Le Regard de Monica est une chronique de Burkina24 qui est animée chaque jeudi par Monica Rinaldi, une Italienne vivant au Burkina. Cette chronique traite de sujets liés aux femmes, à la consommation locale et aux faits de société.
Ouagadougou, un matin de janvier 2017. Dans un centre de santé spécialisé en counseling aux jeunes et planning familial, l’affluence est supérieure à la norme : des jeunes, filles comme garçons, et quelques femmes un peu moins jeunes, sont assis dans la salle, en attendant leur tour de consultation. Quelques-uns plaisantent : « ce sont les conséquences des fêtes de fin d’année-là »…
En réalité, selon l’un des agents de santé que nous avons rencontré, la plupart de ces consultations a pour objet le traitement d’une infection sexuellement transmissible (IST), plus que le counseling sur une méthode contraceptive. Fort heureusement, il s’agit dans la plupart des cas de pathologies qui peuvent être facilement prises en charge ; néanmoins, elles continuent de sévir, à cause de la méconnaissance de leurs symptômes tout comme de leur haute contagiosité.
Le Burkina Faso a réussi avec un discret succès à limiter la prévalence du VIH/SIDA : en 2015, la prévalence était de 0.8%, avec 95.000 personnes (dont 53.000 femmes de plus de 15 ans et 7.700 enfants 0-15ans) vivant avec le syndrome d’immunodéficience acquise[1]. C’est un progrès remarquable par rapport aux années 90, qui témoigne des efforts prodigués par le système de santé et de la réceptivité de la population aux actions de sensibilisation.
Néanmoins, l’attention généralisée autour du VIH/SIDA semble occulter la présence d’autres infections sexuellement transmissibles, des plus redoutables telles que les hépatites B et C aux plus facilement soignables telles que la gonorrhée et le trichomonas.
Pas que le SIDA : hépatites, gonorrhée, trichomonas…
À titre d’exemple, plus de 15% de la population burkinabè est rentrée en contact avec le virus de l’hépatite B. Cette maladie, qui se transmet par voie sanguine ou sexuelle, se manifeste sous forme aiguë (avec une mortalité comprise entre 1% et 5%, c’est-à-dire plus que le double que la dengue…), mais dans 5% des cas elle évolue en forme chronique, pouvant entraîner une cirrhose hépatique ou un cancer du foie.
Cette maladie est d’autant plus redoutable que les symptômes peuvent facilement être confondus avec ceux d’une grippe ou d’un paludisme (petite fièvre, fatigue généralisée, douleurs articulaires, céphalée) ou ne pas se présenter du tout, pourtant le patient est malade et peut contaminer d’autres personnes. En absence d’un traitement capable d’éliminer complètement la maladie, la seule protection est le port du préservatif et l’abstinence de toute pratique orale avec un partenaire dont on ne connait pas le statut.
Le dépistage se fait aisément dans plusieurs structures publiques et privées de la place et, si le résultat est négatif, il est possible de se faire vacciner (par ailleurs le vaccin contre l’hépatite B fait partie du Programme Élargi de Vaccination (PEV) depuis une dizaine d’années).
Pour d’autres infections, aucun vaccin n’existe et le dépistage n’est pas disponible aussi aisément que cela. C’est le cas par exemple de la gonorrhée, maladie sexuellement transmissible asymptomatique dans plus de 50% des cas, mais se manifestant parfois de manière assez désagréable (écoulements, sensations de brûlures) et pouvant évoluer vers des affections chroniques dans plus de 10% des cas et une stérilité irréversible dans 3-4% des cas. Le traitement est heureusement assez simple, mais l’absence de symptômes dans plus de la moitié de cas rend cette maladie plutôt dangereuse car une personne s’estimant saine peut très facilement en contaminer d’autres. Dans ce cas aussi, la seule protection est le port du préservatif et l’abstention de toute pratique orale avec un partenaire dont on n’est pas sûr.
Autre IST aussi redoutable que répandue, c’est le Trichomonas. Ce parasite cause une infection asymptomatique dans 50% des cas chez la femme (qui se plaindra sinon de démangeaisons, mauvaises odeurs ou écoulements) et dans 90% des cas chez l’homme, d’où sa dangerosité : les patients sont malades sans le savoir et ainsi répandent autour d’eux l’infection car ils estiment ne pas avoir besoin de se protéger.
Encore une fois, le traitement est simple mais mieux vaut prévenir, et la voie est le port du préservatif et l’abstention de toute pratique orale avec un partenaire dont on n’est pas sûr.
Manque d’information et de sensibilisation
Les personnes qui ce matin se trouvent ici pour un traitement sont en réalité des exemples à suivre. En effet, même si la solution paraît assez simple (« je suis malade donc je vais au centre de santé pour recevoir un traitement »), le caractère intime et un peu « gênant » de ces maladies les rend tabou.
Certaines femmes et filles préfèrent se servir d’ « astuces » ou de traitements appris « de bouche à oreille » (application de décoctions et pâtes diverses) ou – pire – de l’automédication, plutôt que d’aller expliquer leur souci à un professionnel de santé. Souvent les symptômes sont confondus aux signes d’autres situations non (ou moins) pathologiques. Ainsi le réflexe « je me traite et je me protège » ne vient pas. De la même manière, certains hommes préfèrent changer de partenaire puisqu’ils ne se sentent pas malades (vu que, comme dit plus haut, ces infections n’ont souvent pas de symptômes), plutôt que de se traiter. Ainsi, la contamination se répand.
Durant la consultation, les agents de santé essaient d’expliquer aux patients comment ils ont été contaminés et conseillent un changement de comportement. Mais aux dires de quelques infirmiers, « certains patients reviendront bientôt avec une autre IST. C’est leur mode de vie. On a beau les sensibiliser, ils reviendront ».
Briser le tabou
Certaines catégories sont plus à risques que d’autres : les travailleuses du sexe (et ceux qui les fréquentent), les « filles de joie » ou entraîneuses, toute personne ayant plusieurs relations ou changeant fréquemment de partenaire… et, par conséquent, les éventuels partenaires stables de ces personnes. C’est à l’endroit de ces catégories que la sensibilisation doit se faire, idéalement dans les endroits les plus habituellement fréquentés tels les maquis, boîtes de nuit et similaires.
Surtout, il est nécessaire de travailler à changer les mentalités, notamment chez les catégories les plus sensibles (les élèves et étudiantes, les jeunes filles qui travaillent dans les bars et maquis, les commerçants…) et les couches sociales moins instruites.
Briser le tabou, éliminer les faux mythes et idées reçues concernant les IST, emmener la population à un comportement plus conscient est le seul moyen pour réduire leur prévalence.
MonicaRinaldi
Chroniqueuse pour Burkina 24