Le Directeur de publication du journal Le Figaro du Mali, Ammi Baba Cissé, qui a révélé un scandale sexuel impliquant directement le président de l’Assemblée nationale du Mali et sa secrétaire, il y a une dizaine de jours, ne se sent plus en sécurité dans son pays. Traqué, menacé et séquestré, c’est avec la peur qu’il vit désormais. Dans cette interview exclusive, il revient sur les détails de ce qui pourrait être considéré comme le plus gros scandale sexuel d’Etat en ce début d’année. Malgré les nombreuses pressions qu’il subit, le journaliste promet qu’il ne dévoilera jamais sa source et se dit prêt à un éventuel procès judiciaire. Lisez notre entretien réalisé le 13 février à la Maison de la presse.
Le Point : Pouvez-vous vous présentez ?
Ami Baba Cissé (ABC) : Je suis Ammi Baba Cissé, Directeur de publication du journal Le Figaro du Mali.
Vous avez publié récemment un article révélant un scandale sexuel impliquant un président d’institution de la République. Avez-vous été intimidé suite à votre publication ?
ABC : En Afrique, ce sont des situations qui n’étonnent personne, et je savais ce qui pouvait m’arriver après la publication d’un tel article, mais en journaliste convaincu, j’ai décidé de prendre mes responsabilités, en disant ce que les autres auraient aimé dire. Les langues commencent d’ailleurs à se délier. Il y a eu pire que l’intimidation puisque j’ai été enlevé et séquestré à travers toutes sortes de propositions. Des supplications aux propositions d’argent, en passant par des menaces de mort, j’ai tout subi. Le monde entier en a été témoin. Je ne me sens pas en sécurité, même jusqu’à présent, j’ai la conviction que des mesures doivent être prises afin que les journalistes exercent leur métier en toute quiétude.
Vous venez d’affirmer que vous êtes un journaliste convaincu. Les faits que vous vous venez de révéler sont-ils avérés ?
ABC : Un journaliste ne peut mettre sous presse des informations dont il doute de la véracité. S’ils veulent que des preuves soient fournies, quel qu’en soit le type, ce sera fourni (la partie incriminée notamment le président de l’Assemblée nationale, ndlr). Mais pour l’instant, je ne veux pas en parler. Si vous faites un constat, vous vous rendrez compte que les faits sont plus au-dessus de la vérité que du mensonge.
Vous vous attaquez au président de l’Assemblée nationale, couvert par l’immunité parlementaire. N’avez-vous pas peur ?
ABC : C’est normal d’avoir peur lorsqu’on est menacé, agressé. On peut même vous (parlant de lui-même, ndlr) faire disparaitre. Je ne me suis pas attaqué à un président d’institution, contrairement à ce que beaucoup de gens croient, mais plutôt à un acte répréhensible par la loi, qui de surcroît, n’a rien à avoir avec ni une institution, ni une république encore moins avec la morale. Pour moi, la manière de gérer la république doit changer. Désormais, ceux qui s’adonnent à de telles pratiques doivent rendre compte même s’ils sont libres de le faire ailleurs.
Qui est le vrai coupable selon vous ? La secrétaire ou le président de l’Assemblée nationale ?
ABC : Je ne peux pas répondre à cette question. C’est à la justice de le dire. Je ne suis qu’un journaliste qui a donné une information. Dans la procédure, si on devrait en arriver à une enquête judiciaire, ce serait aux juges de décider de qui aurait tort ou raison. Je n’ai jugé personne, je n’ai fait que donner une information.
Après la publication de votre article, vous avez été séquestré pendant près de trois heures d’horloge. Racontez-nous ce qui s’est passé dans ce laps de temps.
ABC : Le jour de la parution-même du journal (mardi 7 février, ndlr), j’ai reçu un appel du président de la Maison de la presse (Dramane Aliou Koné), qui m’a conseillé de me mettre à l’abri étant donné que plusieurs confrères étaient inquiets. C’est ce que je fais d’ailleurs depuis ce mardi. Le lendemain mercredi, je ne suis pas sorti. Le jeudi aux alentours de 10 h du matin, j’ai reçu un appel d’un monsieur qui travaille à la Fonction publique pour m’inviter à une cérémonie à midi. Finalement j’ai décidé de m’y rendre personnellement, en prenant le soin d’informer le président de la Maison de la presse, puisque celui-ci m’avait donné une consigne. J’ai décidé de m’y rendre au moyen des transports en commun. Au niveau du Grand Hôtel, des personnes à bord d’un véhicule m’ont bloqué le passage, m’ont encagoulé et m’ont amené dans un endroit, je ne sais où. Ils m’ont dit de ne pas m’inquiéter car ils ne me feront aucun mal, que tout ce qu’ils souhaitaient est que je leur révèle ma source. Durant trois heures de temps, ils ont tenté par tous les moyens de me soutirer des informations, en me proposant même de l’argent.
Combien vous ont-ils proposé ?
ABC : Ils n’ont pas donné de montant, ils ont juste dit ceci : « On peut tout te faire. Ce n’est pas toi qu’on veut, mais plutôt celui qui t’a donné l’information ». Je leur ai répondu que je ne pouvais pas leur révéler de nom car je protège ma source. Ensuite ils m’ont dit que ceci : « Vous savez, ce qui est arrivé à vos confrères pourrait vous arriver si vous ne coopérez pas. » Je leur ai répondu que je venais juste de quitter ma rédaction qui savait où je me rendais et que j’ai reçu le coup de fil d’un ministre qui m’y a invité, s’il arrivait quelque chose, ce serait imputable au ministre. Malgré la peur que j’ai eue, c’est ce que je leur ai dit et c’est peut-être ce qui les a dissuadés. Ils sont allés me jeter derrière le stade Omnisport (le stade Omnisport Modibo Keita est situé à moins d’un km de la Maison de la presse, sur la route de Sougouni-coura, ndlr).
Avez-vous été violenté physiquement ?
ABC : Non, ils ne m’ont pas violenté physiquement. La question que je me posais, c’est comment ils ont pu connaitre le lieu où je me rendais ? J’ai d’abord pensé que le coup de fil que j’avais reçu était un piège. Mais je me suis rendu compte plus tard, la nuit en recoupant mes informations, que la cérémonie où je me rendais avait bel et bien eu lieu. Je ne peux pas dire que ce sont des agents de la police, ni ceux de la Sécurité d’Etat car je n’ai aucun indice pour le confirmer.
Mais, était-ce des militaires ou des civils ?
ABC : C’était des gens habillés en civil, sans que je ne puisse dire exactement qui sont-ils.
Vous dites que vos ravisseurs ont tout fait mais que vous avez refusé de révéler votre source. Est-il possible qu’un jour, pour votre propre sécurité, vous révéliez votre source ?
ABC : Non, je ne peux pas révéler ma source. Je tiens beaucoup aux principes fondamentaux du journalisme. C’est la principale règle de mon métier : on ne dévoile jamais sa source. Je ne dévoilerai jamais ma source. Personne, de tous ceux qui m’appellent depuis lors, ne m’a jamais dit que ce que j’ai révélé n’était pas vrai. Ceux qui en doutent, c’est une autre histoire. De hautes personnalités ont voulu que je leur révèle ma source, mais je ne peux pas le faire. Je ne suis plus seul dans cette lutte. Je demeure convaincu que mon intention n’était pas d’humilier qui que ce soit. Je ne regrette nullement l’acte que j’ai posé, je n’irai pas jusqu’à dire que si c’était à reprendre je ne le ferai pas.
Quelles sont les personnalités qui vous ont contacté ?
ABC : Je ne peux pas du tout vous le dire. Ce sont des choses que je dirai un jour. Pas ici peut être (l’interview a été réalisée à la Maison de la presse, ndlr). Ils ont déjà choisi des confrères pour me dénigrer et me contredire parallèlement. Mais un jour, on saura toute la vérité.
Qu’allez-vous faire en cas de procès ?
ABC : Je suis un journaliste, un républicain. S’il y a procès, ce sera à la justice de trancher, au vu et au su de toute la République.
Avez-vous, dans votre démarche journalistique, tenté de joindre l’intéressé pour avoir son avis avant la publication de l’article ?
ABC : Mais évidemment oui ! Je vous ai dit que je tiens au respect des principes. Je ne suis pas un inconnu de l’Assemblée nationale, mais lui il n’a jamais voulu me recevoir. Il a même déjà eu à agresser des journalistes.
Seriez-vous prêt à un éventuel règlement à l’amiable ?
ABC : Je l’ai toujours répété, je n’ai pas commis de crime. S’il s’avère que ce que j’ai dit n’est pas vrai, ce serait un délit. Même les guerres mondiales se sont réglées autour d’une table. Je respecte beaucoup l’Assemblée nationale de mon pays et j’ai couvert de grands événements parlementaires. Même devant la justice, on peut demander un règlement à l’amiable. Mais chaque fois qu’ils feront sortir des choses qui ne sont pas du tout vraies, par souci d’équité et de sincérité, nous devrons rétablir la vérité. Ce sont certains confrères qui émargent en ce moment qui mettent de l’huile sur le feu. Quant à moi, je suis prêt à arrêter si la République veut que j’arrête.
Avez-vous pensé aux conséquences d’une telle révélation ?
ABC : Certains journalistes ont des informations qu’ils vont monnayer, ce n’est pas mon cas. Je vérifie mes informations en citant des sources contradictoires souvent, pour le besoin de l’équilibre de l’information conformément aux principes de mon métier. (Nous sommes interrompus à cet instant par un confrère qui sollicitait l’interviewé. Après quelques petites minutes, nous reprenons notre entretien, ndlr).
Je ne suis en guerre contre personne. Pourquoi les journalistes sont-ils inquiets ? Parce qu’ils ne se sentent pas en sécurité. Mon pays doit me sécuriser. D’autres corporations, à l’instar des journalistes, ne peuvent pas faire leur travail correctement, notamment les juges, qui exigent d’être dans des conditions de sécurité pour bien trancher. Ce que je crains aujourd’hui, c’est un règlement de compte qui peut passer par ma disparition physique comme ce fut le cas d’autres journalistes. Si un jour on doit me faire du mal, que ce soit à travers la loi, à travers la justice.
Votre dernier mot…
ABC : Je remercie les Maliens et le monde entier. Certains ont condamné, d’autres ont approuvé, c’est comme çà. Dans ma situation, beaucoup ont approuvé, applaudi cet acte. Ce n’était nullement dans l’intention de faire du mal à qui que ce soit. Les gens confondent souvent les institutions et les hommes. Pour moi, la différence existe bel et bien. Je demeure un journaliste, un républicain et un homme de convictions.
Propos recueillis par O. Roland
Source: Le Point