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Baba Ahmadou Danpullo : “L’Afrique est condamnée à émerger”

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ENTRETIEN. Quasi inconnu et pourtant homme d’affaires le plus riche d’Afrique francophone, Baba Ahmadou Danpullo a accepté de s’ouvrir au Point Afrique.

Le Cameroun, un paradis pour les investisseurs ? C’est ce qu’affirme Baba Ahmadou Danpullo, l’homme le plus riche d’Afrique francophone au sud du Sahara (fortune estimée à 940 millions de dollars) qui ne jure que par la diversification. Alors que l’économie de son pays est saluée pour avoir mieux résisté à la crise économique qui sévit en zone Cémac, l’homme d’affaires veut peser dans le débat.

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Carte du Cameroun avec ses différentes régions. © DR

Silencieux, obtus, méfiant, arrogant, discret… les mots ne manquent pas pour décrire Baba Ahmadou Danpullo, dit « Baba Danpullo » (fils de Peul) 67 ans, milliardaire camerounais à la tête d’un conglomérat florissant, Baba Ahmadou Group… et pourtant inconnu au bataillon ! Tous décrivent un trait bien particulier pour un homme dont le caractère peut par moment se révéler ombrageux. Et qu’il a lui-même sanctuarisé en faisant sien un proverbe de la sagesse africaine : « L’argent n’aime pas le bruit. » Comprenez « pour faire des affaires, il vaut mieux rester discret ».

Il a donc une sainte horreur des journalistes. Mais surprise ! Par ce mois de novembre 2016, il a une soudaine envie de se confier. Pourquoi ? Nous n’en saurons pas davantage sur ses intentions réelles, si ce n’est que l’Afrique, nouveau territoire de croissance économique, compte aussi, et même beaucoup de super riches qui ne sont pas tout à fait conformes aux standards internationaux – mais qui comptent assurément. Avec Baba Danpullo, exit le costume-cravate, les grosses cylindrées, les publications médiatiques, vous ne le verrez jamais en une de la presse people et pourtant c’est l’un des hommes les puissants. L’un des plus gros donateurs du parti au pouvoir aussi, le RDPC du président Paul Biya. Avec son éternel boubou, son visage plutôt renfrogné, et à l’air sévère ce sexagénaire né le 1er janvier 1950 est un Peul issu du nord-ouest anglophone du Cameroun. Aujourd’hui encore, il vit à l’air frais, à Ndawara, entre le mont Cameroun et les monts Mandara, au milieu de son élevage de plusieurs milliers de bœufs, de plantation de thé luxuriante. Un voisin bien tranquille – croyez-vous ? Eh bien, détrompez-vous ! Baba Danpullo est un entrepreneur au tempérament bagarreur, qui a parfois maille à partir avec ses voisins ou même l’État camerounais.

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Plantation de thé de la Cameroun Tea Estate. © DR

De l’agro-industrie à la téléphonie, l’immobilier, ou encore les médias, l’homme étend son empire, dont les chiffres ont été révélés en 2015 par le magazine Forbes Afrique. D’après une enquête minutieusement menée par des experts, on apprend qu’avec un peu plus de 30 % de parts, Baba Ahmadou Danpullo est le plus gros actionnaire camerounais du troisième opérateur local de téléphonie mobile, Viettel Cameroon SA, appartenant à l’entreprise vietnamienne Viettel Global Investment Joint Stock Company, concurrent des géants MTN et Orange. Actionnaire de la Sodecoton (11 %), il détient également des participations dans Cameroon Tea Estates et Aéroports du Cameroun. Et il est encore plus riche en dehors de son pays. Au Nigeria et en Afrique du Sud, il a investi dans l’immobilier, les centres commerciaux, dont la fameuse Marble Towers, à Johannesburg. Construit en 1973, cet immeuble est un véritable bijou de 152 mètres et 32 étages. C’est la troisième tour la plus haute de l’Afrique du Sud et la sixième à l’échelle du continent. Coût total de ses actifs immobiliers ? 400 millions de dollars rien que dans le pays de Nelson Mandela. Car ça ne s’arrête pas là, il détient aussi des actifs au Nigeria et même dans le pétrole en Angola. Et dire que selon la petite histoire toute cette aventure a commencé avec un premier prêt sans garantie de 500 millions de francs CFA ! C’est donc un homme rempli de contradiction, entre tradition et modernité, qui a décidé de tout dire sur son parcours, l’économie africaine, la mondialisation, l’avenir.

Le Point Afrique : Comment observez-vous l’évolution des affaires au Cameroun comparativement aux autres grandes économies du continent ?

Baba Ahmadou Danpullo : Sa stabilité politique à laquelle il faut ajouter sa position stratégique dans le golfe de Guinée et de leader économique en zone Cémac, ses considérables ressources naturelles et humaines, son potentiel énergétique, sa jeunesse instruite et dynamique, les réformes entreprises pour améliorer le climat des affaires, la diversification de son économie augurent d’un avenir prometteur et font du Cameroun un eldorado pour les investisseurs.

Au Cameroun, il suffit d’un peu d’efforts et de persévérance même sans moyens financiers importants pour que vous puissiez prospérer en affaires. Même avec un petit capital, vous pouvez grandir progressivement. Nous devons avoir un secteur privé très agressif ! Le Cameroun est la locomotive de la Cemac (Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale)avec son économie diversifiée, mais il ne semble pas profiter assez de sa position de leader.

Je vous rappelle que nous sommes au cœur d’un marché potentiel de près de 300 millions de consommateurs*. Pour conquérir véritablement ce vaste marché, nous devons non seulement continuer de renforcer la promotion de nos produits en zone Cemac et même en zone Ceeac * (Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale) mais surtout profiter de notre proximité avec le Nigeria.

En Afrique du Sud, le contexte est différent ! C’est celui des pays développés ! Sans fonds vous ne pouvez rien ! Au Nigeria, par contre vous avez besoin d’un portefeuille relationnel fourni pour pouvoir percer. La nécessité de fonds vient en deuxième position.

Quels sont les impératifs pour réussir un business en Afrique ?

L’Afrique regorge d’énormes potentialités, les opportunités de réussir dans les affaires sont nombreuses. Tout ce qu’il faut pour les Africains qui désirent se lancer dans les affaires, c’est le travail et l’endurance dans l’effort et la capacité de résilience. Le monde change très rapidement et il faut à chaque instant s’adapter.

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vue sur la Marble Towers, la troisième plus haute tour d’Afrique du sud, située au nord de Johannesburg. © DR

Pourquoi avoir choisi d’investir à l’étranger malgré le soutien à différentes périodes du pouvoir dans vos affaires ?

Un homme d’affaires doit investir partout où se trouvent des opportunités. Nous n’avons jamais obtenu de soutien financier de quelque État que ce soit. Nous avons simplement tiré profit de la stabilité politique pour développer nos affaires. Cela étant, nous pensons que l’État doit jouer le rôle de régulateur de l’activité économique ! Une réglementation attractive pour les investisseurs et la facilitation de l’accès au financement surtout pour les start-up et une fiscalité transparente et propice à l’épanouissement de l’entrepreunariat.

Vous qui avez anticipé cet impératif de diversification, quelles mutations voyez-vous poindre à un horizon de dix ans ?

Presque chaque décennie connaît un changement perceptible du monde. La vie en général et celui des affaires en particulier changent. Il faut donc se préparer en conséquence pour s’adapter aux changements.

Pour vous, quels impacts ont ces évolutions ?

En ce qui nous concerne, ces évolutions nous permettent de toujours nous améliorer pour être toujours prêt à affronter les défis. C’est pourquoi nous contribuons au développement personnel et collectif par la promotion d’une culture d’excellence au sein de nos entreprises. Donc pour nous, cela a un impact plutôt positif.

La mondialisation semble dominée par la compétition entre États-Unis, Asie et Europe. Quel rôle voyez-vous pour l’Afrique et ses entreprises ?

Contrairement aux États-Unis, l’Asie et l’Europe, l’Afrique est un continent encore vierge. La mondialisation a vraiment besoin de nos ressources pour s’épanouir. L’Afrique continuera à jouer son rôle de pourvoyeuse de ressources naturelles aux autres continents.

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L’immeuble “His Majestys” à Johannesburg. © DR

Pour vous, quelle est la finalité du capitalisme mondial ?

Le capitalisme mondial a pour finalité de placer toute activité humaine sur l’étendue de la planète sous son contrôle. L’Afrique doit prendre conscience de cette réalité et développer des stratégies de partenariats gagnant/gagnant.

Vous êtes, dit-on, l’homme le plus riche d’Afrique francophone, quel est votre état d’esprit aujourd’hui ?

J’ai été très surpris par ce classement et je le suis même encore d’ailleurs.

Il y a plus de quarante ans que vous êtes dans les affaires, comment avez-vous débuté ?

Je suis fils de paysan peul, produit d’une longue tradition d’éleveurs ! J’ai hérité de mon père la passion de l’élevage du bétail en particulier les bœufs et les chevaux. C’est uniquement quand je suis allé en ville que j’ai découvert qu’il y avait d’autres façons de faire des affaires. Mais le chemin vers la réussite n’a jamais été facile. Seul le travail comptait pour moi !

À cette époque, qu’est-ce qui vous a fait tenir, comment avez-vous successivement investi dans de multiples secteurs comme l’immobilier, l’agro-business, ou encore les télécommunications ?

L’unique chose qui m’a fait tenir, c’est le travail et la persévérance dans l’effort. On peut tout obtenir pourvu qu’on le veuille et qu’on soit patient. Rien ne peut s’obtenir sans effort ! Mon implication dans l’immobilier date de plusieurs années. S’agissant de la téléphonie mobile, cela remonte à prés de 15 ans que j’ai commencé à y réfléchir. Depuis cette époque, je me suis mis à la recherche de partenaires stratégiques pour chacun de ces secteurs.

Quelles erreurs avez-vous commises au départ, d’ailleurs avez-vous rencontré des difficultés à vous lancer ?

J’ai rencontré beaucoup de difficultés et commis un certain nombre d’erreurs ! Vous savez, quand vous entrez dans un domaine que vous ne maîtrisez pas encore, vous commettez des erreurs très souvent par naïveté. En général, on ne réussit pas dans la vie sans difficulté.

Quelle est votre vision du business, votre vision de manager et de l’entreprise ?

Notre vison du business est de contribuer à l’émergence de l’économie de mon pays le Cameroun et de l’Afrique en général en essayant d’avoir un impact positif sur la vie des gens. En tant que manager, nous souhaitons bâtir un groupe de niveau mondial et être leader dans tous nos secteurs d’activité.

Avez-vous des inquiétudes pour l’avenir du continent africain ?

Je suis un afro-optimiste convaincu ! Je n’ai donc aucune inquiétude pour l’avenir du continent. Je crois qu’il est plus facile de réussir les affaires en Afrique qu’ailleurs. Je crois que malgré les quelques foyers de conflits rencontrés encore çà et là, notre continent est encore vierge. Presque tout est encore à faire. L’Afrique est donc condamnée à émerger. Pendant plusieurs décennies, l’Afrique a été associée à la misère et la famine. Aujourd’hui, la tendance s’inverse ! Je crois que l’Afrique deviendra le filet de sauvetage des autres continents. Elle regorge d’innombrables ressources naturelles, une population jeune, dynamique et de plus en plus éduquée, un potentiel énergétique énorme.

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L’homme d’affaires camerounais est aussi présent dans l’agro-industrie, notamment le thé et le coton. © DR

Y a-t-il des sujets comme l’éducation, l’humanitaire ou d’autres qui vous préoccupent et pour lesquels vous souhaitez marquer votre époque ?

Lorsque nous créons une entreprise, c’est avec l’objectif de produire de la richesse ! Mais tout ne se résume pas à cela ! Il faut que les richesses trouvées concourent au mieux-être de notre communauté.

L’un des traits de caractère de l’Africain est sa solidarité. Cette vertu est encore plus marquée dans ma culture peule. En effet, pour nous, la vraie valeur d’un homme en ce monde se mesure au bien qu’il a fait autour de lui. À travers notre association Sodelco, nous venons en aide aux plus démunis. Nous nous investissons également dans la création des centres de santé et des écoles.

Pourquoi avez-vous choisi la discrétion pour mener à bien vos affaires ? Aujourd’hui, l’Afrique cherche à raconter une nouvelle histoire notamment ses success-stories, n’avez-vous pas envie de faire partie de ce renouveau ?

J’ai horreur du bruit au propre comme au figuré ! Ne dit-on pas que les affaires n’aiment pas le bruit. Je pense que tout homme d’affaires sérieux n’ira pas investir dans un pays politiquement instable ou un pays en guerre. Je préfère développer mes affaires à l’abri des fanfares. J’essaie d’être humble. Je trouve mon bonheur quand je passe incognito. Je suis très dérangé lorsqu’on parle de moi. Qui suis-je ?

* il s’agit des consommateurs de la Ceeac + le Nigéria

** Ceeac : Angola, Burundi, Cameroun, République du Congo, République démocratique du Congo, Gabon, Guinée équatoriale Guinée équatoriale, Tchad, Sao Tomé-et-Principe.

Source: Le Point.fr

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