Demain s’ouvre à Sikasso cet autre procès crime de sang, l’affaire portant sur des assassinats massifs de 21 militaires de l’Armée malienne, des éléments du 33ème régiment des commandos Parachutistes du camp de Djicoroni, connus sous le nom de ‘’bérets rouges’’. Ces soldats accusés de contre coup d’Etat, dans la nuit du 30 avril au 1er mai 2012, consécutive au coup d’Etat du 22 mars 2012, ont été montrés à la télévision nationale, comme étant des mercenaires étrangers, avant de les conduire au Camp I de la Gendarmerie. C’est de là qu’ils ont été nuitamment extraits de leurs cellules, ligotés et cagoulés pour les amener à Diago dans une banlieue de Bamako où ils seront abattu de sang froid. La scène du crime est ainsi révélée par les enquêtes menées par la justice malienne après l’arrestation du chef de la junte putschiste, le Capitaine Amadou Haya Sanogo, et consorts. Ecroué le mercredi 27 novembre 2013, par le juge instructeur Yaya Karambé, le capitaine Sanogo et ses complices ont été inculpés pour enlèvement, assassinats et complicité d’assassinats, crimes pour lesquels ils répondront à la barre et devant la loi, pour une justice rendue au nom du peuple du Mali, ce 30 novembre 2016 à Sikasso.
Ce procès rappelle un autre procès crime de sang que les Maliens ont vécu en février 1993, consécutive à l’arrestation du Général Moussa Traoré le 26 mars 1991. Pour ces crimes de 1991, il s’agissait de la répression sauvage du pouvoir contre des manifestants qui réclamaient plus de justice, d’égalité et de libertés démocratiques. Le général Moussa Traoré, mis aux arrêts par son aide de camp Amadou Toumani Touré a été jugé et condamné par la justice malienne.
Accusés à la barre
S’agissant de l’affaire Sanogo et consorts, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Bamako en date du mardi 22 décembre 2015 a renvoyé l’Affaire devant la cour d’Assises. Elle implique 28 personnes comprenant l’ex chef du Cnrdre, le Général Amadou Haya Sanogo, l’ex ministre de la Défense, le Général Yamoussa Camara, l’ex chef d’état-major des Armées, le Général Dahirou Dembélé et consorts. Cette date n’a pas été fixée aussi simplement. Elle a été arrachée au bout de beaucoup d’efforts menés par les parents des victimes regroupés au sein du Collectif des épouses et parents des bérets rouges disparus, des défenseurs des droits de l’homme, et des personnes de bonne volonté, qui ont dû batailler sans relâche, et dénoncer le manque de volonté de la justice malienne à juger le Capitaine Amadou Haya Sanogo et complices.
Selon Saloum Traoré, Directeur exécutif de Amnesty international et président du Réseau des défenseurs des droits humains au Mali « Cela a été rude pour pouvoir fixer cette date ». On comprend donc aisément qu’Amnesty international sera au rendez-vous, d’autant plus que cette organisation était au début de cette affaire. « Oui, ce dossier est le nôtre. C’est d’abord Amnesty international qui a découvert qu’il y avait disparition. Après la nuit du 30 avril, on a vu que des gens étaient arrêtés, qui ont été présentés à la télé comme étant des mercenaires du Burkina ou d’ailleurs. Mais en fait, c’étaient des militaires de l’armée malienne (des bérets rouges). Ces bérets rouges ont été arrêtés et amenés au camp de la gendarmerie. Et quelques temps après, ils ont été extraits, et finalement, ils seront retrouvés dans une fosse commune près de Kati [à Diago] », nous a-t-il dit dans une interview publiée dans Le Républicain du 28 novembre 2016.
C’est à travers une visite de routine dans les prisons que des éléments d’Amnesty International étaient passés à la gendarmerie et demandé à rencontrer les éléments qui avaient été arrêtés la nuit et les jours subséquents du 30 avril. « C’est parmi ces gens que nous avons pu avoir des témoignages. Dans ce lot, nous avons pu rencontrer quelqu’un qui nous a raconté comment les gens ont été extraits nuitamment et ont été amenés à une destination inconnue », indique Saloum Traoré. C’est à partir de ce moment qu’Amesty a fait un premier rapport qui a été publié sous le titre: « Nous n’avons plus vu nos compagnons de cellule ». Il s’agissait des 21 personnes qui ont été extraites de la prison. Il a fallu qu’Amnesty fasse cette recherche pour découvrir que ces 21 personnes ont disparu, et préciser dans le rapport, les noms, les grades, les unités, et même l’âge de toutes les 21 personnes qui avaient disparu. C’est ce travail de fourmi qui a valu aujourd’hui d’espérer que ces crimes ne resteront pas impunis et que justice sera faite.
A l’époque, les autorités de ce pays, notamment le ministre de la défense et celui de la sécurité interrogés sur la destination de cette expédition de 21 personnes, n’ont jamais pu donner une réponse claire. « Le ministre de la défense [à l’époque Yamoussa Camara] nous a simplement dit qu’avec la nuit du 30 avril, c’était tellement chaud que les jeunes avaient seulement fuit que ce n’était pas la peine de les chercher et qu’ils vont revenir », témoigne le Directeur exécutif de Amnesty International Saloum Traoré. Mais après ces jeunes ne sont plus revenus. Il attend de ce procès va s’ouvrir de démontrer que ces jeunes avaient été torturés, enfuis dans cette tombe, dans cette fosse commune, dans un charnier à Diago, et que jusqu’à présent ces jeunes sont là, les corps qui ont été déterrés sont encore là à l’hôpital Gabriel Touré, et pour lesquels le deuil n’a pas été encore fait. Il s’agit d’un procès suivi sur le plan national et international. « Nous allons exiger qu’il y ait justice dans tout les cas. Si le Mali n’arrive pas à juger correctement Amadou Aya, dans tous les cas, les crimes ne resteront pas impunis », menace le Directeur exécutif d’Amnesty International qui se trouve être également président du réseau des défenseurs des droits humains. C’est un réseau qui compte plus de trente organisations se réclamant toutes des défenses des droits humains.
Crimes de gravité extrême
Après la mutinerie au camp de Kati contre le général Amadou Sanogo, chef de l’ex-junte, Amnesty International avait demandé aux autorités maliennes l’ouverture d’une enquête impartiale suite à la disparition et à la mort de plusieurs militaires qui s’étaient rebellés, le 30 septembre 2013. L’organisation évoque une « purge » menée par un groupe « qui se considère au-dessus de la loi ». Le ministère malien de la Défense a annoncé l’ouverture d’une enquête. Mais, les familles de militaires morts ou disparus sont restés sans nouvelles de leurs proches. Parmi les disparus, il y a le Colonel Youssouf Traoré, membre de l’ex-junte le CNRDRE. Son épouse Traoré Saaba Sissoko déclarait à cet effet sur RFI : « Je le cherche. Depuis qu’il a quitté la maison, la nuit du 30 septembre, je n’ai plus de nouvelles de mon mari. Je sais qu’à ce moment-là, ce sont des éléments de Kati qui sont venus le chercher. » Après la mutinerie de Kati, au moins quatre militaires maliens ont été retrouvés morts, certains par balle. L’hypothèse d’un règlement de compte entre militaires auteurs du coup d’Etat du 22 mars 2012 était la plus plausible. Parmi eux, certains ont été mis aux arrêts. C’est ainsi qu’ils auraient fait devant les enquêteurs, des déclarations accablantes contre leur ancien mentor, le général Amadou Sanogo. Ce dernier a été contraint de quitter le camp militaire de Kati. Les évènements de fin septembre survenus au camp militaire de Kati et les cas de disparitions et de morts de militaires, s’ajoutant au dossier des 21 bérets rouges disparus, ne pouvaient rester sans émouvoir le monde.
Far-west à Kati
Le journal Le Reporter dans son édition du 29 Mars 2014, décrit tel un boucher le Capitaine Amadou Haya Sanogo et certains de ses hommes de main tuaient des hommes, tels des mouches. « … Amadou Konaré et Youssouf Traoré ont pris le large avec le général Haya. Car, chaque fois qu’il envoyait quelqu’un dans une mission, que le résultat soit négatif ou positif, Christophe éliminait la personne », écrit le journal. « Les deux hommes Haya et Christophe étaient devenus des machines à tuer ; ils n’avaient plus aucun respect pour l’être humain », poursuit le journal. « Selon nos investigations, c’est Christophe qui a tué le lieutenant Sissoko, avant d’amener son corps avec une fausse identité à l’hôpital de Kati. Mais auparavant, il était passé à la SE pour faire une interrogation. Les éléments de la SE, en voyant l’état dans lequel était le lieutenant Sissoko, lui ont intelligemment dit qu’ils ne pouvaient pas l’interroger. Après, il s’est rendu à la police militaire. Là encore, la police militaire lui a signifié son incompétence à garder un corps. C’est alors que Christophe est revenu à Kati : son chef Haya lui ayant dit de se débarrasser de «ce chien mort». Avant de lui donner ordre de mettre la main sur le colonel Youssouf Traoré et Amadou Konaré. C’est comme ça que le corps du lieutenant Sissoko, l’un des gardes du corps du général Haya, a été retrouvé à la morgue », selon Le Reporter.
Selon le journal « C’est l’équipe du juge Yaya Karembé, composée de policiers et militaires, qui a fait la découverte du puits de Malibougou. Ils ont alors commencé par arrêter le caporal Seyba Lamine Sangaré, un proche du général Amadou Haya Sanogo. C’est au bout d’une course-poursuite effrénée qu’un des membres de l’équipe parvient à mettre la main sur le caporal Sangaré, indique Le Reporter. « Il a été interrogé sur place, où il révèle qu’il y a un corps dans le puits de la maison. C’est le lendemain samedi que l’équipe du juge d’instruction est arrivée sur les lieux, avec l’aide de certains manœuvres, pour faire sortir le corps … C’est au fil de leur course au filon, quand la fatigue les gagnaient au point qu’ils voulaient abandonner les recherches parce qu’il y avait trop de cailloux dans le puits, que les manœuvres ont senti une odeur insoutenable, avant de voir une bâche puis des ossements. C’est en ce moment que les gens ont commencé à dire que ces ossements seraient ceux du colonel Youssouf Traoré », selon le journal. Les enquêteurs ont continué à fouiller de fond en comble la maison, avant de trouver dans une chambre, deux galons de colonel, une mitrailleuse, deux bérets verts, un sac militaire, un PA, un fusil de chasse artisanal, une paire de chaussures militaires, un album-photos et une hache, écrit Le Reporter. Selon ce journal, « l’adjudant-chef Seiba Diarra qui voulait devenir commandant, une éventualité contestée par Ibrahim Dahirou Dembélé, était l’homme à tout faire à Kati. Il avait à sa disposition 500 hommes dont 400 pour la sécurité du général Amadou Haya Sanogo. Les 100 autres étaient utilisés pour de basses besognes comme la tentative d’enlèvement de Maïga Sina Damba. Cette dernière avait remplacé Issa Tiéma Diarra à la tête de l’Apej, ce qui n’était pas du goût de Seiba Diarra, un parent d’Issa Tiéma Diarra qui voulait l’imposer par la force. Les hommes de l’adjudant Seiba Diarra étaient appelés les Tondjon et Seiba lui-même Kênêkaraba. Ce sont les Tondjon qui faisaient la plupart des descentes musclées à Bamako. Quand, par exemple, le juge Fousseiny Togola avait ordonné la mise en liberté provisoire des bérets rouges, ce sont les Tondjon qui sont venus encercler le Camp I pour empêcher l’exécution de cette décision. Ce sont eux qui ont participé aux rackets des grands commerçants dans leur famille, avec l’appui de Siméon Keïta qui connaît les maisons de chacun d’entre eux ». Les chefs des Tondjon aussi bien que leur patron Seiba Diarra dit Kênêkaraba, ont fini leur course au camp I, avant leur transfert à l’intérieur du pays, en attendant le procès crime de sang.
Ami d’infortune
Un ex ami du Capitaine Sanogo, venu de l’étranger et présenté comme un féticheur, le Capitaine Drissa Coulibaly, qui a fait chemin avec les membres du CNRDRE a fait des révélations qui lui a valu d’être arrêté pour des besoins d’enquêtes. Connu comme étant un conseiller occulte du Général Amadou Haya Sanogo et du Colonel Youssouf Traoré, qui avait disparu sans laisser de trace (en réalité enlevé de chez lui et assassiné), les témoignages du Capitaine Coulibaly pouvait valoir son pesant d’or pour les enquêteurs du camp I de la gendarmerie.
Interviewé par notre confrère L’Enquêteur dans sa publication du 19 juillet 2016, le Capitaine Coulibaly indique qu’il était absent de Bamako au moment du contre coup d’Etat (30 mai 2012). « Après l’arrestation d’Haya, je me suis rendu à la gendarmerie pour me disculper des accusations d’assassinat des bérets rouges. Je me suis rendu chez le Juge Yaya Karembé pour m’expliquer, il m’a mis en prison pour deux ans. Mais grâce à la Justice malienne, grâce au Procureur d’alors Daniel Tessougué et Me Tiessolo Konaré, j’ai bénéficié d’un non-lieu », affirme-t-il dans cette interview.
Que sait-il de l’affaire des bérets rouges ?
Avant la découverte du charnier de Diago où les 21 bérets rouges avaient été nuitamment conduits, après leur extraction du Camp I pour les abattre, la maison de l’ancienne ministre, Zakiatou Wallet Halatine avait été citée comme abritant un puits qui contiendrait des corps d’éléments du 33e régiment des commandos parachutistes de Djicoroni, les bérets rouges. Or c’est dans cette maison que résidait l’allié des putschistes, et qui y professait ses fétiches. A cet effet, le Capitaine Drissa Coulibaly qui avait pris le large après ses dissensions avec les éléments de la junte était d’une part activement recherché par la junte pour lui régler son compte, comme elle l’a fait avec beaucoup de ses compagnons en les éliminant physiquement ; et d’autre part il était utile à la justice pour les besoins d’enquêtes dans l’affaire des bérets rouges disparus. Il s’est révélé plus tard que c’est dans ce puits (à ne pas confondre avec le puits de Kati Malibougou dans le fond duquel le cadavre d’un Colonel a été retrouvé, plusieurs mois après sa disparition) que le féticheur de capitaine y jetait les cadavres de chevaux qu’il tuait en offrande pour ses fétiches. L’odeur de ces cadavres de chevaux avait-elle éveillé des soupçons sur la piste des bérets rouges disparus ?
Après l’arrestation du Capitaine Sanogo et sa bande de putschistes, il s’était rendu à la justice pour dit-il échapper aux hommes du Capitaine Sanogo, il a été tout simplement inculpé pour « meurtres et complicité de meurtres ». Il bénéficiera par la suite d’un non lieu.
Dans sa livraison du 14 avril 2015, le journal L’Indépendant annonçait l’inculpation du Capitaine Drissa Coulibaly dans l’Affaire des bérets rouges pour « meurtres et complicité de meurtres ». Selon le confrère, « en son temps, il avait loué ses services au Comité national de redressement de la démocratie et de la restauration de l’Etat (CNRDRE), dirigé par le capitaine Amadou Haya Sanogo, avant de se retirer pour proférer des allégations sur ce dernier dans la presse. Il n’a pas hésité en son temps à dénoncer les responsables de l’ex-junte putschiste dans la disparition des 21 bérets rouges. Après l’arrestation de Sanogo, il s’est dit victime d’une tentative d’assassinat et s’est réfugié au camp I de la gendarmerie pour sa propre sécurité. Ce qui a été fatal pour lui. Car il a été placé en détention. Avant d’être déféré à la maison centrale d’arrêt de Bamako ».
Dans son édition du mardi 12 janvier 2016, La Sentinelle prête au Capitaine Drissa Coulibaly d’avoir fait la déclaration suivante « Amadou Haya Sanogo nous a tous invités à contribuer à la venue d’IBK au pouvoir».
Source:Le Républicain