Les bulletins de vote, la lettre du ministre Ag Erlaf, la corruption et le trafic d’influence en cause
Que d’incertitudes sur ces élections. Le cadre juridique des élections communales de 2016 et la résurgence des vieilles pratiques de corruption, de fraude électorale, de trafic d’influence sur les cadres de l’administration locale à travers le pays, ne rassurent guère sur leur bonne issue, tant ces consultations sont parsemées de pratiques irrégulières qui divisent les parties prenantes. A l’insécurité grandissante, pourraient s’inviter des tensions politiques dans le pays, si l’on ne se ressaisissait pas.
La loi votée par l’Assemblée nationale, promulguée par le Président de la République le 17 Octobre 2016, et validée par la cour constitutionnelle suite à une saisine des partis politiques de l’opposition, a été écartée par une lettre du ministre de l’Administration territoriale. A travers la lettre n° 1246 du 14 novembre 2016, le ministre de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et de la Reforme de l’Etat Mohamed Ag Erlaf a informé les Présidents des partis politiques, du fait que cette nouvelle loi n°2016 -048 du 17 Octobre 2016, portant loi électorale n’est pas applicable aux élections du 20 novembre, mais plutôt l’ancienne qui est pourtant abrogée. Cette lettre du ministre Mohamed Ag Erlaf et les faits qu’elle édicte, recouvrent et confèrent aux communales de 2016, toutes les caractéristiques d’un coup d’Etat électoral.
Dans cette lettre le ministre Mohamed Ag Erlaf écrit : « En réponse aux préoccupations exprimées lors de la réunion du cadre de concertation entre le ministre de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et de la Réforme de l’Etat et le Président des partis politiques du 7 novembre 2016, j’ai l’honneur de vous informer que l’organisation des élections communales du 20 novembre 2016 se poursuivra sur la base de la loi n°06-44 du 04 septembre 2006, modifiée portant loi électorale. »
Coup de force électoral
De cette lettre du ministre Mohamed Ag Erlaf découlent deux constats, notamment sur la référence faite « aux préoccupations exprimées lors de la réunion du cadre de concertation du 7 novembre 2016 », et sur la renaissance de l’ancienne loi (loi n°06-44 du 04 septembre 2006) déjà abrogée. La nouvelle loi électorale, la loi n°2016 -048 du 17 Octobre 2016 dispose en son article 210, « La présente loi abroge toutes dispositions antérieures contraires, notamment la Loi n°06-044 du 4 septembre 2006 modifiée … ». Question : comment la loi abrogée peut elle servir de base pour l’organisation des élections communales du 20 novembre 2016, sans s’installer dans l’illégalité et le coup de force électoral ? Dans quel pays au monde, a-t-on jamais vu l’Etat fouiller dans le cimetière des textes pour déterrer de sa tombe une loi morte de sa belle mort et s’en servir pour organiser des élections locales ? Et puis, à quel titre un ministre peut-il se donner la prouesse de ‘’renverser’’ la légitimité d’un acte issue d’institutions de la République comme le Président de la République, l’Assemblée nationale, et la cour constitutionnelle, en mettant à l’écart de la loi n°2016-048 du 17 Octobre 2016 ? Pour enfin imposer à tout le monde, à toute la classe politique, une loi déjà morte. Veut-on passer le message que le Mali n’a pas un Etat vivant ? Que le gouvernement de Modibo Kéita le fasse, mais comment comprendre la soumission à ce dérapage politico-juridique, de l’ensemble des partis politiques, majorité et opposition démocratique et républicaine ?
Le MPR au ministre : annulez votre lettre
Même si les partis sont restés sous le joug de la lettre du ministre Mohamed Ag Erlaf, certains partis comme le parti pour la Renaissance nationale (Parena), le Mouvement patriotique pour le Renouveau (MPR), Forces alternatives pour le Changement (FAC) ont fait savoir leur révolte face à des pratiques contraires à la démocratie et la bonne tenue des élections.
Ainsi, le Secrétaire général du Parena Djiguiba Kéita en Conférence de presse au siège du Parena le 15 novembre s’interroge, « Comment une loi abrogée, le 17 octobre peut être exhumée le 14 novembre et régir la suite du scrutin communal? Comment peut-on mettre entre parenthèses une loi validée par la Cour Constitutionnelle et promulguée par le président de la République? Est-on devenu, à ce point une République bananière? Sommes -nous en “République très très démocratique du Gondwana ” où la loi est piétinée en fonction des humeurs et du bon vouloir du prince? Où va le Mali avec de telles mœurs politiques? Déjà en mai dernier, la loi sur “les autorités intérimaires”, votée par le parlement, validée par la cour constitutionnelle, promulguée par le président avait été foulée aux pieds au profit d’une “Entente”. L’amateurisme et l’incompétence du Gouvernement, son mépris du droit et du peuple malien ont atteint un seuil intolérable ».
Le président du Mouvement patriotique pour le Renouveau (MPR), Choguel K. Maïga s’insurge du fait que le ministre qui a un cadre de concertation avec les partis politiques se contente d’envoyer une lettre dans les boîtes e-mail des partis pour indiquer une si grave décision. En plus le ministre se cache derrière de prétendues « préoccupations exprimées lors de la réunion du cadre de concertation du 7 novembre 2016 », alors n’a pas donné l’impression de prendre en compte lesdites préoccupations qui avaient été évoqué par quelques partis politiques. Et le ministre Ag Erlaf ne motive nulle part sa lettre par l’avis de la cour suprême, qui du reste n’a nullement la portée d’un arrêt et qui semble pourtant être à la base de sa lettre. Cependant les vraies raisons de la lettre du ministre en charge des élections se trouveraient ailleurs.
Dans sa colère, le MPR a aussitôt répondu à la lettre du ministre de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et de la Reforme de l’Etat Mohamed Ag Erlaf. En date du 14 novembre 2016, la lettre du Bureau Exécutif central du MPR sous la plume de son Secrétaire Permanent et Mandataire National du parti, Abdramane Dogo est sans complaisance à propos de celle du ministre Ag Erlaf. « En effet, en plus de son caractère arbitraire et l’absence de base légale, cette lettre écrite à moins de cinq jours du scrutin, donne le sentiment d’un véritable changement des règles du jeu en plein match. Elle soulève plus de problèmes qu’elle n’en résolve véritablement. Elle peut être source de fraude, de corruption à grande échelle pour fausser les résultats du scrutin du 20 novembre 2016 et porter une grave atteinte à la sincérité du vote », indique le MPR. Le MPR note cependant, que le ministre use de ruse fallacieuse pour faire passer une mesure qui peut être la source de tous les dangers possibles : « L’argument spécieux, tiré des interventions de quelques Partis politiques lors de votre rencontre avec la classe politique du 07 novembre 2016 ne saurait être la véritable motivation d’une telle initiative. A notre connaissance, c’est la première fois dans l’histoire de notre pays, qu’une lettre d’un ministre remette en cause l’application d’une loi votée par l’Assemblée Nationale et promulguée par le Président de la République ».
En outre, poursuit la lettre du mandataire national du MPR, « la forme de présentation des spécimens des bulletins de vote, qui diffère totalement de celle adoptée depuis des années pour les précédentes élections nous intrique au plus haut degré. C’est pour toutes ces raisons et pour préserver la paix sociale dans notre pays que le MPR vous demande solennellement d’annuler purement et simplement cette lettre ».
Ainsi le MPR est favorable à la nouvelle loi n°2016-048 du 17 Octobre 2016, qui du reste avait connu un début d’application, car ayant servi de base pour les listes de candidature et la convocation du collège électoral. Raison pour laquelle d’ailleurs, la campagne n’avait pas eu la ferveur habituelle, la nouvelle loi interdisant des distributions de biens matériels et financiers, pour acheter les consciences. Mais l’application de l’ancienne loi est une autorisation tacite pour toutes les pratiques mafieuses. « Tous les outils de corruption que la nouvelle loi interdit, reprennent avec la lettre du ministre qui les autorise désormais: on voit des camions remplis de casseroles et d’autres objets, prendre le chemin des localités », témoigne le responsable d’un parti politique de la majorité, indexant le RPM.
Les bulletins de vote semblent être la source des maux qui minent ces élections communales. Les problèmes ont commencé depuis les spécimen sont la mention sur le bulletin a toujours été en diagonal, sauf que cette fois, cette mention se trouve timidement couché en marge de la page. Ce qui donne loisir à tout fraudeur de juste passer un blanc sur le spécimen et de faire la copie du bulletin qui sortira sans la mention « specimen ». Et ensuite de produire des milliers de bulletin pour faire pré-voter des électeurs embarqués dans la fraude. A cet effet, pendant la campagne, plusieurs bulletins specimen non similaires circulent à Bamako et à l’intérieur du pays. Le Républicain a pu avoir copie de différentes versions de bulletins specimen sur lesquels la place des partis changent d’une version à une autre. Or les exemplaires de bulletins de vote unique doivent être identiques sans variation de la place des partis sur la page. Dans les cercles de Dioïla et Koulikoro, plusieurs bulletins de vote ont été signalés, sans la mention specimen. D’autres comporteraient déjà l’empreinte digitale, donc pré-votés et qui n’attendent que le jour du vote pour se retrouver dans les urnes, le bulletin pris dans le bureau de vote et ramené aux maîtres fraudeurs, servant de preuve pour monnayer le vote de l’électeur.
Selon nos sources, le marché pour l’impression des bulletins de vote, d’un montant de 1 Milliard 112 millions 207 mille 792 FCFA est attribué à un groupement de 11 imprimeries. Ce groupement a ainsi choisi un mandataire du nom de Issa Bakary Kéita, chargé de négocier avec le ministre de l’Administration territoriale, les détails des bulletins. Il se trouve cependant que Issa Bakary Traoré, le mandataire du groupement des 11 imprimeries n’est autre que le Secrétaires aux Finances dans le nouveau bureau du RPM. Selon certains détracteurs, « ce n’est que le RPM qui est à la manœuvre, multipliant les jeux troubles pour montrer au Président de la République qu’il est majoritaire alors qu’il n’en est rien. C’est un recul, le pays est en guerre, au lieu de chercher à éteindre, on ne fait que rallumer d’autres tensions politiques ». Tous les moyens seraient donc bons pour mentir IBK qui dit à qui veut l’entendre, que ce n’est pas le RPM qui l’a élu. Déjà des sous préfets et des préfets dans certaines localités seraient travaillés au corps par le trafic d’influence : si vous ne faites pas de bons résultats, IBK croirait que vous êtes contre lui.
Source:Le Challenger