Dans son Rapport mondial 2017, Human Right Watch, dépeint un tableau très sombre de la situation des droits de l’Homme au Mali. L’organisation non gouvernementale dénonce tout particulièrement des violations qui ont trait aux traitements inhumains et dégradants, aux actes de criminalité, aux conflits communautaires et à la mauvaise gouvernance.
Des civils ont subi un nombre croissant d’incidents de criminalité, ainsi que les retombées des affrontements entre groupes armés.
Les élections locales, reportées depuis longtemps, ont eu lieu le 20 novembre, mais la violence et les menaces émanant de groupes armés ont empêché les électeurs de dizaines de circonscriptions locales de se rendre aux urnes.
L’insécurité a nui aux efforts consentis par le gouvernement malien et ses partenaires internationaux pour renforcer l’État de droit et apporter une assistance dans les domaines humanitaire, de l’éducation et des soins de base. La persistance des conflits intercommunautaires dans le centre et le nord du Mali a fait des dizaines de morts et a été exploitée par des groupes armés pour susciter un soutien et attirer de nouvelles recrues.
Les forces gouvernementales ont réagi aux attaques des groupes armés islamistes en lançant des opérations antiterroristes qui se sont souvent soldées par des arrestations arbitraires, des exécutions, des actes de torture et d’autres mauvais traitements.
Les institutions chargées d’assurer le maintien de l’ordre sont restées faibles.
La corruption a été généralisée à tous les niveaux du gouvernement, empêchant encore davantage l’accès des Maliens à des soins de santé et une éducation élémentaires. Un document tout simplement accablant. Le point!
Pour Human Right Watch (Hrw), en 2016, les civils maliens ont subi une situation de « ni guerre, ni paix », alors que la mise en œuvre de l’Accord de paix de 2015 destiné à mettre fin à la crise dans le nord du pays était au point mort, et des groupes armés affiliés à Al-Qaïda lançaient des dizaines d’attaques contre les forces de sécurité maliennes et les forces internationales de maintien de la paix, étendant leurs opérations vers le sud.
Outre l’insécurité résiduelle, Hrw révèle que les militaires ont réagi aux attaques des groupes armés islamistes en lançant des opérations antiterroristes qui se sont souvent soldées par des arrestations arbitraires, des exécutions, des actes de torture et d’autres mauvais traitements. Et condamne le fait que “les autorités maliennes n’ont guère pris de mesures pour enquêter sur les personnes impliquées dans des exactions récentes…et exiger que ces personnes rendent des comptes”.
Exactions perpétrées par des groupes armés
Tout au long de l’année 2016, selon Hrw, des groupes armés affiliés à Al-Qaïda, s’opposant aux groupes d’ethnies touaregs et arabes, ainsi que des milices soutenues par le gouvernement, ont pris part à de nombreux affrontements entre eux. Ils s’en sont également pris aux militaires maliens, aux forces neutres chargées du maintien de la paix et, dans une moindre mesure, aux travailleurs humanitaires et à d’autres civils. La présence croissante de groupes armés islamistes dans le centre du Mali a suscité une peur et englouti de plus en plus de civils dans le conflit.
En 2016, des groupes armés islamistes ont exécuté au moins 21 hommes, dont des civils et des membres de groupes armés, au motif que ceux-ci auraient été des informateurs du gouvernement et des Français menant des opérations de lutte contre le terrorisme.
Plusieurs civils ont été tués par des mines terrestres et des engins explosifs improvisés plantés par certains de ces groupes sur les routes principales.
En 2016, les agences humanitaires ont fait l’objet de dizaines d’attaques, perpétrées pour la grande majorité par des bandits.
En 2016, au moins 23 Casques bleus de l’ONU chargés du maintien de la paix dans le cadre de la Mission multidimensionnelle intégrée pour la stabilisation au Mali (Minusma) ont été tués et 108 blessés lors d’attaques perpétrées par des groupes armés islamistes, portant le bilan à 67 morts depuis la création de la Minusma en 2013. Des groupes armés affiliés à Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) ont revendiqué la plupart de ces incidents, dont une attaque en février qui a tué sept Casques bleus originaires de Guinée, et deux incidents en mai qui ont tué cinq Casques bleus originaires du Togo et cinq du Tchad.
Aqmi a revendiqué les enlèvements perpétrés en janvier d’un missionnaire suisse à Tombouctou et d’un médecin australien âgé au Burkina Faso. En octobre, un travailleur humanitaire américain a été kidnappé au Niger, portant à six le nombre d’otages étrangers que l’on estime être détenus par des groupes armés islamistes au Mali.
Exactions perpétrées par les forces maliennes
Le Rapport 2017 de Hrw épingle aussi les forces de defenses maliennes qui “ont commis de nombreuses exactions à l’encontre de personnes soupçonnées d’être des partisans ou des membres de groupes armés islamistes en 2016”. Parmi ces exactions, Hrw cite l’exécution sommaire d’au moins cinq détenus, la torture de plus d’une dizaine de suspects et des simulacres d’exécution et autres mauvais traitements infligés à de nombreux autres individus.
Les exactions les plus fréquentes et les plus graves ont été commises par des soldats de l’armée et par des membres de la milice progouvernementale appelée Groupe autodéfense touareg Imghad et Alliés (Gatia). Les exactions ont généralement cessé une fois les détenus remis entre les mains des gendarmes.
“Une vingtaine d’hommes accusés de crimes contre l’État et de délits liés au terrorisme ont été détenus en dehors de la protection de la loi au quartier général des services de sécurité de l’État”. Des membres des forces de sécurité ont aussi été impliqués dans de fréquents actes d’extorsion, de pots-de-vin et de vol visant des détenus. Les forces de sécurité ont réagi par une force excessive à des manifestations à Gao et Bamako, entraînant la mort d’au moins quatre personnes.
Les militaires n’ont guère consenti d’efforts pour enquêter sur les soldats ou miliciens impliqués dans des violations visant des civils ou exiger d’eux qu’ils rendent compte de leurs actes. Cependant, des progrès sont à relever dans les domaines de la dotation en personnel et en équipement de la Direction de la justice militaire à Bamako.
L’obligation de rendre des comptes
Des progrès en matière de lutte contre l’impunité ont été manifestes lors du procès de l’auteur du coup d’État du 22 mars 2012, le général Amadou Haya Sanogo, et de 17 coaccusés, parmi lesquels des membres des services de sécurité maliens, accusés de l’enlèvement et du meurtre en 2012 de 21 « Bérets rouges ».
Cependant, le gouvernement malien n’a guère avancé pour ce qui est d’exiger des comptes des responsables de nombreuses autres exactions commises pendant le conflit armé qui a frappé le Mali en 2012 et 2013. Parmi les crimes graves qui ont été commis figurent l’exécution sommaire par des Islamistes armés d’environ 150 soldats maliens à Aguelhok, des violences sexuelles et des actes de pillage généralisé perpétrés par divers groupes armés dans le nord du pays, ainsi que l’exécution extrajudiciaire, la disparition forcée et la torture de personnes suspectées d’être des rebelles islamistes par les forces de sécurité maliennes. À quelques rares exceptions près, les autorités judiciaires se sont abstenues d’enquêter sur plus d’une centaine de plaintes déposées par des victimes et des membres de leur famille.
Les autorités judiciaires ont enquêté sur certains cas de violence sexuelle perpétrés en 2015 et 2016 par des groupes armés dans le nord du pays, ainsi que sur un incident meurtrier de violences communautaires près de Dioura, ville du centre du Mali.
Le 27 septembre, la Cour pénale internationale (CPI) a condamné le Malien Ahmad al-Faqi al-Mahdi, ancien membre d’Ansar Dine, à neuf ans de prison pour son rôle dans la destruction de monuments historiques et religieux à Tombouctou en 2012. C’était la première fois que la CPI jugeait un individu accusé de ce crime de guerre et la première fois également qu’un prévenu comparaissant devant la CPI plaidait coupable. Les enquêtes de la CPI au Mali se poursuivent, mais elles sont limitées en partie du fait de la précarité de la situation sécuritaire dans le pays.
Justice en lambeau-Enfants soldats
En 2016, la Commission vérité, justice et réconciliation, créée par décret exécutif du président en 2014 et dotée d’un mandat de trois ans, a progressé. En décembre 2015, le Conseil des ministres a approuvé la nomination de 14 membres de la Commission et, en mai, dix commissaires supplémentaires ont été nommés. En 2016, la Commission, composée de 25 membres, a élaboré un plan de travail et démarré des recherches sur les atteintes commises par le passé. La crédibilité de cet organe a été mise à mal par le fait que le gouvernement n’a pas mené une consultation suffisante auprès d’un large éventail de parties prenantes pour décider de la composition de la Commission, de ses pouvoirs et de son degré d’indépendance.
La société civile malienne a vivement critiqué l’inclusion par la Commission de neuf membres de groupes armés et l’absence de représentants de groupes de victimes.
Le système judiciaire malien a pâti à travers le pays de négligence et de mégestion, notamment d’un manque de personnel et de contraintes logistiques. Ces insuffisances ont entravé les démarches destinées à résoudre le problème de l’impunité des auteurs de tous crimes, contribué à des atteintes au droit de bénéficier d’une procédure équitable et engendré des incidents d’auto-justice. Du fait de l’incapacité des tribunaux à traiter les dossiers de manière satisfaisante, des centaines de détenus font l’objet d’une détention prolongée en attendant d’être jugés.
En avril, le gouvernement a adopté un projet de loi conférant une plus grande indépendance à la Commission nationale des droits de l’homme et, en septembre, il a adopté un plan d’action de cinq ans pour renforcer les droits humains et l’accès à la justice.
En juillet, l’Assemblée nationale a prolongé l’état d’urgence, en vigueur depuis le 21 novembre 2015, suite à l’attaque d’un hôtel à Bamako, et ce, jusqu’en mars 2017.
Des groupes armés dans le Nord, y compris ceux qui sont alliés du gouvernement, ont continué de recruter et d’utiliser des enfants soldats. En 2016, au moins sept écoles du nord du pays ont été occupées à différents moments par des membres de groupes armés. Au moins six enfants soupçonnés d’avoir soutenu des groupes armés ont été placés en détention dans des centres gérés par l’État, ce qui constitue une atteinte à un protocole de 2013 qui stipule que les enfants doivent être placés dans un centre d’accueil géré par le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (Unicef).
Synthèse de Sékou Tamboura
Source: L’Aube