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Pensées pour Ibrahima Ly 1936-1989 : «Je veux réunir en une gerbe de feu toutes les espérances qui consument les déshérités»

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Il y’a 28 ans, un 1er février, disparaissait Ibrahima Ly, décédé des séquelles de sa longue détention dans les geôles du CMLN et de l’UDPM pour avoir dit Non dans un tract dénonçant le projet de constitutionnalisation du parti unique de l’époque. Lui et ses compagnons écopèrent de quatre années de détention dans les pires conditions faites de brutalités, d’humiliations quotidiennes.

Son roman «Toiles d’araignées», révélation de sa plume, fait découvrir l’univers lugubre de la sanglante dictature de Moussa Traoré et de ses complices. Mais ce qui caractérise Ibrahima Ly, ce n’est pas l’amertume de ses souffrances personnelles mais le regard aiguisé et critique qu’il jette sur la société de son époque et ses pratiques. En relisant «Toiles d’araignées» et surtout son deuxième roman «Les noctuelles vivent de larmes», on est frappé par l’actualité de son analyse et de sa lucidité par rapport au devenir actuel de la société malienne.

Mais auparavant, parlons un peu de l’homme qui n’aimait guère qu’on parle de lui.

Ibrahima appartient à cette génération de patriotes maliens et africains hélas en voie de disparition. Il avait le souci constant de son pays, de son peuple. Le patriotisme était la trame de sa vie. Cet idéal a illuminé son existence d’un bout à l’autre, n’excluant aucun sacrifice de sa part. Ibrahima faisait partie des êtres structurés par cette période qui a fait germer la race des bâtisseurs des indépendances africaines. Il était pétri de convictions fortes et fortement ancrées qui ont caractérisé son existence. L’indépendance, la souveraineté nationale au profit des populations, c’était cela son credo politique. Ibrahima s’y est consacré corps et âme. Il n’était point sectaire et avait compris bien auparavant, déjà sur les bancs de l’université, que les indépendances africaines, parfois obtenues après de grands sacrifices, n’avaient de chance de se concrétiser qu’à travers le panafricanisme. Pas n’importe lequel. Son panafricanisme n’a rien de commun avec celui de l’Union Africaine actuelle ou des communautés régionales qui ont, au contraire,  augmenté les liens de dépendance et de domination des pays africains par rapport à l’Occident. Son engagement panafricaniste qui s’affirma à la tête de la FEANF (Fédération des Etudiants d’Afrique Noire en France), lui a fait parcourir l’Afrique pour apporter son soutien aux mouvements de libération nationale et aux jeunes Etats africains indépendants.

Patriote, panafricaniste, Ibrahima était surtout un visionnaire pétri de courage et d’abnégation. Déjà au lendemain du coup d’Etat militaire de 1968, il affirma, et sans ambages, devant les nouvelles autorités que «l’histoire finira par réhabiliter Modibo Kéita». Après sa détention et lors de son exil à Dakar, Ibrahima fut le creuset de toutes les résistances à la longue dictature sanglante du CMLN et de l’UDPM. Malheureusement, il n’assista pas à la chute du régime, miné par les séquelles des tortures physiques et morales qui lui furent infligées pendant sa longue détention.

Venons-en à l’actualité de son regard.

Dans «Toiles d’araignées», au-delà de la description du monde terrible fait d’humiliations et de sévices, Ibrahima, dénonce surtout les travers d’une société dans laquelle le droit du plus fort a valeur de législation. La trame du roman met l’accent sur la collision permanente entre les milieux d’affaires, l’autorité administrative, politique et judiciaire et la force publique. Ibrahima fait partie de cette génération d’intellectuels africains soucieux de jouer pleinement leur rôle historique mais qui furent broyés par les systèmes mis en place au lendemain des indépendances, liés au maintien du statu quo permanent fonctionnant comme une méga machine dont la prison n’est qu’un rouage obscur.

Dans la plupart des cas, à quelques rares exceptions près, au système colonial s’est substitué le système néocolonial actuel des «Peaux noires, Masques blancs» que Frantz Fanon a si bien analysé dans l’ouvrage du même titre et surtout dans «Les damnés de la terre», œuvres fécondes, actuelles et inépuisables. L’apport de Ibrahima résulte surtout de l’éclairage qu’il apporte quant à la responsabilité des Africains eux-mêmes, de leurs sociétés, de certaines de leurs mœurs et traditions négatives qui constituent des freins immenses à l’émancipation de l’Afrique. Son deuxième roman, «Les noctuelles vivent de larmes», en est l’illustration parfaite. Ibrahima y dépeint sous une forme romancée la complicité de nos sociétés dans la traite des esclaves, dans les pactes signés par certaines chefferies africaines avec les colons, dans l’engluement de nos élites actuelles dans la corruption et le mensonge. Les valeurs de nos sociétés actuelles sont celles d’un monde où l’appât du gain facile, le désir de paraître constituent l’essentiel. Même les traditions saines d’entraide, de solidarité et de fraternité ont été détournées et dénaturées. Partout a surgi l’intérêt individuel au détriment de celui de la communauté. Il ne s’agit point de tout mettre exclusivement sur le compte de l’impérialisme occidental, mais de souligner la part de responsabilité de nos sociétés antérieures et des élites actuelles. Dans «Les noctuelles vivent de larmes», Ibrahima met l’accent sur une  Afrique «émiettée en Etats inconsistants, incapables de susciter une levée en masse de dévouements, attifée de sa kyrielle de drapeaux, comme un mendiant, de fripes bigarrées ; dans des espaces historiques différents, mais connexes.»  Il y souligne tout de même dans ce sombre chaos, l’émergence certes difficile d’une jeunesse honnête et d’esprit indépendant, «victime des marchands d’esclaves, de leurs rejetons, et de leurs émules du jour, porteurs d’une idéologie dominante que nulle révolution, jusqu’ici, ne vint ébranler.»

La corruption actuelle de nos sociétés trouve aussi ses racines dans le terreau de notre histoire, de nos cultures dont elle se nourrit des tares. Elle ne saurait être dissociée de la problématique de la place de l’individu dans nos sociétés, «hier condamné à l’esclavage, aujourd’hui instrument d’enrichissement aux mains des parents, des griots, des marabouts, des charlatans…». Revisiter Ibrahima pour mieux comprendre notre quotidien actuel est plus que nécessaire, surtout en ces périodes où l’horizon semble plus que bouché. Mais il revient à chaque génération de «remplir ou de trahir sa mission», comme le disait Fanon.

Pr. Issa N’Diaye

Février 2017

Bamako-Mali

Source: Le Reporter

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