Débuts sur fond de division de la Conférence d’entente nationale (CEN), prévue en principe pour le mois de mars prochain. En effet, une bonne frange de l’opposition se montre réticente, si elle ne décline pas tout simplement, sa participation à cette rencontre, jugée déterminante dans l’avenir politique du Mali. Or, il est impératif que l’initiative requiert l’adhésion totale et entière de toutes les forces vives de la nation. Tel n’est pas le cas pour le moment, à l’image de la déclaration de l’opposition démocratique et républicaine, précédée du niet de l’ancien Premier ministre Soumana Sako au président de la Commission préparatoire de la Conférence d’entente nationale.
Prévue au chapitre 2 de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali relatif aux «fondements pour un règlement durable du conflit », la Conférence d’entente nationale programmée par le président de la République Ibrahim Boubacar Kéïta pour le mois de mars rencontre déjà un obstacle de taille : la réticence d’un acteur majeur de la vie nationale, à savoir l’opposition. En effet, invités par le président de la Commission d’organisation pour participer à une rencontre d’information et d’échanges, le jeudi 16 février dernier sur l’organisation de la conférence d’entente nationale, les partis politiques de l’opposition ont répondu par une déclaration dont nous avons reçu copie. Dans cette déclaration, signée du chef de file de l’opposition, Soumaïla Cissé, ces partis prennent acte de l’invitation qui leur a été adressée par Baba Akhib Haïdara, également médiateur de la République.
Ils déclarent avoir toujours rappelé que : l’accord d’Alger n’est pas un bon accord car il comporte les germes d’une partition du pays ; l’existence de l’accord de paix ne doit nullement occulter la situation sécuritaire inquiétante dans le nord et le centre du pays ; la résolution de la crise requiert le nécessaire dialogue entre les différentes composantes de la nation.
Pour eux, l’immense campagne de sensibilisation organisée par le gouvernement autour de cet accord n’a eu aucun effet bénéfique pour le pays. Et pour cause : en 2016, 332 personnes dont 207 civiles ont perdu la vie dans le centre et le nord du Mali, soit une hausse de 121% des victimes par rapport à 2015 ; et l’année 2017 a déjà enregistré plus de 150 morts.
C’est pourquoi, l’opposition s’interroge si cette conférence peut atteindre ses objectifs si des dispositifs essentiels de l’accord ne sont pas effectifs et respectés à savoir la sincérité des parties Première garantie de l’aboutissement de l’accord (article 50) ; la promotion d’une véritable réconciliation nationale (article 46). Celle-ci est fondée entre autres sur la création d’une commission de lutte contre la corruption et la délinquance financière ; la création d’une Commission d’enquête internationale chargée de faire la lumière sur tous les crimes de guerre, les crimes contre l’Humanité, les crimes de génocide, les crimes sexuels et les autres violations graves du Droit international, des Droits de l’homme et du Droit international humanitaire sur tout le territoire malien ; la réaffirmation du caractère imprescriptible des crimes de guerre et crimes contre l’humanité et engagement des parties à coopérer avec la commission d’enquête internationale ; et la non amnistie pour les auteurs des crimes de guerre et crime contre l’humanité et violations graves des Droits de l’homme, y compris des violences sur les femmes, les filles et les enfants, liés au conflit.
Quid de l’appellation AZAWAD ? Là, l’opposition pense fermement que la conférence apparaît comme une manœuvre pour faire entériner de facto l’AZAWAD comme une réalité socio- culturelle.
Concertation nationale inclusive
Certes, « l’Opposition politique dans son ensemble prône la paix, la justice et rejette toute forme de violence comme moyen d’expression, condamne fermement le terrorisme sous toutes ses formes, le trafic de drogues et tous les crimes en bandes organisées dans notre pays ». Mais, au moment où la crise sécuritaire s’aggrave de jour en jour, où les engagements n’ont pas été tenus et où aucun délai n’est respecté, elle émet de sérieuses réserves quant à la pertinence et à l’opportunité de l’organisation d’une telle conférence.
Dès lors, conclut la déclaration, « l’opposition politique réaffirme que la seule solution pacifique viable et inclusive de résolution de la crise multiforme que connaît notre pays passe par la tenue d’UNE CONCERTATION NATIONALE INCLUSIVE regroupant l’ensemble des forces vives de la nation autour des problèmes institutionnels, de défense, de sécurité, de gouvernance et de développement ».
Quant à Soumana Sacko, ancien Premier ministre et président de la CNAS-Faso Hèrè (Convention Nationale pour une Afrique Solidaire) ainsi que l’ADPS (Alliance des Démocrates Patriotes pour la Sortie de crise), il n’a pas mis toute cette souplesse des mots pour décliner l’invitation du Président de la Commission préparatoire : « …En conséquence, en ma triple qualité d’ancien Premier Ministre, de leader de ces deux organisations politiques et de citoyen malien, je suis au regret de décliner votre invitation à un entretien sur l’objet de votre lettre, tout en vous assurant que la CNAS-Faso Hèrè et l’ADPS restent disponibles pour poursuivre, avec toutes les forces patriotiques, républicaines, démocratiques et progressistes, la recherche tous azimuts des voies et moyens d’un renforcement durable de l’unité nationale, d’une restauration complète et définitive de l’intégrité territoriale du Mali ainsi que d’une refondation démocratique globale de l’Etat au service de la justice sociale et du plein épanouissement de toutes les couches et de toutes les régions de notre pays ».
A l’appui de ses arguments, l’ancien Premier ministre met en avant le fait que aussi bien la Cnas-Faso Hèrè que l’Adps ont toutes les deux fermement condamné l’Accord d’Alger, lequel non seulement viole la Constitution de la République du Mali, y compris le caractère républicain, démocratique, unitaire et laïc de l’Etat, mais représente aussi une prime à la rébellion armée, au djihadisme et au crime organisé ainsi qu’une menace grave pour l’unité nationale et l’intégrité territoriale de notre pays.
C’est pourquoi, dit-il, fidèles aux idéaux et aux valeurs du 22 septembre 1960 et de la Révolution du 26 mars 1991, fermement attachés à la recherche d’une réconciliation nationale véritable qui ne consacre pas l’impunité ni ne cautionne la survivance ou la résurgence des forces esclavagistes, féodales, racistes et obscurantistes, « la Cnas-Faso Hèrè et le regroupement politique dont elle est membre ont décidé qu’ils ne participeront, ni de près ni de loin, à aucune activité entrant dans le cadre de la mise en œuvre dudit Accord ».
Sékou Tamboura
Source: L’Aube