Alors que le Mali vit sous le signe de la plus grave crise de son histoire moderne et que le concours de la communauté internationale est plus que jamais d’actualité pour réduire les menaces encore visibles sur la souveraineté de notre pays, certains milieux, spécialistes en sorcellerie politique mettent en place une « démoncrature » dont nul ne peut sonder l’extrême dangerosité.
L’évènement est presque passé inaperçu. En juin 2016, le Gouvernement de Modibo Kéïta a fait adopter en conseil des ministres une réforme en profondeur du code électoral en vigueur depuis septembre 2006 au prétexte qu’elle serait consécutive à des préoccupations soulevées par la classe politique et la société civile ainsi que la prise en charge des dispositions de l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale. Cependant le nouveau texte qui constitue la 4è modification du code électoral après celle de 2011, 2012 et 2014 pèche dans ses intentions qui tranchent avec toute logique raisonnée. En voici au moins neuf illustrations.
- l’objectif de prise en charge des dispositions de l’Accord pour la Paix et la Réconciliation ne justifie pas cette réforme
S’il est vrai que la signature de l’accord pour la paix et la réconciliation nationale entraine la révision du code électoral et du code des collectivités, le premier texte n’est concerné que pour deux points. Il s’agit de l’élection des conseillers de cercle au suffrage universel direct comme pour les autres collectivités puis l’adoption d’une nouvelle loi électorale 12 mois après la signature de l’accord en vue d’assurer la tenue des élections locales et régionales. Or, la révision concerne plus d’une vingtaine d’articles en lieu et place du léger amendement réclamé par l’accord.
- le motif selon lequel il s’agirait de la prise en charge de préoccupations politiques est abusif
A les en croire, la classe politique et la société civile cités dans la lettre de dépôt adressé par le Premier ministre au Président de l’Assemblée nationale ne se reconnaissent pas dans les termes du rapport. Certains partis politiques parlent de prévarication en arguant que le rapport initial de la commission technique a été remplacé en catimini par le présent rapport. Ces faits s’ils sont avérés sont graves et très graves parce que la pratique instituée depuis 1992 entre le Gouvernement, la société civile et la classe politique a été flouée.
- le motif selon lequel il s’agit d’éviter des candidatures fantaisistes et de réduire le coût ne tient pas la route
Il s’agit de l’un des arguments avancés par ceux qui soutiennent le système de parrainage instauré dans le nouveau projet de loi qui oblige les candidats à l’élection présidentielle de disposer de 15 députés et de 5 élus nationaux en plus de la caution astronomique de 35 millions de Fcfa. Cette position saugrenue qui ne repose sur aucun argument légalement, juridiquement et socialement défendable ne peut être utilisée pour exclure des candidatures valables et porteuses. Le Ministre de l’administration territoriale est libre de faire procéder à des enquêtes de moralité mais à quoi vont-elles servir du moment où les candidatures sont individuelles et les électeurs votent en connaissance de cause sur la personnalité de ces dernières comme cela se passe aux Etats Unis. Par ailleurs, la démocratie a son coût qu’il incomber à l’Etat d’assumer. Au prorata de la démographie de l’électorat, elle n’est pas plus chère aujourd’hui qu’en 1992 ou 1997. C’est pour ces raisons que certains pays ont décidé du couplage de certains scrutins mais jamais de la contorsion conspirée et du nombre de candidats sur des bases purement subjectives.
- la constitution de 1992 violée
La constitution de 1992 fondement de la 3è République stipule clairement que le peuple souverain du Mali, fort de ses traditions de lutte héroïque, est engagé à rester fidèle aux idéaux des victimes de la répression et des martyrs tombés sur le champ d’honneur pour l’avènement d’un Etat de droit et de démocratie pluraliste. Partant de là, il affirme sa volonté de préserver et de renforcer les acquis démocratiques de la révolution du 26 Mars 1991 dont les principes fondamentaux de la République unitaire, les droits et libertés civiques, politiques, économiques, et socioculturels. Le multipartisme intégral a été un choix souverain que nul obscurantisme de peut remettre en cause. Il en est de même des candidatures indépendantes et à titre individuel.
- l’exclusion automatique des partis et l’élection déguisée du Président au suffrage indirect
L’article 147 du nouveau projet de code électoral modifie le dispositif de parrainage en vigueur dans le code actuel en le durcissant. Il impose que chaque candidature soit parrainée par 15 députés et 5 conseillers nationaux (membres du Haut conseil des collectivités territoriales). Cette disposition qui va exclure de nombreux candidats crédibles de la prochaine élection présidentielle est injuste, inappropriée et dangereuse à plusieurs titres. En réalité, on veut fait élire le président indirectement par les députés, ce qui est contraire à la nature du régime et ramène à un régime parlementaire qui ne dit pas son nom.
6 le RPM, l’Adema et l’Urd en partis Etats et compères
Le nouveau code en gestation est une négation de la révolution de mars 1991 et remet en cause tous les acquis des 20 dernières années. Il crée de fait une identité commune entre le parti au pouvoir et l’État, comme dans la Guinée de Sékou Touré ou l’Udpm chez nous. En effet, le parlement actuel a une composition qui est consécutive à l’élection de 2013 et le parti Rpm qui avait une dizaine de députés avant 2013 se retrouve aujourd’hui avec près de 80 députés parce que son président a remporté l’élection présidentielle de 2013. L’Urd figure en seconde place à l’Assemblée nationale car son candidat a été deuxième à la présidentielle Cela est aussi valable pour l’ADEMA en troisième position au parlement car son candidat a été troisième au scrutin présidentiel. Cela démontre à suffisance que le parlement est généralement le reflet de l’élection présidentielle. C’est l’élection présidentielle qui préfigure la configuration parlementaire, comme en France le modèle qui nous inspire souvent. Or en démocratie, ça ne doit pas être le parlement qui décide de la configuration de l’élection présidentielle. L’Assemblée nationale actuelle compte 147 députés et il ne comporte que seulement 3 partis disposant d’au moins 15 députés, le RPM, l’URD et l’ADEMA. Cela veut dire que si la loi est votée, l’élection présidentielle de 2018 se jouera uniquement entre les candidats de ces trois partis.
- Modification travestie du régime politique
Il est admis que la Souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants. Elle pose le principe de la République comme étant le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. La souveraineté est donc une et indivisible, puisqu’aucune section du peuple, ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice. Le vote libre est l’expression de la souveraineté. Cette conception de la souveraineté fondée sur l’unité et l’indivisibilité s’oppose à toute manipulation juridique basée sur une stratification tendant à favoriser des groupes contre toute la nation par le biais des textes illégitimes mais légalement votés une organisation fédérale de l’État, qui fait coexister en son sein plusieurs entités souveraines. Le régime semi présidentiel que nous avons et qui se caractérise par le partage du pouvoir exécutif entre le Président élu et le parlement également élu dont émane en principe le Gouvernement, suppose que ces deux pôles de pouvoir soient mis en place de manière indépendante. C’est ce principe qui entraine quelques fois la cohabitation entre un Président et un parlement qui ne sont pas du même bord politique, synonyme d’indépendance de l’élection de ces deux Institutions. Le Chef de l’Etat détenteur du pouvoir exécutif que lui confère sa victoire travaille avec le parlement élu pour représenter les populations. C’est le fondement même du régime dans lequel nous vivons selon notre Constitution. En subodorant la candidature à l’élection présidentielle à l’onction des députés, on fait donc élire le président indirectement par les députés, ce qui est contraire à la nature du régime et nous ramène à un régime parlementaire qui ne dit pas son nom.
8 L’Urd complice du deal
La suspicion autour de ce texte devient encore plus évidente quand on examine les différentes communications des autorités sur le projet de code électoral. Ni le compte rendu du Conseil des Ministres du 15 juin 2016, ni la lettre du Premier ministre qui dépose le projet de loi à l’Assemblée, ne mentionne l’article 147 comme une nouvelle disposition du texte, alors qu’il s’agit sans doute de la modification la plus importante de la loi électorale, celle ayant le plus de sens et sans doute susceptible d’avoir la conséquence la plus lourde. Pourquoi ce silence ? Cela ne montre-t-il pas une volonté de faire passer discrètement le texte et mettre ainsi les uns et les autres devant le fait accompli ? Ce texte masque très mal la volonté d’exclusion de certains de nos décideurs actuels. L’Urd qui aurait simplement balbutié un débat autour des coquilles, l’usage des enveloppes, le vote anticipé des forces armées et de sécurité, les propagandes et les campagnes déguisées, les supports de campagne souffle une indifférence coupable. Le Sadi et le Parena lui font la leçon.
- Que faire ?
En Afrique, de nombreuses crises et mêmes des guerres civiles ont été consécutives à des tensions à l’occasion des élections notamment la présidentielle, considérée dans nos pays, à tort ou à raison, comme le plus important des scrutins. Ces crises ont souvent pris racine dans des manœuvres d’exclusion concoctées par des pouvoirs en place par instinct de conservatisme. Ces pouvoirs ne souhaitent pas que les autres compatissent dans les mêmes conditions que celles qui les ont permis d’être élus. Les constituions et les lois électorales sont donc utilisés pour parvenir à cette fin à travers des manœuvres dilatoires. Le retrait du projet de loi déposé à l’Assemblée est un préalable utile à observer. Ce retrait doit être suivi d’une concertation avec les acteurs politiques et la société civile sur les dispositions principales du projet dont les conditions pour participer à la prochaine élection présidentielle. La règle de subordonner la candidature à l’élection présidentielle au soutien des députés doit être purement et simplement abandonnée. Il persiste la disposition actuelle du soutien par les conseillers municipaux (5 conseillers de chaque région) qui peut être acceptable et qui est observée par de nombreux pays dont la France.