« Protégeons les enfants de la guerre », c’était le thème d’une conférence internationale organisée par la France et l’Unicef, ce mardi 21 février à Paris, dix ans après la convention au cours de laquelle 105 pays s’engageaient à lutter contre le recrutement d’enfants dans les groupes armés. Quel bilan, quelles pistes pour intensifier la lutte ?
Général Roméo Dallaire, vous avez dans les années 1990 commandé la Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda (Minuar). Vous avez d’ailleurs consacré un ouvrage J’ai serré la main du diable : la faillite de l’humanité au Rwanda. Depuis vous vous êtes engagé dans le combat contre le recrutement et l’exploitation d’enfants soldats au sein de l’institut qui porte votre nom. Depuis 2007, en dix ans, 65 000 enfants ont été libérés de leur statut de combattant. C’est satisfaisant pour vous ?
Général Roméo Dallaire : Qu’on en sauve un, c’est déjà un point de départ important. Mais ce qui nous tracasse, c’est qu’on a ce nombre tout de même significatif d’enfants sauvés, mais on continue à recruter au même rythme.
Qui recrute le plus et sur quel continent ? L’Afrique est-elle toujours aussi « pourvoyeuse » d’enfants soldats ?
Oui. Malheureusement, elle détient presque 40% des enfants soldats, mais on voit la nature de l’utilisation des enfants soldats qui change, qui devient encore plus agressive. Quand on voit les shebabs, Boko Haram et Daech, alors non seulement les nombres n’ont pas diminué, même si on a pu en sauver, mais ce qu’on voit c’est la nature même de l’utilisation des enfants qui devient plus une utilisation choc, extrême des enfants dans ces conflits qui demeurent hyper durs.
Pourquoi de grands pays, comme le Nigeria par exemple, sont-ils encore réticents à s’engager dans cette Convention de Paris qui pose les bases de la lutte ?
C’est intéressant parce que leurs forces armées font face à des enfants soldats et ils sont venus chez nous, à l’initiative de la fondation Roméo Dallaire, pour trouver des méthodes pour entraîner leurs forces armées à faire face aux enfants soldats, particulièrement de Boko Haram qui sèment la peur, la crainte. Des conflits nourrissent les conflits presque ad vitam aeternam.
Vous voulez dire que l’Etat nigérian n’a pas aujourd’hui finalement les moyens de mener à bien cette lutte, qu’il a besoin d’expertise, besoin de financement, besoin de programme pour y arriver ?
C’est beaucoup, cette expertise : c’est d’amener des outils, de professionnaliser leurs forces armées encore plus. Tout autant que chez nous, le Canada et l’Angleterre avec qui on a négocié, mais aussi les Hollandais qui cherchent également à avoir des tactiques qui vont les rendre plus efficaces pour faire face aux enfants soldats. Parce qu’on a des pertes chez nous, avec des enfants, qui affectent significativement l’état psychologique de nos soldats.
Quels sont sur le continent africain les pays qui vous inquiètent davantage ?
Celui qui nous intéresse particulièrement, c’est le Soudan du Sud qui s’effondre presque sous l’influence de recrutement par toutes les factions, toutes les entités du pays. L’Etat à utilisé des enfants massivement pour établir leur position de pouvoir. Et donc si on peut trouver une façon de réduire les forces et le recrutement forcé et la mobilisation de jeunes, on va pouvoir justement amener un processus de paix.
On a une idée de combien d’enfants soldats participent aux combats en ce moment au Soudan du Sud où la guerre a repris il y a trois ans ?
Des dizaines de milliers. Le chiffre varie d’une journée à l’autre parce que tout de même, on mobilise par force, on mobilise par conviction, on peut voir une mobilisation de 2 ou 3 000 enfants en l’espace de moins d’une semaine. Et pour cela, il faut aller convaincre les chefs que ce n’est pas leur avantage d’utiliser des enfants tant d’un point de vue légal, parce que le tribunal international considère ça comme un crime contre l’humanité ; et sur le volet opérationnel, les enfants ont tout de même une valeur limitée même si on doit les utiliser massivement, en ciblant des pays qui sont contributeurs de forces de maintien de la paix, on est capables de réduire le recrutement, et en se faisant on va réduire le nombre d’enfants.
Est-ce que dans des pays qui ont une tradition documentée de recours aux enfants soldats, par exemple la Sierra Leone, la situation s’est améliorée ces dix dernières années ?
Oui, la Sierra Leone est notre base d’essais. Nous y sommes depuis quatre ans et la Sierre Leone a des éléments dans ses forces armées maintenant développés au point où on inculque dans la nature même, dans la philosophie fondamentale de leurs forces armées professionnelles de ne pas recruter des enfants et la façon de réagir vis-à-vis des enfants, tant dans le pays qu’en opération. Ça marche, ils sont assoiffés d’avoir ces outils-là. Ils ne veulent absolument pas y retourner, tant du côté politique que du côté des forces de sécurité.
La clé pour sortir les enfants de leur condition de soldats, c’est l’éducation ?
C’est d’être bien informés parce que nous travaillons justement sur ces deux piliers : le pilier éducation et informer les jeunes sur comment ne pas être recrutés et aussi éviter des communautés, des parents ; mais l’autre pilier c’est inculquer dans l’esprit même des forces militaires, des forces de sécurité, dans ces pays-là que la situation aberrante d’utiliser les enfants.
Hier à la conférence de Paris, il a été question du Soudan du Sud où un commandant armé a négocié la liberté des enfants engagés dans le groupe Cobra contre une promesse de l’Unicef de construire des écoles, de mettre sur pied des formations. Cela peut être une monnaie d’échange l’éducation ?
C’est justement souvent un argument qu’on voit chez les forces particulièrement non étatiques de dire qu’ils ne peuvent pas réduire leurs forces parce qu’il n’y a aucun moyen social pour absorber ces enfants. D’ailleurs j’y étais à l’automne dernier, et j’ai réussi à négocier la libération de presque 300 enfants en permettant au même groupe de les transférer à l’Unicef, qui prend en main les jeunes et qui tente de mettre en place le système scolaire.
Tout ce que vous nous décrivez là, ça suppose évidemment des moyens financiers, une mobilisation importante de la communauté internationale. Elle est là aujourd’hui ?
Pas toujours. Elle est là raisonnablement dans les forces étatiques. Mais elle n’est absolument pas là pour toutes les forces non étatiques. Et il reste sept pays qui recrutent encore des enfants soldats d’une façon ouverte : le Yémen, le Myanmar, il y a encore le Congo qui est sur la liste, il y avait le Tchad récemment qu’on a pu enlever de la liste. Des pays sont en train d’œuvrer, sauf le Yémen, pour pouvoir créer des forces armées sans être dépendants des enfants.
Source: RFI