Mme Sidibé Dedeou Ousmane S G CDTM L’arme syndicalisme grève toujours efficace
Secrétaire générale de la Centrale démocratique des travailleurs du Mali (CDTM), Mme Sidibé Dédéou Ousmane, est aussi la directrice des affaires juridiques et du contentieux de l’Institut national de prévoyance sociale (INPS). Dans l’entretien ci-dessous, elle évoque les grèves qui paralysent le pays et les recettes de sa centrale syndicale pour désamorcer cette bombe sociale. Interview !
Le Reflet : Quelle analyse faites-vous de toutes ces grèves qui paralysent aujourd’hui le Mali ?
Sidibé Dédéou Ousmane : En termes de climat social, le Mali traverse une crise. Le front social est en ébullition parce que, dans tous les secteurs, il y a des mécontentements qui se manifestent. C’est ce qui explique la multitude de préavis de grève déposés à tous les niveaux. Nous l’avons répété à qui de droit plusieurs fois que ces grèves sont dues à un manque de cadre de dialogue social.
Quand on n’a pas un cadre de dialogue formel et élargi à toutes les structures, forcément le pays va se retrouver dans la situation comme que nous connaissons aujourd’hui. Ces grèves s’expliquent également par le non-respect des engagements pris vis-à-vis des partenaires sociaux.
La CDTM, depuis sa création, il y a trois ans, a par exemple toujours privilégié le dialogue direct avec les autorités. Raison pour laquelle nous ne sommes pas allés dans le sens de déposer un préavis de grève alors que tout le monde peut le faire. Mais, nous voulons faire le syndicalisme autrement parce que notre centrale est assez jeune (la benjamine des centrales). Mais, elle est animée par de vieux syndicaliste qui ont été tous très actifs au sein de l’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM) pendant au moins 15 ans. Nous avons donc tiré leçons du passé pour privilégier le dialogue avant de poser des actes. Sinon l’arme du syndicaliste, c’est la grève mais elle n’est pas toujours efficace à tout point de vue.
Nous avons déposé un cahier de doléances qui a été traité il y a deux ans. Sur les 33 points, 31 ont fait l’objet d’accord, deux points en accord partiel. Mais jusqu’ici, le gouvernement tarde à tenir ses engagements. Et c’est général. Nous-mêmes, en tant qu’organe central, avons du mal à encadrer ou à empêcher nos démembrements à déposer des préavis par secteur. Ce qui fait que tout est effrité en quelque sorte. Et cela a créé une crise de confiance entre nous et nos syndiqués et chacun essaie de se battre comme il peut.
Le Reflet : Quel remède la CDTM propose pour désamorcer cette bombe sociale ?
Sidibé Dédéou Ousmane : La CDTM préconise un véritable cadre d’échanges et de communication entre les partenaires sociaux et les représentants du gouvernement. Je suis par exemple dans une direction générale. Et à ce niveau, il est indispensable d’échanger de temps en temps avec ses collaborateurs sur les difficultés que nous rencontrons tous les jours dans l’exercice de nos fonctions.
Au niveau des structures de base, quand il y a déjà la concertation et la communication, cela facilite aussi la communication au niveau du sommet. Il y a un an, nous avons tenu un séminaire avec le Bureau international du travail (BIT). Une initiative de Confédération syndicale des travailleurs (CSTM) qui a rassemblé les quatre centrales du Mali ainsi que celles des pays membres de la Cédéao. Nous avons remarqué que, au Mali, il manque ce cadre de dialogue comme dans les autres pays de cet espace politique et économique. Comme solution, il faut non seulement élargir le cadre de dialogue et de communication, mais aussi et surtout essayer de tenir correctement les engagements pris par l’Etat vis-à-vis de ses partenaires sociaux.
Le Reflet : Le dialogue social est-il la meilleure solution ?
Sidibé Dédéou Ousmane : Le dialogue social serait la solution. D’abord, il faut que le gouvernement prenne ses responsabilités et discute avec les centrales syndicales comme interlocuteurs uniques. Mais, quand entre nous-mêmes centrales syndicales le courant ne passe, il n’y aura pas de solidarité. Difficile alors de faire front commun pour résoudre les problèmes.
C’est que nous constatons par exemple par rapport à la crise au niveau de la santé, de l’éducation… Je prends l’exemple des travailleurs du ministère de la Justice, le personnel non magistrat, ils sont 800 au Mali. Ceux qui travaillent dans l’administration pénitentiaire sont déjà allés en grève deux fois et menacent d’une grève illimitée. C’est la même chose pour l’administration générale des collectivités et l’administration publique. Le front social en ébullition à tous les niveaux et dans tous les secteurs.
Toutefois, il faut reconnaître les actes posés par le ministre du Travail et de la Fonction publique pour désamorcer certaine crise. A son arrivée, elle a rencontré toutes les centrales syndicales. Il y a un mois aussi, elle a pris son bâton de pèlerin et a fait le tour de toutes les centrales. C’est une bonne chose, car c’est une démarche qui s’inscrit dans le cadre du dialogue social. Mais, cela ne suffit pas toujours. Elle nous a rassuré que, avec ses homologues, des dispositions sont en train d’être prises pour instaurer un vrai cadre de dialogue et un vrai suivi des engagements pris au niveau de chaque département ministériel.
Le Reflet : La CDTM et CMT ont été reçues le vendredi 14 avril 2017 par le Premier ministre Abdoulaye Idrissa Maïga. Qu’est-ce que vous vous êtes dit ?
Sidibé Dédéou Ousmane : Ce matin à 11 h (vendredi 14 avril), nous avons été reçues (la CMT et la CDTM) par le Premier ministre Abdoulaye Idrissa Maïga. Il nous a expliqué que ce n’est pas par manque de considération ni discrimination qu’il ne nous avait pas reçues le 11 avril 2017 avec l’UNTM et la CSTM. Mais, juste parce qu’il y a eu un problème d’agenda.
Au moment où il recevait l’UNTM à la CSTM, il ne savait pas que la CDTM et la CMT n’étaient pas dans la salle alors qu’il pensait s’adresser à toutes les centrales. Dans la salle, il a fait la déclaration qu’il prend acte de la présence de l’UNTM et de la CSTM. Mais qu’il n’y aura pas d’exclusion dans ce domaine parce qu’il compte travailler avec toutes les centrales reconnues au Mali.
A l’issue de notre rencontre, le Premier ministre nous a dit des choses rassurantes. Il nous a rassurés qu’il va élargir la base du dialogue, tenir compte de toutes les observations que nous avons eu à faire en ce qui concerne le manque de suivi, le manque de cadre de dialogue, entre autres. Il a instruit au ministre du Travail et de la Fonction publique de tout faire pour mettre en œuvre toutes ces dispositions.
A l’issue de cette rencontre, nous lui avons donné l’assurance également que nous mettrons tout en œuvre (en tant que femme, mère, sœur et citoyenne responsable) pour désamorcer cette bombe sociale en impliquant toutes femmes travailleuses, les organisations féminines, les jeunes et la société civile dans cette action. Il en va de la sauvegarde de l’intérêt général du pays.
Le Reflet : Avant sa démission, le Premier ministre Modibo Kéita avait rencontré les quatre centrales. Qu’avez-vous retenu de cette rencontre ?
Sidibé Dédéou Ousmane : C’était la même démarche, un vrai cri de cœur. Les autorités demandent notre implication dans l’apaisement du climat social.
Le Reflet : Ne pensez-vous pas qu’une trêve est indispensable pour permettre au nouveau Premier ministre de mieux étudier les dossiers et faire des propositions concrètes ?
Sidibé Dédéou Ousmane : La façon dont le nouveau Premier ministre est en train d’agir dès sa prise de fonction est rassurante. Il s’est rendu dans toutes structures hospitalières. Il a entrepris des rencontres avec les différentes centrales, la société civile… En un mot, les partenaires de l’Etat. Ce sont des actes qu’il faut apprécier dans le sens d’une solution de sortie de crise. Il faut bien qu’on sorte de cette crise. Le PM est en train de mettre tous les atouts et les moyens de son côté pour obtenir une trêve. Et je suis d’accord qu’une trêve est nécessaire pour aller à la table des négociations. Le gouvernement doit se donner les moyens d’une telle quête.
Le Reflet : Quelle est votre réaction par rapport au gouvernement formé le 11 avril 2017 ?
Sidibé Dédéou Ousmane : Nous ne sommes pas politiques, mais nous veillons sur la chose publique. C’est notre pays et le syndicat a un rôle éducatif. Les syndicalistes ont donc aussi le devoir de préserver les intérêts de leur pays.
Le Reflet : Pensez-vous que la présence de l’UNTM dans cette nouvelle équipe gouvernementale soit une bonne chose pour la liberté syndicale ?
Sidibé Dédéou Ousmane : Je n’analyse pas cela par rapport à l’UNTM, mais je considère juste que Maouloud Ben Kattra est un citoyen malien. Si le nouveau PM estime qu’il a sa place dans le gouvernement, c’est son appréciation. Un ministre, n’est pas un syndicaliste.
Le Reflet : Dans une interview accordée au Le Reporter magazine en mai 2015, vous avez dit : “Il faut que le travailleur soit dans les conditions minimales pour pouvoir bien accomplir sa tâche”. Selon vous quelles sont ces conditions minimales ?
Sidibé Dédéou Ousmane : C’est le minimum dont un travailleur a besoin pour bien accomplir ses tâches. Il faut être dans les conditions morales, matérielles et financières pour pouvoir travailler convenablement, mieux servir son service, sa société… son pays.
Le Reflet : Pensez-vous que, avec la crise sécuritaire et la conjoncture économique, le gouvernement a les moyens de satisfaire à toutes les revendications des travailleurs aujourd’hui ?
Sidibé Dédéou Ousmane : En principe, un syndicaliste doit être légaliste, être bien formé et aussi être jaloux de son patrimoine national. Je suppose que lorsqu’un syndicaliste revendique, il a analysé tous les facteurs. Il doit savoir ce qu’il demande, s’il peut l’avoir ou pas. Il y a des conditions préalables à toutes revendications qui doivent être réunies.
Normalement, les syndicats doivent demander ce qui est possible et être en mesure d’apprécier ce que l’entreprise peut faire et ce que l’Etat peut leur donner. Ce n’est pas forcément avoir tout ce qu’on demande tout de suite. Cela peut être échelonné sur le temps. Par exemple le cas des enseignants. Ce sont des revendications qui sont sur la table depuis très longtemps. Ils les posent, ils se lèvent, obtiennent un bout, se calment et reviennent à la charge.
Au niveau de mon organisme, l’Institut national de la prévoyance sociale (INPS), nous avons des doléances. Chaque fois qu’on demande une augmentation de salaire, cela peut s’étaler sur deux ou trois ans. Nous devrons savoir que lorsqu’on pose une doléance c’est parce que nous entrevoyons déjà la solution.
Le Reflet : Combien de syndicats sont aujourd’hui affiliés à la CDTM et dans quels secteurs ?
Sidibé Dédéou Ousmane : Sept syndicats nationaux sont affiliés à la CDTM : l’administration publique, le secteur informel, les enseignants, les collectivités, l’hôtellerie, les industries, les transports. D’autres adhésions sont en vue.
Le Reflet : Rencontrez-vous des difficultés particulières dans l’implantation de votre centrale syndicale ?
Sidibé Dédéou Ousmane : Evidemment ! Au Mali, pour pouvoir avoir la légitimité syndicale et en bénéficier, ce n’est pas facile. Se faire connaître sur le plan national et international, c’est un parcours du combattant. Pour ce qui est de la CDTM, elle a été créée en respectant toute la législation en la matière. Nous n’avons pas eu trop de problèmes.
La difficulté majeure c’est par rapport aux autres syndicalistes qui n’ont pas vu d’un bon œil qu’il ait d’autres centrales. Alors que nous devrons dépasser cela. Quand nous prenons les autres pays, quatre centrales syndicales ce n’est rien. Par exemple au Sénégal, au Burkina Faso et au Niger, il y en a plus de sept. La Mauritanie en a 24 mais et cela ne les empêche pas de travailler. C’est peut-être les secteurs qui peuvent différer.
Au Mali, nous avons cette chance que toutes les centrales couvrent tous les secteurs. Il n’y a pas de raison qu’on ne se donne pas la main pour travailler ensemble.
Le Reflet : Quel appel lancez-vous à l’endroit des travailleurs du Mali ?
Sidibé Dédéou Ousmane : Solidarité, unité et démocratie à l’endroit de tous les travailleurs du Mali ! C’est la devise de la CDTM. Que tous les travailleurs soient solidaires. Tout le monde a intérêt que le Mali soit un pays dans lequel nous pouvons vivre en paix, qu’il reste un havre de paix. Le Mali doit rester un pays qui a une hospitalité légendaire. Le climat social doit être apaisé.
Donnons-nous la main, aidons-nous les uns les autres pour que le mouvement syndical malien soit fort. Si nous sommes divisés, nous ne pouvons pas être forts. Et moins on est fort, mieux cela arrange le gouvernement. Si on se donne la main, comme un mur, rien ne pourra traverser. Et cela pour le bonheur des Maliens.
Propos recueillis par
Aïssata Bâ
Mme Sidibé Dedeou Ousmane S G CDTM L’arme syndicalisme grève toujours efficace
Source: Le Reflet