Une délégation nationale composée de ministres, députés, maires et autorités locales de la région de Mopti s’est rendue à Tenenkou. Le député Issaka Idrissa Sankaré retrace les grandes articulations de cette mission. La mission avait pour but de s’imprégner des conditions de vie des populations. Son récit est certes inquiétant mais est réel.
«Nous avons dépeint la situation depuis des années, mais les autorités ne nous ont pas suivis. J’attends que mon ami, membre de la majorité présidentielle, interpelle l’exécutif sur l’absence de l’État central dans cette partie du pays. Il n’y a plus aucun préfet et sous-préfet, plus de policiers et de gendarmes, ni gardes (certaines localités n’en ont jamais eus d’ailleurs depuis l’indépendance). Les écoles ne fonctionnent pas dans certains endroits depuis au moins 3 ans. Les activités économiques liées aux travaux agricoles et à l’élevage sont arrêtées depuis des années. La conséquence est que les jeunes ont pris soit la destination de l’aventure ou pris des armes pour pouvoir rester sur leur terroir et protéger leurs familles et biens, d’autres pour se venger de l’histoire, régler des comptes ou se criminaliser tout simplement, car il n’y a plus de perspectives.
La thèse terroriste ou islamiste ne tient pas dans plusieurs localités. Si elle est avancée, c’est généralement pour «légitimer des activités criminelles». La cause réelle de tous ces actes, nous l’avons écrit souvent et d’ailleurs très souvent, est la mauvaise gouvernance. Les représentants de l’État central se sont rarement présentés comme une partie de la population à laquelle ils devraient rendre des services. Au contraire, ils l’ont souvent, et très souvent d’ailleurs, spoliée, intimidée ou injustement emprisonnée quand ils n’ont pas coalisé avec les criminels pour culpabiliser l’innocent. La vérité a été souvent achetée en nature ou en espèce. Ils ont souvent et très souvent tourné en dérision les autres représentants de l’État moins dotés de pouvoir de coercition, à savoir les maires et les chefs de village ou autres autorités locales comme les marabouts.
Aujourd’hui, comme hier, ce sont ces derniers qui sont restés sur place pour partager les souffrances des populations. Certains esprits malins les présentent comme des représentants de l’État. Peut-être. Mais ils se représentent et représentent les populations. Ils sont, comme on l’entend très souvent dans ces zones, sur la terre de leurs ancêtres. La nuance est importante, et elle constitue encore la petite chance pour l’État de commencer à exister pour ces populations en vue de réduire les fronts armés : ceux qui s’attaquent à ces populations parce que représentant l’État et les populations qui défendent l’âme des ancêtres, donc ni groupes armés indépendantistes, républicains, djihadistes ou terroristes, mais défenseurs de l’âme des ancêtres. L’État central a trop reculé devant l’ennemi voire l’adversaire, visible et invisible. Il est temps de changer d’approche et d’être ferme. Comment continuer à servir des fonctionnaires qui ne veulent pas le servir. Il faut recruter des agents de l’État pour ces zones par appel à candidature versus nomination. Il faut leur garantir le minimum de sécurité, le temps de leur permettre de convaincre les populations locales qu’ils sont différents de leurs prédécesseurs.
Naturellement, leur traitement doit être conséquent et prévoir une prise en charge de leur famille, surtout les enfants mineurs au cas où le pire se produirait. Il faut donner un vrai statut aux chefs de village et de fraction en leur conférant plus de pouvoir de décision au niveau de leur localité et les retirer de la vie politique partisane. Les marabouts doivent être valorisés dans ces localités : ce sont eux qui scellent les mariages et les divorces, règlent des contentieux. En raison de la distance et de la peur des représentants de l’État, les décisions des marabouts doivent être remises aux chefs de village puis de fraction, qui doivent se charger de les faire valider par l’autorité compétente à travers la mairie. Il faut revoir le statut des maires en interdisant les postes électifs aux opérateurs économiques, marabouts et analphabètes sans expérience d’actions de développement. La paix et la sécurité permettant le développement ou le développement permettant la paix et la sécurité doivent se construire autour de l’homme dans un environnement institutionnel respectueux de l’état de droit et des droits de l’homme. Notre avenir de nation en est fortement tributaire».
Honorable Issaka SANKARE
Source: Le Reporter