Plus d’un an et demi après la signature de l’accord pour la paix et la réconciliation nationale, Kidal n’est pas toujours sous le contrôle du gouvernement. La CMA continue d’exercer son droit de veto, en défiant l’autorité de Bamako. La contestation de la nomination d’un gouverneur touareg par le gouvernement à Kidal en est une parfaite illustration. Nous avons approché une fois de plus, le professeur Mohamedoun Dicko, pour son analyse éclairée sur cette situation.
Le Pouce : Le gouvernement du Malien vient de nommer un gouverneur à Kidal. Quelle lecture faites de cette nomination rejetée par la CMA ?
Mohamedoun Dicko : « En fait, je crois que souvent les gens oublient le contexte dans lequel nous vivons. Rapidement, ils veulent mettre tout le négatif sur le dos des organisations politiques comme la CMA. Il faut connaitre la situation et se dire qu’il ya tout un passé. Nous sommes dans un contexte extrêmement complexe et difficile. Nous sommes en face d’organisations politiques bien structurées, bien organisées. Ce n’est pas comme les autres rébellions des années passées. Les chefs des organisations comme la CMA et d’autres, sont des gens souvent éclairés. Certains ont même leur doctorat. D’autres ont été ministres. A mon avis, nous devons aborder cette question de façon sereine, en essayant d’être autant que possible objectif et en étant convaincu que ceux qui sont en face, sont nos frères, pas autre chose. Même s’ils se sont rebellés et causé des problèmes extrêmement graves, mais ce sont des Maliens. Il ne faut pas aller au délà de ça. Maintenant, pour ce qui concerne cette histoire de nomination de gouverneur, les gens de la CMA ont dit qu’il fallait d’abord les consulter. Je pense que compte tenu de la situation exceptionnelle que nous vivons, et ce qui prévaut aujourd’hui dans ce pays, l’insécurité et surtout ce qui s’est passé dans l’Adrar des iforas, il faut beaucoup réfléchir en prenant de telle décision. A mon avis, le gouvernement aurait dû informer à temps et demander l’avis de la CMA. Je crois que c’est très important. Même s’il n’y a pas réellement d’actions armées de la CMA ou des autres organisations, la situation reste grave. Nous devons être très prudents. La situation est loin d’être normale. Quand on est homme, à une situation exceptionnelle, il faut des solutions exceptionnelles. On doit garder son sang-froid. En réalité, l’Etat est coincé. L’Etat malien a perdu la bataille depuis longtemps. Nous ne devons jamais oublier cette réalité. Notre problème est de chercher à récupérer. Dans ce cas, il faut être très intelligent et lucide. Il faut inventer des solutions, des méthodes pour qu’il n’ya pas de crise de confiance entre le gouvernement et les groupes armés. Aujourd’hui, l’Etat doit reconnaitre son erreur en nommant le gouverneur de Kidal sans consulter la CMA. Ils n’ont pas dit qu’ils s’opposent à la nomination d’un gouverneur. Même si du point de vue de la loi, le gouvernement a le droit de nommer le gouvernement, mais compte tenu de la situation particulière, il faudrait faire attention. Même s’il n’ya pas d’affrontement, l’Adrar des Iforas est toujours en rébellion. Même si l’accord pour la paix est signé, cela ne veut pas dire que les groupes armés ne peuvent pas réagir sur certains points. Il ne faut pas confondre les choses. Honnêtement, le gouvernement a fauté. Il aurait dû faire très attention dans ce cas précis. Expliquer à la CMA les raisons de son choix, n’enlève rien à l’honneur ou la souveraineté du gouvernement. Il faut savoir là où on met le pied aujourd’hui. Ça ne va pas dans ce pays. Les gens n’ont pas confiance en ce gouvernement. La CMA n’a pas confiance au gouvernement. Ceux qui sont chargés de s’occuper des affaires du gouvernement, doivent très politiques. Ils doivent se dire qu’ils marchent sur des œufs. Il faut être très politique et pédagogue. Le gouvernement n’a pas le choix. Il faut être intelligent et gérer les choses avec sagesse et sérénité. Si le gouvernement veut la paix, il doit chercher à négocier avec la CMA. Il doit demander à avoir l’assentiment de la CMA. Si cela n’est possible, le gouvernement ne doit pas avoir honte à revenir sur sa décision. Tous les Maliens sont fortement attachés au respect de leur personnalité. Le gouvernement doit rapidement trouver la solution de Kidal avant qu’il ne soit trop tard. C’est son rôle. Un gouvernement fort et responsable doit trouver la solution pour que la CMA reconsidère sa position. J’ai le sentiment que le gouvernement a atteint ses limites. Au président de la république de voir ce qu’il faut faire. IBK doit reprendre la main. Comme on le dit en Afrique, le chef de l’Etat est le père de la nation. A ce titre, il a l’obligation de sauvegarder la cohésion, la paix. Pour ce faire, il doit pouvoir prendre des initiatives qui rassurent. C’est son travail. Ce n’est lui apprendre son travail et son métier. Il y a trop de bruits. On tourne en rond, mais rien ne semble évoluer. Les gens ne comprennent pas jusqu’à présent le sens « Un Peuple-Un But-Une Foi ». Au Mali, chaque peuple veut être totalement libre. Ce n’est pas par la force que cette situation va être gérée et maintenir les gens. La force, c’est pour un moment. C’est très difficile d’aller vers la paix. On a l’impression qu’une boîte s’est ouverte et propageant des problèmes. C’est pourquoi, le gouvernement ne doit pas se laisser aller vers des solutions qui n’ont aucun avenir, qui ne marcheront pas. On a intérêt à ce qu’on tous ensemble ».
Entretien réalisé par Jean Goïta
Source: La Pouce