Le scénario semblait écrit d’avance. Mais, cette fois encore,
Yahya Jammeh a pris tout le monde de court, démontrant qu’il ne ressemblait décidément à aucun autre chef d’État sur le continent. Annoncé grand vainqueur d’une élection qui devait lui permettre d’enchaîner un cinquième mandat, l’imprévisible maître de Banjul, au pouvoir depuis 1994, a finalement effectué une ultime pirouette.En reconnaissant sa défaite face à Adama Barrow, le candidat de l’opposition, Jammeh a sorti de son éternel boubou blanc un dernier tour que personne n’avait envisagé : se plier au verdict des urnes.
Joie populaire
Le 2 décembre, au lendemain du scrutin, tout le pays était figé dans l’attente des résultats définitifs de cette présidentielle à haut risque. Pariant sur un passage en force de Jammeh malgré la victoire de l’opposition en train de se dessiner, beaucoup anticipaient déjà des troubles.
Le 2 décembre, au lendemain du scrutin, tout le pays était figé dans l’attente des résultats définitifs de cette présidentielle à haut risque. Pariant sur un passage en force de Jammeh malgré la victoire de l’opposition en train de se dessiner, beaucoup anticipaient déjà des troubles.
Banjul était quasi déserte et les magasins fermés, tandis que d’importants check-points avaient été érigés sur les principaux axes de la capitale et autour des bâtiments stratégiques, tel le siège de la Commission électorale indépendante (CEI) ou celui de la Radio-Télévision d’État. Le tout à huis clos, le réseau internet et les communications vers l’étranger ayant été coupés la veille de l’élection.
Contre toute attente, le président de la CEI annonçait à la mi-journée que Yahya Jammeh avait perdu et reconnaissait sa défaite. Stupeur générale au siège de la CEI. L’information, vite relayée, était aussitôt célébrée par un concert de klaxons dans les rues de la capitale. Une explosion de joie qui traduisait le soulagement de la population d’en avoir terminé avec ce régime.
Une cote de popularité au plus bas
Après plus de vingt années de pouvoir durant lesquelles il a réduit au silence toute voix contestataire et imposé une gouvernance autoritaire et ultrapersonnalisée, Yahya Jammeh était de plus en plus décrié.
Fin octobre, les partis d’opposition, après avoir longtemps échoué à capitaliser sur cette rancœur, avaient mis leurs différends de côté pour former une coalition et soutenir un candidat unique, Adama Barrow. Bien qu’inconnu du grand public, ce promoteur immobilier de 51 ans, ex-trésorier du Parti démocrate unifié (UDP), présentait l’avantage de faire consensus.
Ensuite, ce dernier a bénéficié d’une campagne électorale inédite, ayant donné lieu à une mobilisation populaire sans précédent contre le président sortant – une ferveur alimentée par les difficultés économiques que traverse une Gambie un temps boudée par les touristes en raison de l’épidémie d’Ebola ayant frappé la sous-région. Durant deux semaines, des milliers de personnes ont assisté aux meetings de l’opposition.
Pour la première fois, de nombreux Gambiens ont surmonté leur peur et pris le risque d’exprimer leur hostilité au « big man », même à visage découvert. « L’opposition a évidemment mené un travail de fond, mais cette période électorale très libre a créé un déclic fondamental au sein de la population », analyse Stephen Cockburn, le directeur régional adjoint d’Amnesty International.
Une issue inespérée
Mais comment expliquer que Jammeh ait laissé faire, lui dont on disait qu’il tenait le pays d’une main de fer ? Seul le concerné détient la réponse, mais la campagne n’aurait sans doute pas été aussi libre si, comme à chaque élection, Jammeh avait affronté son vieil ennemi, le charismatique Ousainou Darboe.
Seulement voilà : trop âgé pour se présenter, Darboe ne pouvait même pas s’impliquer dans la campagne car il est emprisonné depuis le mois de juillet pour avoir manifesté sans autorisation. De là à dire que Jammeh a sous-estimé Barrow et qu’il a ensuite préféré ne pas s’engager dans un bras de fer qui aurait pu lui coûter cher, il n’y a qu’un pas que la rue gambienne a eu tôt fait de franchir le 2 décembre.
Tous les regards sont désormais tournés vers le nouveau président. Se disant convaincu de sa victoire tout au long de la campagne, Adama Barrow ne cessait aussi de répéter qu’il n’avait « pas peur » de Yahya Jammeh. Maintenant qu’il l’a battu et qu’il s’apprête à lui succéder, il a la lourde tâche de tourner une page de l’histoire de son pays.
Source: Jeune Afrique