozy pour l’Etat, on ne peut que lui souhaiter que les juges d’instruction se soient trompés. Et de l’autre, pour sa crédibilité à elle en tant qu’institution et celle des magistrats qui la composent et font aussi l’Etat, on ne peut que craindre qu’elle se soit trompée.

C’est sans doute pourquoi la presse s’est montrée prudente dans ses commentaires — et pour la première fois peut-être, s’agissant d’un personnage de pouvoir, que les citoyens français soutiennent radicalement ou contestent tout autant. C’est sans doute aussi du fait de la gravité de l’enjeu, que l’ancien Président de la République s’est abstenu d’attaquer les magistrats, contrairement à ce qu’il avait fait après avoir été mis garde à vue dans une autre affaire.

Cette situation judiciaire exceptionnelle oblige à réfléchir à ce qu’est la justice. Doit-elle refuser de prendre en compte le rapport “qualité/prix” avant de se lancer dans des enquêtes qui peuvent aboutir à des explosions catastrophiques mais nécessaires, au risque d’offrir la démonstration de son irresponsabilité? Ne rien avoir fait à l’égard des puissants, tel un ancien Président de la République, alors qu’il y avait matière à agir, ruine la réputation de la justice. Mais estropier la même personne et sa fonction pour arriver à un résultat incertain, voire nul, n’est pas non plus brillant.

La machine judiciaire n’est pas un distributeur automatique par la fente duquel il suffirait d’entrer un article de Mediapart ou du Canard Enchaîné pour que soit délivrée une poursuite ou une mise en examen, telle une canette de bière qui tombe dans le bac. Le public ne peut imaginer le juge comme un chirurgien qui ferait une amputation inutile là où une petite intervention ou la patience aurait suffit, et l’encourage donc à poursuivre sa tâche sans ciller.

Une fois que l’autorité judiciaire a pris le risque de poursuivre, le grand danger pour elle réside dans sa volonté d’aboutir à tout prix à un résultat, quitte à aménager un peu le droit et les pratiques. Ce n’est pas une hypothèse d’école. L’une des anomalies de cette affaire libyenne a été constituée par les écoutes de l’ancien Président de la République pendant plus de six mois. La justice a fait chou blanc. Mais sur le chemin, la Cour de cassation a été amenée à dire les limites du secret professionnel en acceptant les écoutes d’un avocat et de son client. En l’espèce c’était bien l’affaire libyenne qui faisait l’objet de l’écoute. Oui, mais comme il n’était pas mis en examen, l’avocat n’était pas dans la procédure, et donc, selon la Cour de Cassation la protection dont il bénéficie dans l’intérêt de son client n’existait pas. Dans cette affaire Sarkozy/Herzog, la Cour de cassation a peut-être transposé son refus de la confidentialité en matière de conseil juridique – refus contre la loi, (contra legem) ce qui montre l’archaïsme qui est le nôtre. Ce principe aurait-il été avancé s’il s’était agi de Monsieur Toutlemonde? Un des problèmes de l’institution judiciaire française est qu’une fois qu’elle a démarré, pressentant qu’un échec rejaillirait sur l’autorité judiciaire toute entière, elle a beaucoup de mal à s’arrêter. Mais lorsque, l’instruction terminée, l’affaire est renvoyée devant un tribunal, celui-ci se montre heureusement de plus en plus indépendant, pas simplement à l’égard des pressions politiques mais à l’égard de la solidarité corporatiste vis à vis des magistrats instructeurs. Depuis une quinzaine d’années, on a ainsi pu voir quelques décisions de relaxe dans des affaires qui avaient enflammé les juges d’instruction et la presse. Ce dont on ne peut que se féliciter.

Les affaires DSK sont pleines d’enseignement. Dans la première affaire, celle de la MNEF, on a ainsi pu en susbstance lire dans le jugement que les juges d’instruction feraient mieux de réfléchir aux conséquences juridiques des décisions qu’ils prennent avant de renvoyer une affaire devant le Tribunal. La deuxième affaire, celle du Carlton, a démontré le caractère passionnel et déplacé des poursuites et l’indépendance des juges du Siège qui ont désavoué leurs collègues de l’instruction. Quant à l’affaire américaine du Sofitel, elle nous donne matière à réfléchir. En Amérique, en absence de juge d’instruction, c’est le procureur qui fait l’enquête. Nombre d’éléments lui permettaient de renvoyer l’affaire devant la Cour et un jury, ce qui se fait assez rapidement là-bas. Manifestement, il existait une affaire qui avait en tout cas justifié d’extraire DSK de son avion alors qu’il partait pour la France. Et pourtant, quelques semaines plus tard, le procureur a renoncé à poursuivre et a demandé au juge de supprimer l’affaire. Parce qu’il avait réfléchi: il s’est demandé si la femme de ménage qui accusait DSK d’agression sexuelle était fiable ou non. Pas simplement sur l’épisode lui-même, circonscrit à un acte particulier, mais plus généralement. Or, l’enquête a montré qu’elle avait menti à plusieurs reprises. De ce fait, même “victime”, elle ne pouvait être un témoin de l’accusation. Les probabilités d’un acquittement devant le jury étaient trop grands ce qui aurait été un échec pour le procureur qui n’a pas voulu prendre le risque. C’est toute la différence entre nos deux cultures. Chez les Américains, la peur de perdre un procès fait arrêter les poursuites au procureur parce qu’il craint pour sa réputation ou sa réélection ou prorogation, et redoute aussi d’engager à tort l’autorité de l’institution. En France, cette crainte existe beaucoup moins. Ici, un juge d’instruction n’aurait sans doute jamais fait extraire DSK de son avion pour New York pour le poursuivre. Mais il l’aurait mis en examen au retour et, sans jamais jamais lâcher prise, l’aurait renvoyé devant le Tribunal, quitte à ce qu’il soit relaxé. L’appréciation du rapport bénéfice/risque est bien variable selon les cultures. L’épilogue de l’affaire Sarkozy sera un élément de plus pour confirmer notre droit et surtout nos pratiques judiciaires, ou les changer. Pour l’heure, on a le choix entre le chaos et le chaos.

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Retrouvez cet article sur le Huffington Post

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