Ce décès « vient faciliter la remise en cause progressive de l’accord […] par la Majorité présidentielle », estime l’économiste et politologue congolais Justin Kankwenda.
« La majorité, qui avait accepté de reconnaître le statut de président du Conseil de suivi [de la transition politique (CNSA)] à Tshisekedi intuitu personae pourrait être tentée d’exiger un rééquilibrage qui remettra en cause l’ensemble de l’accord », déclare cet ancien haut-fonctionnaire onusien, dans un entretien avec l’AFP.
Pour Thierry Vircoulon, spécialiste de l’Afrique centrale enseignant à Sciences-Po Paris, le décès de Tshisekedi « arrive au plus mauvais moment pour la mise en place de la nouvelle transition ».
Il va « falloir se mettre d’accord sur une nouvelle personnalité d’opposition [à la tête du CNSA] alors même qu’il y avait déjà un désaccord sur la nomination du Premier ministre », poste brigué par le propre fils de Tshisekedi, Félix, dit M. Vircoulon à l’AFP.
Cela « va donc relancer les négociations entre le camp présidentiel et l’opposition et permettre de perdre encore du temps. Les élections en décembre 2017 dont le calendrier n’était déjà pas très réaliste sont de plus en plus compromises », pronostique-t-il.
Entré en dissidence en 1980, Tshisekedi a incarné à lui seul l’opposition congolaise pendant plus de 30 années de lutte, d’abord contre la dictature de Mobutu (1965-1997) puis contre ses successeurs à la tête du pays : Laurent-Désiré Kabila (1997-2001), et son fils Joseph Kabila.
Il est mort à Bruxelles mercredi à 84 ans, huit jours après avoir été transporté du Congo alors que la coalition du « Rassemblement » de l’opposition créée en juin autour de sa figure tutélaire négociait les modalités d’application de l’accord de la Saint-Sylvestre, et en tout premier lieu les postes ministériels.
– Test aux funérailles –
Ces négociations sont aujourd’hui dans l’impasse.
Conclu sous les auspices de l’Église catholique, l’accord de décembre ouvre la voie à une cogestion du pays entre le pouvoir et l’opposition jusqu’à la tenue d’une présidentielle censée se tenir fin 2017.
Âgé de 45 ans, M. Kabila a été réélu président face à Tshisekedi en novembre 2011 dans un scrutin marqué par des fraudes massives.
Son mandat s’est achevé le 20 décembre sans que la présidentielle devant désigner le prochain président congolais n’ait été organisée.
La Constitution lui interdit de se représenter mais un arrêt controversé de la Cour constitutionnelle l’a autorisé à se maintenir en place jusqu’à l’entrée en fonction d’un successeur élu.
Pour l’heure, toutes les familles politiques congolaises semblent respecter une sorte de trêve en mémoire de Tshisekedi, qualifié, même du côté du pouvoir de « père de la démocratie congolaise » pour son rôle lors de l’ouverture démocratique du début de la décennie 1990.
Mais passées les funérailles, dont la date n’est pas connue, la politique devrait reprendre ses droits, ou plutôt ses habitudes.
Jusqu’à présent, les discussions ont surtout porté sur le « partage du gâteau », selon l’expression congolaise consacrée : la distribution des portefeuilles plus que la façon d’organiser concrètement les élections dans le temps convenu avec un budget national mis à mal par la baisse des matières premières.
Pendant ce temps, à Kinshasa, mégapole de 10 millions d’habitants qui avait voté à 64% pour Tshisekedi en 2011, la grogne s’installe dans une population largement miséreuse qui voit ses piètres conditions de vie se détériorer chaque jour avec la dépréciation du franc congolais qui engendre une forte inflation.
Le ressentiment s’installe face à tout ce qui ressemble à un corps constitué : pouvoir, opposition et même l’Église catholique, pourtant encore auréolée de ses années de lutte contre la dictature mobutiste.
Tshisekedi absent, comment va réagir la population ?, s’interroge un analyste spécialiste du Congo, sous le couvert de l’anonymat. Pour lui, « le premier test de taille sera les obsèques » de l’opposant : « se dérouleront-elles dans le calme ? Sinon, quelle sera la réaction des forces de l’ordre ? ».
Pour cet analyste, la bombe à retardement sociale provoquée par la détérioration de l’économie congolaise risque de déstabiliser le Congo tout autant que les troubles récurrents qui continuent d’agiter un pays travaillé par des forces centrifuges depuis son indépendance.