En clair, l’épisode d’installations des autorités intérimaires sous l’égide du ministre de l’Administration Territoriale, de la Décentralisation et des Reformes de l’Etat, du Haut représentant du Chef de l’Etat pour la mise en œuvre de l’accord et de la médiation internationale a mis à nue la fragilité des bases sur lesquelles est fondé le processus de paix au Nord du Mali. Il a fallu de la haute diplomatie, dès fois du bric à broc et des protocoles d’entente pour en finir vite avec ce processus, dont la dernière étape concernera Taoudenit et la ville de Tombouctou ce matin, pourtant encerclée par les protestataires de la CJA.
Mission presque accomplie ! peuvent se dire, les émissaires en charge de la mise en place des autorités intérimaires. Ainsi, avec diplomatie, courage et méthodologie ils ont pu installer les fameuses autorités intérimaires au niveau de trois des cinq régions concernées. Surtout au niveau de celles considérées comme les plus difficiles (Kidal et Gao).
D’abord Kidal, où tous les voyants étaient au rouge en raison de la nomination par le gouvernement d’un Imghad comme gouverneur de la région, sans consultation préalable des autres parties. A cet effet, la réaction de la CMA (composée essentiellement des Ifoghas) ne s’est pas fait attendre. Elle fut vive et catégorique. A telle enseigne que le calendrier initial de ce processus fut revu. Ainsi, le 24 février, à la surprise générale, un nouveau calendrier fut adopté et porté à la connaissance de l’opinion publique nationale et internationale. Il prévoyait la mise en place des autorités intérimaires, respectivement à Kidal le mardi 28 février 2017, à Gao et Ménaka pour le jeudi 02 mars 2017 et à Tombouctou et Taoudenit pour le vendredi 03 mars 2017.
Kidal comme une tarte de beurre dans la gorge !
Dès la publication de ce nouveau calendrier, de nombreux observateurs n’ont pas manqué d’émettre des réserves sur l’étape de Kidal. L’on estimait que la situation est trop poreuse dans cette région pour qu’on puisse s’accorder les violons en ce petit laps de temps et faire reculer les durs de la CMA sur leurs positions. Comme la dernière fois, on s’attendait à une volte-face de dernière minute de la part de ce groupe armé, réputé pour sa rigidité dans ses revendications. Mais, il n’en fut rien. Comme sur des roulettes, tout s’est bien passé sans anicroche.
Conformément au calendrier édicté, le mardi 28 février, lors d’une cérémonie solennelle, tenue sous la présidence du ministre de l’Administration Territoriale, de la Décentralisation et des Réformes de l’Etat Mohamed Ag Erlaf, en présence du haut représentant du président de la République du Mali pour l’application de l’accord d’Alger, Mahamadou Diagouraga, l’Ambassadrice de France au Mali Madame Evelyne Decorps, des membres de la médiation internationales et des représentants des groupes armés, le colonel Hassan Fagaga, le président de l’autorité intérimaire de Kidal fut investi. C’était dans la salle de conférence de l’Assemblée régionale de la région de Kidal. Des locaux qui étaient entre les mains du HCUA, la branche de la CMA proche d’Iyad Ag Ghali.
La réussite de cette étape de Kidal était de bons auspices pour franchir les autres étapes en respect du calendrier. Après Kidal, la délégation devrait mettre cap sur les régions de Gao et de Menaka pour les mêmes cérémonies. Cependant le même jour, une grogne s’empare de la cité des Askia contre la mise en place des autorités intérimaires. Elle émanait de certaines organisations de la société civile, qui ont pris d’assaut avec armes l’Assemblée régionale de la ville.
La ‘’volonté de Gao’’ plie mais ne rompe pas !
Avec vigueur et menaces, une frange importante de la jeunesse de Gao s’est fait entendre contre la mise en place des autorités intérimaires. Leurs griefs se résumaient en deux points. D’abord la prise en compte des points inscrits à leur mémorandum, adopté après les événements de juillet 2016 et le refus d’admettre un membre de groupe armé comme président de l’autorité intérimaire de leur région. Faut-il le rappeler, concernant ce dernier point, celui qui fut préalablement désigné, Djibrila Maïga est membre de la plateforme et indexé comme proche du président de ce groupe, Me Harouna Touré.
De ce fait, derrière la CMFPR2 (Coordination des mouvements des forces patriotiques et de résistance n°2), des dizaines d’hommes armés, pour la plupart des jeunes ont occupé depuis mardi 28 février l’Assemblée régionale de la ville, tout en y interdisant tout accès. Comme de nombreux autres groupes armés, ils estiment être méprisés par la communauté internationale et le gouvernement dans le processus de mise en œuvre de l’accord et par ricochet le choix pour les autorités intérimaires.
Devant cette situation, les protagonistes de la mise en œuvre de l’accord n’avaient plus une grande marge de manœuvre, étant donné que ‘’les protestataires’’ réclamaient leur intégration dans les différentes instances, ou siègent des signataires de l’accord de paix. La résolution de cette situation, à leurs yeux, revenait à reprendre à nouveau tout le processus. Du coup, l’on présageait un nouveau blocage de l’installation des autorités intérimaires. Pour cela, le gouvernement et la médiation internationale n’avaient d’autres choix que de mettre sur la table de discussion les points inscrits dans la manifeste ‘’volonté de Gao’’. C’est ainsi que selon des sources sur place, le déplacement du ministre de la Réconciliation nationale, Mohamed El Moctar, a été rendu obligatoire, pour prendre langue avec les ‘’protestataires’’ de Gao.
Ainsi, les pourparlers engagés par le ministre El Moctar, soutenu par certaines notabilités de la région ont permis d’une part, la levée de siège des combattants du CMFPR2 et d’autre part, la mise en place des autorités intérimaires, le jeudi 02 mars. Cela après la signature d’un protocole d’entente.
Ce protocole d’entente, faut-il le signaler, a permis d’élargir le nombre des membres des autorités intérimaires de Gao de 11 à 21 dont 10 réservés aux jeunes et aux femmes sédentaires. Mais aussi, l’intégration de la CMFPR2 dans les organes et structures de suivi et de prise de décision nationales et régionales pour la mise en œuvre de l’accord, issu du processus d’Alger. D’où la reconnaissance officielle et définitive du statut de signataire de la CMFPR2 et de ses prérogatives.
D’autres accords de principe ont permis le dénouement de la situation. Au nombre desquels, le cantonnement des jeunes résistants sans armes de Gao, l’exécution immédiate des engagements signés entre le gouvernement et les mouvements de résistance suite à la marche du 12 juillet 2016. S’y ajoutent entre autres, la prise en compte des revendications des enseignants du nord, l’intégration des travailleurs licenciés de l’hôpital de Gao, la priorisation des jeunes de Gao dans le recrutement des 5000 jeunes. Le retour des déplacés et réfugiés, leur réinsertion et leur accompagnement.
Il a été aussi accordé la participation à la conférence d’entente nationale des mouvements de résistance civile, associations des femmes affiliées de la commission de travail pour la volonté de Gao et la CMFPR2. A l’occasion de cette conférence, sera discutée la création de nouveaux régions, cercles et communes conformément à la ‘’volonté de Gao’’.
Après Gao et Menaka, la délégation officielle est attendue ce matin, lundi 06 mars, respectivement à Tombouctou et Taoudenit pour la mise en place des autorités intérimaires de ces régions.
Tombouctou et Taoudenit attendent leurs ententes !
Si la situation fut décantée vite dans les régions de Kidal et Gao, jugées difficiles, l’autre perle de la manche sera l’étape de Tombouctou et de Taoudenit. Surtout au niveau de Tombouctou, où dès le milieu de la semaine, des combattants de la CJA (Congrès pour la justice dans l’Azawad) ont renforcé leurs positions dans tous les points névralgiques aux alentours de la ville pour s’opposer contre la mise en place des autorités intérimaires, initialement prévue pour le 03 mars avant d’être remise pour ce matin 06 mars. Comme le CMFPR2 à Gao, ce groupe armé sollicite, lui aussi, son intégration au processus de DDR et aux différentes commissions de la mise en œuvre de l’accord de paix. Il hausse de plus en plus le ton. Et ses responsables, n’excluent pas l’hypothèse d’assiéger les locaux de l’administration publique de la ville, malgré la présence de la MINUSMA et des FAMas. D’ailleurs, dans un communiqué mis sur les réseaux sociaux, ce groupe armé a invité les ONG et les humanitaires à faire des mouvements dans la zone comprise entre Tombouctou et Taoudenit.
A Taoudenit, on ne dénote pas, par contre, un quelconque risque d’embrasement. Cependant, dans un communiqué en date du 02 mars, les différents groupes armés, dont la CMA et la plateforme, regrettent vivement « une tentative inopportune » de leur imposer une nomination « inique et aberrante ». Avant de mettre en garde le Gouvernement contre « les conséquences dramatiques » qui découleront de cette décision. D’où une invite à la concertation des groupes armés et de la société civile pour la désignation de l’autorité intérimaire.
En tout cas, le président de la République, Ibrahim Boubacar Kéita, dans son intervention lors de l’ouverture du congrès de l’Organisation unitaire internationale des travailleurs (OUSA), tenu dans notre pays, a affirmé que rien n’empêchera la poursuite normale de ce processus d’installation des autorités intérimaires.
Il y’aura donc d’autres ententes pour conclure de bon ce processus, qui est issu d’une entente entre les groupes armés et le gouvernement. Cela, si l’on sait que l’accord prévoit « une période intérimaire » et non des autorités intérimaires. Le gâteau ne peut être plus partagé que ça. Plutôt, le territoire du Mali.
Moustapha Diawara