La Gambie libérée de la tyrannie de Yahya Jammeh, l’on devrait juste se réjouir et remercier le Ciel d’avoir aidé à résoudre cette crise qui paraissait pourtant des plus complexes. En particulier, la question de celui dont l’intervention a été plus décisive dans l’issue heureuse qui a été trouvée ne devrait pas se poser. Pourtant, c’est désormais une question qui se pose, notamment entre la Guinée et le Sénégal. Alpha Condé et Macky Sall incarnant chacun l’une des approches antagoniques qui étaient envisagées, on en est à se demander qui a gagné. D’autant qu’autour de la crise gambienne, se jouait aussi en filigrane la bataille pour le leadership régional, titre symbolique resté vacant depuis la chute de Blaise Compaoré.
Le triomphe du pacifisme
Au final, qu’est-ce qui a décidé Yahya Jammeh à entendre raison ? Selon qu’on soit à Conakry ou à Dakar, la réponse à cette question diffère. Au sein d’une large partie de l’opinion publique guinéenne, on pense que c’est le pacifisme d’Alpha Condé qui a ultimement triomphé du bellicisme de Macky Sall. Il est vrai que le président guinéen, depuis le début de la crise, a courageusement défendu l’approche par le dialogue. Une ligne à laquelle il est resté fidèle même quand Yahya Jammeh, faisant montre d’un entêtement suicidaire, rejetait les unes après les autres les propositions de solution des émissaires successifs de la CEDEAO. Et à en croire les partisans du président guinéen, c’est cette constante pondération de la part d’Alpha Condé qui a payé durant les négociations ultimes. L’ex-président gambien aurait cédé à la requête du numéro un guinéen en guise de reconnaissance à l’amitié que ce dernier lui a témoignée au moment où il faisait l’objet d’un rejet quasi-unanime de la part des autres dirigeants de la sous-région. Naturellement, côté guinéen, le fait que Yahya Jammeh ait transité par Conakry avant de rejoindre Malabo est symptomatique du succès diplomatique qu’Alpha Condé récolte de la crise gambienne. Un succès qui n’est certainement pas de trop pour celui qui postule pour succéder à Idriss Deby Itno, à la tête de l’Union Africaine.
Macky Sall, recours régional
Mais comme on peut l’imaginer, ce n’est pas la même lecture qu’en font les Sénégalais. De ce côté, on estime que tout le mérite revient à Macky Sall qui, à l’occasion, s’est posé en recours régional pour la préservation de la démocratie. Faisant valoir une intransigeance non dissimulée, le président sénégalais a su mobiliser l’ensemble de la région autour de son approche. C’est ainsi que le Nigéria, le Ghana, le Togo, le Mali et dans une moindre mesure la Guinée Bissau en étaient venus à fournir les contingents de la coalition régionale qui s’apprêtait à prendre d’assaut Banjul. Le Libéria et la Côte d’Ivoire, même sans fournir de troupes, étaient également plutôt alignés sur la position du Sénégal. Et le dernier groupe composé de la Sierra Léone, du Niger, du Burkina Faso et du Cap-Vert, a préféré ne pas prendre de position. Au-delà de la région, le président sénégalais avait réussi à rallier à sa cause l’Union Africaine et le conseil de sécurité des Nations unies. Un lobbying diplomatique qui avait fini par se répercuter sur les soutiens internes du président Yahya Jammeh. Au point que des défections commençaient à se manifester au sein de l’armée même. Du coup, au Séngal, on pense que c’est cet activisme diplomatique et les pressions qui en ont résulté qui ont fait céder Yahya Jammeh. La médiation d’Alpha Condé n’étant alors qu’un prétexte dont s’est malicieusement servi l’ancien président pour sauver la face.
L’Afrique qui s’assume
Au-delà de ces deux positions, une troisième catégorie d’observateurs préfère louer les efforts de l’instance CEDEAO. En effet, selon les tenants de cette autre tendance, la menace d’intervention armée et l’approche par le dialogue, loin de s’opposer, sont davantage des démarches complémentaires dont s’est servie la CEDEAO pour obtenir le départ de Yahya Jammeh. Une initiative à saluer dans la mesure où elle est l’incarnation d’une Afrique qui prend en charge ses propres crises et qui, de ce fait, enlève aux puissances notamment occidentales tout argument susceptible de justifer l’interventionnisme sur le continent.
Boubacar Sanso Barry
Source: Ledjely