Mali-France fin époque
L’histoire des institutions politiques est parfois cruelle, ou tout au moins pathétique. Car, les hommes s’en vont, mais les institutions restent. Au soir du dimanche 7 mai 2017, au terme du duel du second tour de l’élection présidentielle française entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, François Hollande va faire ses adieux après cinq ans de règne marqués de moult soubresauts. Le mandant de Hollande est intimement lié à l’histoire récente du Mali et imbibe de bout en bout le premier quinquennat d’Ibrahim Boubacar Kéïta. Le président malien s’est livré (et le pays avec lui) poings et pieds liés à son homologue français, à telle enseigne que le commun des mortels assimile le départ de l’« ami François» à la perte d’un soutien de taille pour IBK. Le rôle joué par le président français dans l’élection d’Ibrahim Boubacar Kéïta à la mi 2013 est un secret de polichinelle, tout comme l’engagement de la France aux côtés du Mali pour sauver ce pays de l’invasion islamiste et terroriste au début de la même année à travers l’opération Serval. Demain, Hollande s’en va ! Quel sort pour le Mali et…IBK ? Interrogation légitime !
Certes, François Hollande est considéré comme le président le plus impopulaire de la Ve République française. Mais, l’homme apprécie le Mali. Il aime tant ce pays qu’il a sauvé des griffes des djihadistes et terroristes et qu’il continue toujours de protéger contre une invasion et une annexion assorties de la Charia. Hollande a aussi contribué fortement à la réussite de l’organisation de l’élection présidentielle de 2013, avec un coup de pouce salvateur à IBK, élu président. En contrepartie, on peut dire Hollande doit tout ou beaucoup au Mali. Et pour cause : l’une des rares traces positives qu’on retrouve dans son bilan est constituée par l’intervention française au Mali à travers l’opération Serval, devenue Barkhane, et ses actions en faveur du Mali devant les Nations Unies et la communauté internationale. En guise de récompense (chantage ?), il a décroché quelques acquis tels que la signature d’un Accord de coopération (ou de défense) jusque-là refusé par les prédécesseurs d’IBK.
Hollande, le sauveur !
On ne le dira jamais assez : Hollande a sauvé le Mali. Comment ? Le 10 janvier 2013, la situation sécuritaire se dégrade au Mali. Les terroristes islamistes prennent la ville de Konna. Et se dirigent vers Mopti, dernier verrou solide avant la capitale, Bamako. Le président par intérim, Dioncounda Traoré sollicite son homologue français et lui demande aide, secours et assistance. François Hollande décide dès le lendemain 11 janvier dans l’après-midi d’engager l’armée française dans une guerre dénommée « Opération Serval ». Un an durant, il veille scrupuleusement au grin. Un bref rappel s’impose :
Le 11 janvier 2013, le président de la République française, prend la décision dont l’importance et la portée historique pour le Mali n’ont d’égale et de repère dans la mémoire que la proclamation de l’indépendance du pays, le 22 septembre 1960.
En effet, ce jour-là, François Hollande autorise les forces armées françaises à intervenir au Mali en soutien à l’armée nationale en difficulté face aux ennemis terroristes islamistes qui venaient d’engager la surmultipliée dans l’occupation du Mali.
Dans la nuit du 11 au 12 janvier, des frappes de Mirage 2000 et d’hélicoptères Gazelles détruisent une demi-douzaine de véhicules ainsi qu’un centre de commandement, stoppant une colonne islamiste qui se dirigeait vers Mopti, à juste titre considérée comme étant la « ligne de front » entre le nord et le sud et entre l’armée et les occupants des régions du nord.
Un pilote de Gazelle français, le lieutenant Damien Boiteux est tué pendant l’opération. Les autorités maliennes ont rendu un hommage mérité à cette première victime étrangère en l’élevant au grade d’Officier de l’ordre national du Mali.
Le 12 janvier, les troupes maliennes reprennent la ville de Konna.
Le 13 janvier, les moyens aériens français bombardent les environs de Konna, Léré et Douentza. Des Mirages attaquent également les éléments islamistes à Gao, provoquant le départ des troupes du Mujao de la ville.
Le 14 janvier, les troupes islamistes contre-attaquent et prennent la ville de Diabali, à 400 km de Bamako, en passant par la Mauritanie pour éviter les attaques françaises. Le chef d’Aqmi à Tombouctou, Abou Zeid, dirige l’opération.
Au 16 janvier, la ville de Konna n’était pas totalement sous contrôle, avec la présence de quelques éléments islamistes.
Dans le même temps, les troupes françaises et maliennes engagent directement le combat au sol à Diabali pour tenter de reprendre la commune aux rebelles.
Le 17 janvier au soir, l’armée malienne reprend aux envahisseurs la ville de Konna, tuant des djihadistes, détruisant quelques véhicules et prenant possession de 8 autres véhicules.
Le 21 janvier, le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, annonce la reprise par les armées malienne et française des villes de Diabali et Douentza.
Le 25 janvier, après des bombardements, les Français reprennent l’aéroport de Gao, important centre de logistique pour les islamistes, avant de s’emparer de toute la ville le 26 janvier.
Le 27 janvier, l’aviation française bombarde des positions stratégiques islamistes sur Kidal, dans l’extrême nord-est, détruisant notamment la maison de Iyad Ag Ghaly, chef du groupe islamique armé Ançardine.
Le 28 janvier, les forces franco-maliennes reprennent Tombouctou, à l’issue d’une opération terrestre et aérienne menée dans la nuit pour contrôler les différents accès de la ville, et empêcher ainsi des exfiltrations ennemies.
Le 29 janvier, le Mnla annonce que les villes de Kidal, Tessalit, Léré, In Khalil, Anefis, Tinzawatène, Tessit et Talatayt sont sous son contrôle.
Dans la nuit du 29 au 30 janvier, au cours d’une opération aéroportée, l’armée française prend position sur l’aérodrome de Kidal, situé au sud-est de la ville.
De plus, l’aviation française procède à des frappes aériennes assez importantes dans le secteur où les terroristes se sont probablement retirés après avoir quitté les grandes villes.
C’est la fin de la première mission de l’opération Serval, à savoir chasser les terroristes-djihadistes des régions du nord et recouvrer l’intégralité du territoire national.
Le 30 janvier, la France appelle au dialogue avec la population du Nord du Mali.
Le 02 février, le président français, François Hollande effectue au Mali une visite de 24 heures qui l’a mené à Tombouctou (via Mopti-Sévaré) et à Bamako. Ce jour-là, Hollande a promis que l’aide de l’armée française au Mali se prolongerait le temps de vaincre le terrorisme. Et les forces françaises sont toujours là, à la traque des terroristes et djihadistes d’Aqmi, du Mujao et d’Al Mourabitoune de Mokhtar Bel Mokhtar.
18 février, début d’une opération visant à déloger les islamistes dans l’Adrar des Ifoghas (extrême nord-est). De violents combats opposent soldats français et tchadiens aux combattants jihadistes. Fin février, un des principaux chefs d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), l’Algérien Abdelhamid Abou Zeïd, est tué par l’armée française.
8 avril, début de l’opération « Gustav » de l’armée française pour traquer les islamistes dans une vallée au nord de Gao.
En octobre, Abou Moghren Al Tousni, un responsable d’Al Mourabitoune est abattu au cours d’une opération menée par Serval.
Al Hassan Ould Al-Khalil, alias Jouleybib (un des principaux adjoints de Bel Mokhtar) et Fayçal Boussemane (un autre bras droit de Bel Mokhtar) trouvent la mort à 150 km de Kidal, une œuvre des forces françaises.
Le 9 décembre, celles-ci mènent à plusieurs centaines de kilomètres de là, une autre opération d’envergure contre une vingtaine de membres d’Al Mourabitoune, lourdement armés, planifiait sans doute des actions dans toute la zone de Tessalit et de Kidal. Ils sont neutralisés.
A tout cela s’ajoutent moult autres faits d’armes des forces Serval qui ne sont pas médiatisés, l’objectif étant de nettoyer le pays des « graines pourries ».
IBK redevable à la France
Ces interventions ont permis de tuer dans l’œuf les intentions obscures des terroristes et djihadistes d’une part et d’autre part de stabiliser le pays et l’action politique.
La transition parvient alors à organiser une élection présidentielle transparente, libre et crédible. Ibrahim Boubacar Kéïta est élu président à l’issue du deuxième tour face à Soumaïla Cissé avec plus de 77% des suffrages exprimés.
C’est de la lapalissade, mais on le dit moins, lui non plus : Ibrahim Boubacar Keïta se sait un peu redevable à la France pour son élection. Il le fut grâce notamment à l’insistance de Paris, et de son « frère » François au sein de l’Internationale socialiste, poussant Bamako à organiser l’élection présidentielle quelques semaines seulement après que les armes se furent tues.
De nombreuses voix jugeaient cela alors prématuré. Populaire, bénéficiant d’une grande notoriété, IBK, notamment par rapport à son passé à la Primature entre 1994 et 2000, fut alors le plus habile à surfer sur la vague d’euphorie.
François Hollande est le premier chef d’Etat à féliciter Ibrahim Boubacar Keïta pour sa victoire, avant même la publication officielle des résultats. Les deux hommes se sont entretenus par téléphone, et le président français l’a assuré que Paris restera aux côtés du Mali.
Pour l’investiture d’IBK, le 19 septembre 2013, Hollande effectue son deuxième séjour au Mali en huit mois après celui du 2 février.
Au stade du 26 mars de Bamako, il était aux côtés de ses pairs africains comme Mohammed VI (présenté comme l’invité d’honneur), Alassane Ouattara, Thomas Boni Yayi, Ali Bongo, Teodoro Obiang Nguema, Yayah Jammeh, Goodluck Jonathan, Macky Sall et John Dramani Mahama, Idriss Déby, Denis Sassou Nguesso, Blaise Compaoré (qui était accompagné de son épouse), Faure Gnassingbé, Jorge Carlos Fonseca, Alpha Condé, Mahamadou Issoufou et Moncef Marzouki.
A l’occasion, Hollande a prononcé un discours qui ne laisse aucun doute sur son amitié et sa complicité avec le nouveau président malien. Extrait : « Monsieur le Président du Mali, cher Ibrahim Boubacar KEÏTA. Merci de m’avoir invité ici, à Bamako pour cette cérémonie historique… Nous étions au tout début de notre combat commun, aujourd’hui nous sommes à son aboutissement car c’est une victoire, une grande victoire pour le Mali que nous fêtons aujourd’hui ensemble !
Mon cher Ibrahim Boubacar KEÏTA, je le dis devant le nouveau président élu, la France est fière d’avoir contribué à cette victoire.
Chers amis, cher Président, nous avons gagné cette guerre, nous avons chassé les terroristes, nous avons sécurisé le Nord et enfin, et ce n’était pas le plus facile, nous avons-vous avez-réussi à organiser des élections de façon incontestable et le vainqueur est aujourd’hui Président du Mali.
Amis Maliens, c’est notre unité et notre solidarité qui ont permis d’infliger de lourdes pertes aux djihadistes et de rétablir l’intégrité du territoire malien. Mais nous devons rester vigilants et, ici, je suis venu vous dire que la France restera aux côtés du Mali tant qu’il sera menacé !
Nous conserverons ici, les effectifs nécessaires mais surtout autour du Mali pour aider les forces africaines à juguler toute menace parce que c’est aux Africains, et d’abord et surtout aux Africains, d’assurer leur propre sécurité.
Aujourd’hui, le Mali a pris son destin en main. Il a choisi son Président, un bon, un grand Président. Je le connais depuis longtemps. Il l’a fait nettement, massivement et cette élection ouvre la voie de la reconstruction, de la transition.
Là aussi, je vous l’assure, la France sera là pour vous accompagner pour le développement, pour l’Etat, la démocratie, pour la réconciliation. La France le fera avec les moyens de son budget mais elle le fera aussi avec les collectivités locales françaises qui sont en coopération depuis longtemps avec leurs homologues maliens.
La France le fera avec ses entreprises qui sont mobilisées pour la reconstruction.
La France le fera avec les organisations non gouvernementales pour aider la population.
La France le fera avec l’UNESCO pour réhabiliter le patrimoine de Tombouctou, reconstruire les mausolées, réparer les parchemins.
La France le fera avec l’Europe en mobilisant plusieurs milliards d’euros pour la relance durable du Mali.
Le Mali et la France, cher Ibrahim Boubacar, sont unis l’un à l’autre ».
Voici mon Accord de défense !
Quand on se sent redevable d’une personne, on en devient l’esclave, donc le soumis ; on ne peut rien lui refuser. Tel semble être le cas de cet accord de coopération militaire signé par la France et le Mali le 16 juillet 2014 à Bamako. Il a été signé par les ministres de la Défense des deux pays, Jean-Yves Le Drian pour la France et Bah N’Daw pour le Mali. Hollande venait-il d’arracher un acte où tous ses prédécesseurs ont échoué.
Quoi que Le Drian déclare que « ce traité va permettre de renforcer la coopération militaire entre le Mali et la France dans les domaines du renseignement, de la formation, de l’échange d’informations pour assurer la sécurité sur le territoire malien et dans le Sahel », les Maliens l’assimilent, à juste titre, à un accord de défense qui permettra plus tard l’installation d’une base française.
Pour Le Drian, le “traité de coopération” “remplace un accord qui datait de 1985”. Le nouvel accord “n’a rien à voir avec” l’opération Serval, “le traité de coopération est un cadre beaucoup plus vaste, (il) fixe nos engagements respectifs sur la durée pour la sécurité du Mali”, a-t-il poursuivi.
Après Le Drian, la Dirpa entre dans la danse pour expliquer le document : « La coopération en matière de défense avec la république française était encadrée par l’accord de coopération militaire technique du 06 mai 1985.
Aujourd’hui, afin d’asseoir ce partenariat sur des bases solides et transparentes, il a été jugé nécessaire, compte tenu du nouvel environnement sécuritaire, d’établir un nouveau traité de coopération en matière de défense. Le document a fait l’objet de beaucoup de concertation entre les parties malienne et française.
Ce traité vise à concourir à une paix et une sécurité durables. Il est compatible avec les engagements de chaque Etat dans le cadre de l’Union Africaine, de l’Union Européenne et de l’Organisation des Nations Unies.
Ce traité est structuré ainsi qu’il suit:
La première partie fixe les objectifs et les grands principes de la coopération, ainsi que les domaines et les formes qu’elle prendra. La seconde partie concerne le volet statutaire des membres du personnel et des personnes à charge. Cette partie est relative au partage des compétences entre les juridictions, les conditions d’entrée et de séjour, les dispositions fiscales et douanières, les règlements des dommages, ou encore le soutien logistique et les moyens de communication. Le traité couvre les personnels français et les personnes à charge au Mali et les personnels militaires maliens et les personnes à charge en France. Le traité est conclu pour une durée de cinq ans reconductible. Il doit être examiné par l’Assemblée Nationale qui en autorisera la ratification ».
Son accord en poche, l’ « ami » ou le « frère » François est galvanisé et inspiré. Tout est mis en œuvre pour être et rester au chevet du Mali. Nait alors l’idée de la Conférence internationale pour la relance économique et le développement du Mali.
C’est ainsi que, le gouvernement du Mali et l’Ocde organisent conjointement une conférence internationale de haut niveau pour la relance économique et le développement du Mali, en coopération avec la France et les autres partenaires et amis du Mali. Cette conférence fait suite à l’Accord pour la Paix et la Réconciliation du Mali, signé en mai-juin 2015.
Le gouvernement du Mali, les représentants des parties signataires à l’Accord, la société civile et le secteur privé maliens et internationaux, ainsi que 64 pays et organisations régionales et internationales partenaires ont participé à la conférence.
La conférence, qui s’est tenue le 22 octobre 2015 à Paris, s’inscrit dans la continuité du processus de Bruxelles initié en 2013 par la conférence « Ensemble pour le renouveau du Mali » qui avait permis de mettre en œuvre un plan pour la relance durable du Mali (Pred, 2013-2014) et scellé un engagement à long terme entre les autorités maliennes et la communauté internationale. Rappelons que cette conférence sous la transition de Dioncounda avait généré plus de 2 150 milliards de FCFA, entièrement utilisés par le régime d’IBK.
Hollande va plus loin, en accordant une visite d’Etat au président IBK en France.
Arrivé le mardi 20 octobre à Paris, le président malien, à la tête d’une forte délégation, a eu un agenda très chargé. Déjeuner avec son homologue français avant de rencontrer successivement le premier ministre français et le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius. IBK a plaidé en faveur d’une part pour la relance de l’économie malienne et d’autre part pour un accompagnement soutenu de la France pour la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger.
Rencontre aussi avec les opérateurs économiques français sans oublier la communauté malienne en France.
Le « Vieux » était très content à son retour au bercail.
Voilà que dans dix jours, l’ « ami » et le « frère » Hollande va quitter définitivement le pouvoir. Qu’adviendra-t-il d’IBK ?
Mali-France fin époque
Sékou Tamboura
Source: L’Aube