Démarré le 30 novembre 2016 dans la salle Lamissa Bengaly de Sikasso, le procès de l’auteur du putsch du 22 mars 2012, Amadou Haya Sanogo et 17 autres de ses compagnons connait déjà deux suspensions. La première suspension, le mercredi dernier à la demande des avocats de la défense pour pouvoir communiquer avec leurs clients ; la deuxième, le vendredi 2 décembre 2016 après que les avocats (de la défense et de la partie civile) aient boycottés l’audience exigeant la possession de leurs téléphone dans la salle. Les organisateurs du procès (ministère de la justice et le parquet général) refusent de voir les avocats avec leurs téléphones dans le prétoire. Chose qui a provoqué le courroux des avocats qui exigent entre autres de garder leurs téléphones dans le prétoire, l’aménagement d’une salle pour les avocats et des places dument identifiées pour les avocats de la défense et de la partie civile. Et vu l’absence des avocats dans la salle d’audience, le président de la cour, Mahamadou Berthé a suspendu le procès jusqu’à ce lundi 5 décembre 2016. Mme Sagara Bintou Maïga, présidente de l’Association des parents et épouses militaires des Bérets rouges assassinés (Apembra) qui représente les 23 membres de la partie civile, a regretté ces incidents de parcours. Selon elle, « si la justice malienne se montre défaillante dans cette affaire, nous allons saisir la cour pénale internationale (CPI) »
Prévue pour le vendredi 2 décembre 2016 à 9 heures, l’ouverture de l’audience n’est intervenue qu’à 10h 05 minutes. Ce retard sous entendait quelque chose. Les tractations et négociations se poursuivaient entre acteurs de la justice. A 10h 06 minutes, le président de la cour, Mahamadou Berthé a appelé les accusés à la barre. Puis s’en est suivie l’appellation des témoins. Après avoir effectué ces mesures d’ordres protocolaires, le président de la cour a demandé au ministère public, Mohamed Maouloud Najim, les raisons de l’absence des avocats de la défense comme de la partie civile. Selon ce dernier, les avocats ne sont pas dans la salle parce qu’ils ont été interdits, pour des raisons de sécurité, de rentrer avec leurs téléphones dans le prétoire. « Pour des raisons de sécurité, on a décidé d’interdire les téléphones dans la salle d’audience, pour que la cour puisse juger dans la sérénité car la communauté internationale nous regarde. Tout le monde est témoin des efforts fournis par les uns et les autres. Mais à l’impossible, nul n’est tenu. Nous n’avons d’autre choix que de requérir une deuxième suspension. C’est pour cela que nous vous demandons de suspendre jusqu’à lundi », a souligné l’avocat général, Mohamed Maouloud Najim. Les trois accusés (Amadou Haya Sanogo, Ibrahima Dahirou Dembélé et Issa Tangara) qui ont pris la parole ont fait savoir qu’ils ne pourront rien dire en l’absence de leurs avocats. « Étant donné que nous ne sommes pas des professionnels du droit, nous resterons derrière nos avocats », a indiqué l’ex chef d’Etat major général des armées, Ibrahima Dahirou Dembélé. Idem pour l’ex chef de la junte Amadou Haya Sanogo qui était habillé en noir. « Merci monsieur le président de l’opportunité que vous nous offrez, nous constatons l’absence de nos conseils au même titre que vous et nous ne pourrons rien dire sur les raisons de leur absence qu’après un entretien avec eux. Autant la défense à hâte autant nous avons hâte de dire notre part de vérité. Nous préférons rester derrière nos conseils », a martelé Amadou Haya Sanogo. Ainsi, la cour présidée par Mahamadou Berthé, après avoir constaté l’absence des conseils dans le prétoire, a ordonné la suspension de l’audience jusqu’au lundi 5 décembre 2016 à 9 heures.
Des salles aménagées pour les avocats ?
Pour en savoir un peu plus, nous avons approché le procureur général près la cour d’appel de Bamako, Mamadou Lamine Coulibaly qui nous a fait savoir que pour des raisons de sécurité, l’usage des téléphones est interdit pour tout le monde sans exception. A ses dires, les avocats ont dit qu’ils ne rentrent pas dans la salle sans leurs téléphones. « On va aménager une salle pour les avocats pour qu’ils puissent travailler facilement », a promis le procureur général. Tous les avocats sans exception exigent de garder leurs téléphones dans le prétoire car, selon eux, c’est leur outil de travail. « Ce matin, nous sommes venus et on nous a fait savoir qu’on ne pourra pas avoir accès à la salle d’audience avec nos téléphones, nous estimons que ce sont des formes de suspicion vis-à-vis de l’avocat. Nous avons fait bloc. La demande que nous avons formulée est d’autant plus légitime que les avocats de la partie civile se sont associés à cette demande. Le téléphone est un instrument de travail pour les avocats, d’autres ont leurs codes dessus, d’autres ont leurs jurisprudences dessus. Ils se promènent sans support papier. Ils ont tout dans leur téléphone. Nous pouvons comprendre pour la sérénité des débats, qu’on nous dit : rentrer avec vos téléphones mais s’il vous plait essayer de les mettre sous vibreur ou même les éteindre. Mais trouvons inacceptable qu’on nous demande de laisser dehors nos téléphones. Nous trouvons cela inacceptable. Dès le début de ce procès on a l’impression qu’on nous traite comme des spectateurs. Hier on nous a imposé des badges, aujourd’hui c’est les téléphones, demain on va nous demandé de laisser totalement la robe devant la porte », a martelé Me Alimam B Abdoulaye, avocat de la défense. Me Boubacar Karamoko Coulibaly de la défense évoque la même chose. « Nous avons refusé de rentrer dans la salle parce qu’on ne nous autorise pas à rentrer avec nos téléphones. Ils ont évoqué que c’est pour des raisons de sécurité alors que ce n’est pas les avocats qui vont empêcher le bon déroulement du procès. Le téléphone est un instrument de travail. Les avocats enregistrent leurs codes. C’est une atteinte à la liberté de la profession et un manque de respect à la profession », a déploré Me Boubacar Karamoko Coulibaly de la défense. Même son de cloche auprès des avocats de la partie civile. Pour Me Wali Diawara de la partie civile, dans ce chapitre, les avocats sont les mêmes, qu’on soit de la partie civile ou avocat des accusés. « Nous avons les mêmes droits. Nous refusons dans ce contexte de prendre part à ce procès tant qu’on ne nous aurons pas respecté », a-t-il précisé.
‘’Si la justice malienne se montre défaillante dans cette affaire, nous allons saisir la CPI’’
Quant à Me Assane Dioma Diagne de la partie civile, dans ces genres de procès, il y a des audiences de mises en état où des règles sont très déterminées. « On ne peut pas comprendre que le mardi, il y a eu des règles, l’audience s’est bien déroulée et que ce matin alors que les avocats se sont bien préparés par rapport à leur appareil électronique et qu’on nous interdise de rentrer avec le téléphone. C’est une question de dignité et de libre exercice de la profession d’avocat. Je pense que c’est inacceptable, on aurait pu nous convier à une audience où des règles consensuelles seront établies et qu’on instaure un climat de sérénité. Personnellement, n’étant pas du Mali, je regrette qu’on arrive à cette situation et qu’on me prive du droit de défendre mes clients. On crée cette tension artificielle, c’est regrettable, je pense qu’on n’a pas le droit d’en arriver à ce paroxysme surtout qu’on nous dit que c’est un procès ordinaire », a déploré Me Assane. Et de poursuivre en disant : « l’autre jour, on s’est offusqué du fait que Amadou Haya Sanogo se soit prévalu de sa qualité d’ancien chef d’Etat ou de général, on lui a dit que vous êtes un citoyens. Qu’est ce qui fait que par rapport aux autres audiences, il y a des règles qui sont établies et par rapport à ce procès, on aménage des règles particulières dérogatoires, des règles que les avocats connaissent, je pense que c’est inacceptable et nous avocats de la partie civile, nous sommes solidaires des avocats de la défense. Il ne s’agit pas de privilégier des positions processuelles mais de se battre pour la profession d’avocats et c’est ce qui a été fait ce matin ». Mme Sagara Bintou Maïga, présidente de l’Association des parents et épouses militaires des Bérets rouges assassinés (Apembra) qui représente les 23 membres de la partie civile regrette ces incidents de parcours. Toutefois, elle a indiqué que si la justice malienne se montre défaillante dans cette affaire, elles vont saisir la cour pénale internationale (CPI). Dans une conférence de presse qu’il a animée le vendredi soir, l’avocat général, Mohamed Maouloud Najim a promis qu’ils vont continuer à dialoguer pour le bon déroulement du procès.
Source: Le Républicain