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Moussa Mara, leader politique : “Pour le Mali, la corruption est plus grave que le problème du Nord”

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La session extraordinaire du conseil des ministres du 10 mars 2017 a examiné et adopté un projet de loi relatif à la révision de la Constitution du 25 février 1992. Et le lendemain, 11 mars, une session extraordinaire de l’Assemblée nationale a été convoquée pour examiner ce projet. Comme, entre autres innovations, on note la création prochaine d’un Sénat qui fait couler beaucoup d’encre et de salive. L’ancien Premier ministre et président du parti Yéléma (Changement/majorité) a donné au Le Reflet et à l’Agence Xinhua (Chine Nouvelle) son point de vue sur cette reforme et l’Office central de lutte contre l’enrichissement illicite dont les membres ont été nommés par la même session extraordinaire du conseil des ministres.

 Le Reflet : Qu’est-ce qui, selon vous, justifie cette subite accélération du processus de la réforme constitutionnelle ?

Moussa Mara : Pour moi, c’est le rattrapage d’un grand retard et non une accélération. Il faut savoir que dans ma Déclaration de politique générale (DPG) d’avril 2014, j’annonçais déjà une réforme constitutionnelle en indiquant que cela interviendrait suffisamment tôt dans le mandat du chef d’Etat pour que le débat ne soit pas pollué par des arrière-pensées électoralistes.

Ensuite il y a eu la signature de l’Accord de paix avec un contenu qui nécessite la réforme de la Constitution et cela dans la période intérimaire qui devait s’achever en décembre 2016. En conséquence, il ne s’agit nullement d’accélération mais d’engager enfin un exercice utile pour notre démocratie et notre pays.

Le Reflet : Qu’est-ce qui justifie au fond cette réforme ?

 Moussa Mara : Comme le communiqué de la session extraordinaire du conseil des ministres le dit et comme le chef de l’Etat l’a annoncé plusieurs fois, il y a trois justifications essentielles.

Il y a d’abord la nécessité de moderniser notre texte fondamental qui date de plus de 25 ans. Ce que voulaient déjà faire les présidents Alpha Oumar Konaré (1992-2002) et Amadou Toumani Touré (2002-2012). N’oublions pas surtout qu’un referendum était prévu le 29 avril 2012 avant que le coup d’Etat du 22 mars 2012 ne vienne annuler le projet.

Secundo, il y a la nécessité de conformer nos Institutions avec les textes internationaux que notre pays a ratifiés, notamment les règles de l’Uémoa qui nous obligent à créer une Cour des comptes en lieu et place d’une simple section de la Cour suprême.

Il y a enfin la nécessité d’intégrer dans la Constitution des innovations préconisées par l’accord pour la paix et la réconciliation nationale pour amener une plus grande stabilité au Mali à travers l’amélioration de la représentativité de nos Institutions.

Le Reflet : Certains observateurs disent que le projet, tel que conçu, va au-delà de la correction des insuffisances constatées dans l’exercice démocratique ?

Moussa Mara : Attendons de le voir, ensuite prenons le temps d’apprécier chacune des innovations et leurs motivations et engageons un débat franc et constructif entre toutes les composantes du pays avant le vote prévu le 9 juillet 2017.

La presse est interpellée et doit jouer son rôle d’information de la population pour que chacun en sache et vote à son âme et conscience. A ce titre, on peut déplorer le peu de temps qu’on risque d’avoir, après le Parlement, pour débattre de ce texte majeur pour notre pays. Mais, si on utilise tous les ressorts de communication disponibles, on peut rattraper ce retard

Moussa Mara (G)

Le Reflet : Quelle est la part de ses insuffisances constatées dans la crise que le Mali traverse depuis janvier 2012 ?

Moussa Mara : On peut citer la représentativité de nos institutions qui justifie la création du Sénat. Déjà cette création était prévue dans le projet du président ATT (Amadou Toumani Touré) en 2012. Il s’agit de faire en sorte qu’une institution, notamment le Parlement, émanation du peuple, puisse représenter véritablement toutes les forces vives du pays et toutes les diversités qu’il comporte.

Certains acteurs du pays, du fait de leurs activités socioprofessionnelles ou simplement du fait de leurs rôles et responsabilités dans leurs terroirs, ne solliciteront pas le suffrage des populations à travers des élections pour exercer une fonction représentative. Pourtant, ils sont représentatifs et souvent plus représentatifs que de nombreux élus. Il s’agit d’offrir à ces acteurs la possibilité d’exercer des fonctions représentatives et de jouer des rôles de stabilisation du pays par le fait que de nombreux Maliens se reconnaitront en eux.

Le Reflet : Au moment où des pays africains se débarrassent du Sénat, une institution jugée inutile et budgétivore, le Mali veut instituer un Parlement bicaméral. Qu’en pensez-vous ?

Moussa Mara : Vous passez sous silence le fait que certains pays suppriment le Sénat certes, mais d’autres le créent également comme la Côte d’Ivoire. On peut comprendre ceux qui avancent les raisons budgétaires pour demander la suppression du Sénat. Mais, on ne mesure pas souvent l’impact d’une institution qu’après sa suppression. Si une institution coûte 10 milliards chaque année, mais qu’elle permet au pays d’échapper à des conflits ou des troubles qui pourraient coûter 1000 milliards, est-elle rentable ou pas ?

De nombreux acteurs de la rébellion au nord en sont souvent arrivés à s’engager dans cette aventure, car ils ne trouvaient pas de moyens institutionnels pour exercer de fonctions représentatives au Mali. Ne pouvant exercer un mandat d’élus, ils ont pris des armes pour se faire entendre et essayer de se faire une place au soleil. On peut sans doute les blâmer. Mais, essayer de comprendre les situations et les analyser de manière lucide permet également de prendre des mesures pour stabiliser le pays et le faire avancer.

Le Reflet : Le Sénat peut-il est un outil de vitalité pour une démocratie ?

Moussa Mara : Le Sénat peut avoir d’autres avantages en plus de ceux avancés précédemment. Il y a des compétences dans le pays et dans la diaspora qui peuvent être de très bons parlementaires et compléter les députés dans le processus législatif ou de contrôle de l’exécutif. Ceux-ci n’ont pas forcément les moyens de se faire élire députés. Le Sénat peut être l’occasion de leur faire jouer ce rôle. Les territoires seront représentés dans le Sénat d’où la suppression de l’actuel Haut conseil des collectivités. Ce qui améliore la représentativité du Parlement.

Le Reflet : Le conseil extraordinaire des ministres de vendredi dernier a aussi approuvé la nomination des  membres de l’Office central de lutte contre l’enrichissement illicite. Est-ce que cette structure a sa raison d’être alors que nous avons la Cellule d’appui aux structures de contrôle de l’administration (Casca) et le Bureau du Vérificateur général dont les rapports ne sont que rarement suivis d’effet ?

Moussa Mara : Il n’est jamais trop tard pour bien faire. J’ai demandé le 9 décembre dernier, à l’occasion de la Journée internationale de la lutte contre la corruption que cet Office, qui a été créé en 2014 quand j’étais Premier ministre, puisse entrer en fonction rapidement.

Cette structure est différente de toutes celles existantes, car elle est tournée exclusivement vers les patrons, les décideurs, les dépositaires de pouvoirs publics et ne vise qu’à traquer l’enrichissement illicite de ces derniers. Aucune autre structure n’a jamais eu cette ambition.

Si vous suivez la France, vous vous rendrez compte qu’il a créé en 2014 l’Autorité de transparence de la vie publique avec un parquet financier qui a mené l’enquête sur la dernière affaire concernant M. François Fillon. Nous devons évoluer vers une structure très forte qui se concentrera sur les chefs, car la corruption est d’abord et avant tout une question des chefs dans notre pays. Comme les Maliens sont sceptiques, quand on commencera à sanctionner les décideurs, on pourra parler véritablement de début de la vraie lutte contre la corruption.

C’est par exemple cette structure qui va recevoir les déclarations de patrimoine des responsables publics et vérifier leur exactitude. C’est déjà une bonne chose. Attendons donc de voir et prions pour que ses premiers responsables soient à la hauteur de cette tâche historique.

Le Reflet : Qu’est-ce que cet Office peut réellement apporter comme changement dans l’assainissement des finances publiques et l’amélioration de la gouvernance du pays ?

Moussa Mara : Si l’Office travaille conformément à l’esprit de ses textes créateurs, on ne tardera pas à voir son impact. C’est pourquoi j’ai demandé à ce qu’on la soutienne tous et qu’on prie pour que ses responsables soient à la hauteur de cette mission historique qui leur est confiée.

Je l’ai toujours dit, la corruption est plus grave pour notre pays que le problème du Nord. Elle est souvent à la base de la plupart de nos difficultés. Quand on décide de la combattre rigoureusement, c’est peut être un signe annonciateur de nouveaux jours pour le Mali.

Propos recueillis par

Moussa Bolly

 

Source: Le Reflet

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