Dans une interview accordée à votre journal ‘’Le Prétoire’’ mardi 17 janvier 2017, le Président du Comité directeur du syndicat autonome de la magistrature (SAM), Cheick Mohamed Cherif Koné, a révélé jusqu’où les magistrats sont prêts à aller pour obtenir la satisfaction de leurs doléances. En plus les motifs de la grève illimitée, le patron du SAM parle des conséquences et de la position actuelle du gouvernement face aux revendications. S’y ajoutent les aspects du service minimum assuré dans les juridictions. Lisez !
La grève de sept jours vient d’être prolongée en grève illimitée. Pourquoi cette décision ?
La conversion en grève illimitée s’explique par le fait que nous voulons tout simplement que la justice malienne réponde aux aspirations du peuple au nom duquel elle est rendue. Une chose est de rendre la justice, mais l’essentiel c’est de faire en sorte que la justice soit bien rendue. C’est la seule condition qui nous permet d’être en phase avec nos populations. Et cela implique tout naturellement des mesures d’accompagnements. Il faut que les acteurs de la justice soient dans les conditions afin qu’ils soient à l’abri des tentations. A travers le monde, il y a des textes qui ont été adoptés, auxquels le Mali a souscrit. Ces textes prévoient des minimales pour la justice en général et les magistrats en particulier. Aujourd’hui, le Mali se trouve être le seul pays à ne pas être en phase avec ces instruments internationaux qui l’engagent. Et même le comportement actuel de nos gouvernements est contraire à nos dispositions constitutionnelles qui disent que la justice doit être indépendante. Cette indépendance implique tout naturellement l’indépendance économique du magistrat. Nous avons demandé au gouvernement à ce que la situation soit revue. A ce jour, les conditions de travail d’une juridiction, les conditions de vie d’un magistrat sont carrément en deçà des normes minimales. Toutes choses qui rendent difficile la distribution d’une justice de qualité. Lorsque nous avons compris que le gouvernement était de mauvaise foi, nous avons décidé d’observer une grève de sept jours ouvrables. Logiquement, si le gouvernement était soucieux du devenir de ce pays, il allait continuer les négociations. Mais depuis que nous avons commencé à observer la grève, le gouvernement a fermé toutes les portes au dialogue. C’est la raison pour laquelle nous avons dit que ce mépris ne peut être cautionné. Ce mépris signifie aussi une banalisation du mouvement syndical des magistrats. C’est fort de cela qu’à l’issue de l’assemblée générale, les magistrats ont décidé de transformer la grève de sept jours en grève illimitée, jusqu’à ce que nous ayons une satisfaction totale.
Jusqu’où le SAM est-il prêt à aller pour avoir gain de cause ?
Le seul responsable de cette situation, c’est le gouvernement du Mali. Le SAM n’a pas de fusil à prendre contre le gouvernement. Nous sommes sur la voie d’introduire une résolution contre l’Etat du Mali pour non respect de ses engagements internationaux et pour violation des normes minimales concernant les acteurs de la justice. Cette résolution sera introduite maintenant, dans la mesure où personne ne connait la fin de la grève illimitée.
En quoi consiste cette résolution et quelles en seront les conséquences ?
Nous sommes en rapport avec l’Union internationale de la magistrature qui nous a déjà témoigné de la solidarité de tous les magistrats à travers le monde. Donc, il appartient à cette structure d’introduire la résolution, mais qui doit émaner du SAM. La résolution va être examinée par le comité de présidence de l’Union internationale des magistrats pour être ensuite soumise à l’appréciation du conseil central. A noter que dans ce conseil central, le Mali sera présent pour défendre cette résolution. Comme effet de la résolution, la sanction peut être morale, sachant que la communauté internationale peut faire des déclarations pour exiger le Mali de faire face à ses engagements internationaux par rapport à la justice. Derrière tout cela, il peut avoir des sanctions économiques qui peuvent frapper le Mali.
A quoi faites-vous allusion quand vous parlez de banalisation?
Il faut que le gouvernement du Mali apprenne à discerner dans la mesure où la tendance aujourd’hui de nous appliquer le statut général de la fonction publique ne peut pas passer. Nous sommes régis par le statut autonome de la magistrature. Donc, un statut autonome suppose des traitements avantageux spéciaux et dérogatoires du statut général de la fonction publique. Je me suis étonné de voir le ministre de la Fonction publique dire que les indemnités de judicature ne sont pas dues aux magistrats à partir du moment où les autres fonctionnaires n’ont pas droit à çà. C’est une ignorance du sens même accordé à l’indemnité de judicature. L’indemnité de judicature est attachée à la fonction de juge. L’essentiel du travail du juge ne se limite pas dans les juridictions. C’est étant à la maison que commence l’essentiel du travail du juge. C’est là où il doit rédiger les jugements, les ordonnances, les réquisitoires. Dans les juridictions, nous rendons la justice, mais à la maison, il faut donner une forme à çà. C’est pour ces raisons que nous avons droit à l’indemnité de judicature. Seuls les acteurs de la justice ont droit à çà. Même le Président de la République n’a pas droit à des indemnités de judicature. Il a droit à autre chose qui a une autre appellation. Le Ministre a droit à des choses qui ne sont pas des indemnités de judicature. Un député a droit à des indemnités de session parlementaire qui ne sont pas des indemnités de judicature. S’y ajoute la question d’indemnité de logement. L’Etat a le devoir de loger les magistrats de façon décente. Ce que nous percevons comme indemnité de logement, y compris les frais d’eau d’électricité, ne fait que 50 000 F CFA. Est-ce qu’à Bamako aujourd’hui cette somme suffit pour loger un magistrat de façon décente ? Lorsque nous constatons que des pays moins nantis que le Mali ont pu faire des choses pour leurs magistrats, et que le Mali soit pas incapable de faire la moitié de cela à ces magistrats, nous trouvons cela inadmissible. Cela dénote que notre gouvernement n’a aucun souci à ce que la justice soit efficace.
Pourquoi, selon vous, le gouvernement ne se soucierait-il pas d’une justice de qualité?
Je dirais que c’est pour que la justice ne soit pas du tout efficace dans la lutte contre la corruption. Les principaux auteurs de la corruption c’est à ce niveau. Les juges ne manipulent pas de fonds et les grands détournements sont du côté de l’exécutif. La plupart des dossiers de détournement n’avancent pas. Ce n’est pas du fait des juges, c’est parce que nous n’avons pas les moyens d’investigation. L’Etat ne veut pas nous donner les moyens d’investigation. Et pour être efficace dans la lutte contre la corruption, il faut être soi-même à l’abri de la tentation. Toutes ces hostilités du gouvernement sont des choses calculées pour que la justice soit à jamais inefficace. Des fois, c’est un gouvernement qui se plait dans la manipulation en faisant croire que c’est le peuple qui n’est pas content de sa justice. Ces jours nous ont démontré que cela est totalement faux.
Qu’en est-il du service minimum dans les juridictions ?
Le service minimum est naturellement assuré. Il faut retenir que nous n’observons pas le service minimum pour faire plaisir à un gouvernement. Nous l’observons parce que c’est la loi qui l’impose. Le service minimum ne permet à aucune juridiction de fonctionner ou de faire face aux besoins actuels des justiciables. C’est la raison pour laquelle les citoyens ont l’impression que le service minimum n’est pas assuré. La seule présence physique des chefs de juridiction est insuffisante pour faire tourner une juridiction à l’heure actuelle.
Pourquoi le ralliement des greffiers qui aussi ont leur syndicat ?
Les greffiers sont nos collaborateurs de tous les jours. Tous ceux qui touchent les magistrats concernent aussi les greffiers et vice-versa. Autant la justice ne peut pas tourner sans les magistrats, autant la justice ne peut pas tourner sans les greffiers. Même s’ils ne sont pas en grève, leur solidarité est là et ils souhaitent que nous ayons gains de cause. Dans les documents que nous avons présentés, il y a les greffiers qui sont concernés. Ils ont cru bon de ne pas être actifs dans cette grève, mais nous saluons cette solidarité.
Est-ce que la grève a fait effet à ce jour ?
Je dirais que ce sont les désagréments qui pourraient être causés aux populations. Certaines personnes privées de leur liberté sont en attente d’être jugées. Nous sommes sensibles à leur peine, car ceux sont nos parents directs. Nous souhaitons qu’ils puissent connaitre leur sort. Cela est pénalisant pour toute la population. S’y ajoutent ceux qui attendent aujourd’hui leurs casiers judiciaires et certificats de nationalité, surtout à une période de recrutement où les juridictions sont très sollicitées. Pour signer un casier judiciaire, il faut un substitut. Ce sont des pouvoirs qui sont délégués par le procureur au substitut, si ce dernier n’est pas contraint au service minimum.
En outre, un juge au siège qui signe les certificats de nationalité n’est pas concerné par le service minimum. Donc, c’est tout à fait normal que le service soit interrompu.
Dites-nous ce qui s’est passé lors de votre dernière visite à la Primature ?
Cette visite doit être située dans son contexte. Ce n’était pas une visite officielle entre les magistrats et le Premier ministre. C’était une visite dans un cadre informel. Le directeur de cabinet du Premier ministre, en la personne de Mahamadou Magassouba, est avant tout un magistrat. Il est un syndicaliste et, d’ailleurs, il était présent au moment de la création du SAM. C’est dommage que certains aient vu d’autres aspects en cette visite, car il a cru bon de contribuer à la recherche de solution. Quant il était à la Primature, il a joué un rôle déterminant dans la résolution de certaines crises. Il nous a appelés pour nous faire comprendre son point de vue. Nous nous sommes donné des conseils et nous nous sommes quitté sur de très bons termes. Et tout ce qui profite à la magistrature bénéficie directement à Mahamadou Magassouba. Il n’y a jamais eu de problème entre le directeur de cabinet du Premier ministre et les magistrats. Nous tenons encore une fois à le saluer pour son engagement. Nous profitons aussi pour saluer Maître Mamadou Ismaïl Konaté, ministre de la Justice et des Droits de l’Homme, Garde des sceaux, qui n’a jamais cessé de défendre la cause des magistrats. Il a toujours été aux côtés des magistrats depuis le début de cette crise.
Source: Le Prétoire