L’actualité malienne est à l’installation des autorités intérimaires dans les régions septentrionales du pays, prévue à partir du samedi 18 février 2017. Sur «proposition du gouvernement malien», le nom de ceux qui présideront les assemblées régionales, ou dirigeront ces autorités, a été révélé. Un responsable de la Cma (Coordination des mouvements de l’Azawad), une alliance entre groupes armés, a indiqué que ces désignations ont été faites suite à des concertations entre les parties signataires de l’Accord pour la paix, issu du processus d’Alger. L’émotion est grande au sein des populations. La «Lionne noire du désert», Fatoumata Harber, professeur à l’IFM Hégire de Tombouctou (Institut de formation de maîtres), activiste, secrétaire générale de la communauté des blogueurs du Mali, a répondu à nos questions.
Comment cela se passe-t-il sur place à Tombouctou ?
À Tombouctou, nous vivons au jour le jour. Nous savons que le gouvernement malien est capable de tout dans cette histoire de paix qu’il colmate comme il en a pris l’habitude depuis les premières rébellions. Chercher les origines du problème pour y apporter une solution durable semble être le dernier de ses soucis. Nous autres, populations, qui n’avons jamais pris les armes contre le Mali parce que nous avons le Mali et notre patriotisme dans le sang, ne pouvons que nous résigner et regarder ceux qui ont été mis au pouvoir se payer notre tête.
Quelles informations les Tombouctiens reçoivent-ils ?
Nous savons que les chefs des groupes armés sont traités comme des pachas par Bamako qui les loge dans les grands hôtels et leur verse des millions chaque mois, alors que nous n’avons pas le strict minimum pour vivre. À Tombouctou, les hôpitaux manquent de tout. MSF (Médecins sans Frontières), les seuls humanitaires qui s’occupent des populations sur le plan sanitaire, vont partir. Les enseignants du nord sont en grève. Les élèves reçoivent leurs bourses en retard, du moins quand ils les reçoivent. Les populations sont pillées et tuées dans l’indifférence totale de ces fameuses autorités maliennes. Ce sont des jeunes qui n’étaient pas dans les groupes armés que les autorités cantonnent et désarment, en faisant venir des jeunes désœuvrés de tout le Mali contre paiement du prix d’une arme.
Qui a choisi les autorités pour la région de Tombouctou ?
Nous ne savons pas exactement qui a choisi les autorités intermédiaires pour Tombouctou. On dit que c’est la CMA. Ce sera bien elle, car les autorités maliennes jouent un jeu trouble que nous n’avons jamais compris. La CMA, avec en son sein des groupes armés comme les séparatistes du MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad), a tué bon nombre de Maliens impunément, avant, pendant et après les événements du voyage à Kidal du Premier ministre de l’époque, Moussa Mara, en mai 2014, sans que ceux qui disent représenter les autorités maliennes ne nous fassent comprendre que cela ne leur convient pas, bien au contraire. Face à la CMA, indépendantiste et fortement colorée sur les plans ethnique et racial, les autorités maliennes sont si soumises qu’ils nous poussent à réfléchir…
Comment la population de la région de Tombouctou réagira-t-elle ?
Cette fois-ci, nous gronderons. Nous dirons NON à cette ignominie. Comment les mêmes personnes qui ont brûlé les actes de naissance de nos enfants dans les bâtiments du CAP (Centre d’Animation pédagogique) de Tombouctou, qui ont invité AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique) dans le septentrion malien, qui ont détruit les petites infrastructures dont nous disposions, comment ces gens peuvent-ils revenir avec un vernis de légitimité que leur accorde sans gêne le gouvernement malien ? Comment pourrions-nous accepter que ceux qui ont détruit nos vies prennent le pouvoir ? Nous n’accepterons jamais cela.
Quelles sont les réactions des autorités élues qui vont être remplacées ?
Elles sont déconcertées et s’y opposent. Les responsables religieux et chefs traditionnels aussi. Ils veulent la paix, mais pas à ce prix. Il y va de notre dignité ! La Paix doit se faire entre les populations, les communautés, les ethnies.
Quelle est votre propre réaction face à l’installation de ces autorités intérimaires et aux patrouilles mixtes ?
Je considère que c’est un hold-up démocratique que je refuse. Ces gens sans compétence ont pris les armes pour obtenir le pouvoir. On les installe sans consulter la population. Les règles de la démocratie sont pourtant simples. Les dirigeants doivent être élus. J’exige des élections. Mais avant, il faudra désarmer ces bandits qui ne font tout cela que par amour de la paresse. Les patrouilles mixtes accentueront notre insécurité. Un ancien déserteur n’est pas digne de confiance, j’insiste sur la nécessité de désarmer ces gens, et de restaurer la souveraineté de l’armée malienne.
Êtes-vous optimiste quant à l’avenir ?
Non, je suis pessimiste. Je ne vois que des actions au profit de certains qui appartiennent aux camps engagés dans ce conflit. Cette situation de «non-paix» semble les arranger. Ils feront tout pour qu’elle subsiste et domine la volonté de certains de mettre fin au conflit.
Propos recueillis par Françoise WASSERVOGEL
Source: Le Reporter