Au moment où l’on se prépare à rentrer de plein pied dans la phase décisive de la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation (installation des autorités intérimaires et préparatifs du démarrage du cantonnement des ex-combattants) surgit la menace d’une nouvelle insurrection armée, qui pourrait partir, cette fois, de la Communauté des Noirs Kel-Tamasheqs (CNKT). Cette communauté ne cache plus sa frustration, choquée surtout d’avoir été exclue des discussions concernant un terroir qu’elle considère aussi comme le sien. La CNKT qui exige de l’Etat les mêmes droits reconnus aux autres communautés – son quota dans la composition des Autorités intérimaires, au sein du CSA et pendant l’intégration au sein des forces armées – n’exclut plus la possibilité de recourir aux armes si elle n’est pas prise au sérieux.
Longtemps secoué par une crise dont les racines s’enfoncent dans un irrédentisme touareg, le nord du Mali, se caractérise par sa complexité ; complexité surtout des communautés qui le peuplent. Parmi ces communautés figure celle des Noirs Kel Tamasheq communément désignée «Bella » ; Une communauté qui n’intervient, pratiquement jamais dans les prises de décisions, à cause de stéréotypes et une stigmatisation trainée au fil des siècles.
Un cliché qui a vite refait surface, lors de la crise de 2012. Avant, pendant et après les négociations, les «Bella» comme on les caricature, ont été superbement ignorés dans le processus, car considérés comme les «sujets» de la minorité des Tamasheqs ayant la peau claire. Une minorité qui a de tout temps imposé sa domination à la frange majoritairement noire.
C’est cette majorité qui est aujourd’hui dans une nouvelle posture de….révolte. Son combat ? Restaurer sa dignité en mettant un terme à ces stéréotypes qui auraient été «inventés» par la minorité blanche et malheureusement entretenus, semble-t-il, par l’Etat. Une situation vivement décriée par les membres de cette communauté regroupés au sein de la CNKT (Communauté des Noirs Kel Tamasheqs).
Ils se sont retrouvés, en conclave, à Bamako au cours d’une rencontre qu’ils ont intitulée 1èreconférence internationale de Bamako. La rencontre dont le thème porte sur «la Sécurité communautaire» a bénéficié d’un accompagnement de certains partenaires dont la MINUSMA. Initialement, ces assises étaient prévues pour être présidées par le Haut représentant du chef de l’Etat, le Général Mahamadou Diagouraga. Mais, le jour J celui-ci a fait faux bond, sans donner la moindre explication à sa volte face. Les travaux se sont, finalement, déroulés sans la participation du Général Diagouraga. Ce qui a fait courir toute sorte de supputations parmi les participants. Certains sont allés jusqu’à penser, à tort ou à raison, que le président de la République a (encore) été influencé.
En tous les cas, les Noirs Kel Tamasheqs, venus de toutes les régions et des pays voisins ont très mal apprécié cette dérobade du Haut représentant du chef de l’Etat; une autre manifestation du mépris à leur égard, selon un des membres de l’organisation. Dans les résolutions ayant sanctionné la rencontre (voir communiqué) la CNKT revendique son respect par les autres communautés du pays et demande à l’Etat de jouer son rôle pour mettre fin aux injustices et actes discriminatoires dont elle a toujours été l’objet.
Pour les négociations sur la crise du nord, la CNKT exige son quota dans la composition des autorités intérimaires et au sein de toutes les instances mises en place dans le cadre du processus du DDR.
«Seuls sont écoutés, au Mali, ceux qui prennent les armes… »
Dans un discours empreint de fermeté, Aboubacrine Mahamane Cissé, qui a été porté à la tête de la CNKT, a fait remarquer qu’aucune communauté n’est supérieure à l’autre au Mali. Selon lui, l’heure est venue de mettre fin à toutes les injustices dont les membres de sa communauté sont l’objet. Sa frustration ? Le respect et la grande considération accordée à la minorité blanche, une minorité qui, accuse t-il, s’est toujours signalée par des rébellions armées contre l’Etat central. Là où, a-t-il poursuit-il, les Kel Tamasheqs Noirs, ont toujours préféré (le travail) pour participer au développement du pays.
«C’est ce seul choix qui a conduit notre propre Etat à nous marginaliser et à considérer comme des citoyens de seconde zone», a fustigé le président de la CNKT. Qui fait au passage, une mise en demeure : «Jusque là c’est la minorité des Kel-Tamasheq (Blancs) qui a pris les armes contre l’Etat. Qu’adviendra t-il demain, si la majorité de cette communauté que nous constituons décidons aussi de recourir aux armes pour faire aboutir nos revendications ? Notre communauté regorge aussi d’hommes téméraires et de vaillants guerriers ; si à notre tour nous décidons de commettre des actes de criminalité, nous sommes capables de le faire et….jusqu’à Bamako», a-t-il menacé.
Pour le leader, si cela devait arriver, il ne faudra point en être surpris. Car, a-t-il fait savoir, les Noirs Kel-Tamasheqs ont, aujourd’hui, compris la réalité au Mali : il faut prendre les armes pour être écouté, respecté et considéré comme digne.
Oumar Diamoye
Source: L’officiel