France déclassification documents affaire Ben Barka
Un avis favorable a été rendu concernant la levée du secret sur un ensemble de documents liés à l’affaire de l’opposant marocain Mehdi Ben Barka. Enlevé le 29 octobre 1965 en plein Paris par deux policiers français, sa disparition est restée un mystère et le corps de Ben Barka n’a jamais été retrouvé. Des spécialistes ont évoqué une certaine responsabilité de l’Etat français dans son assassinat. Certains ont même évoqué un crime d’Etat. Quant à son fils Bachir Ben Barka, il se bat depuis plus de 50 ans pour que la vérité soit faite dans cette affaire. Il a demandé au président François Hollande à plusieurs reprises d’agir en ce sens.
« C’est une surprise de fin de mandat », estime Bachir Ben Barka, le fils de l’opposant marocain assassiné. L’annonce a été publiée le 5 mai dans le Journal officiel : la Commission du secret de la défense nationale (CSDN) a rendu un avis favorable en mars dernier pour la levée du secret portant sur 89 documents liés à l’affaire Ben Barka.
Une décision prise suite à la saisie de la Commission par le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, après une requête en déclassification déposée par le vice-président en charge de l’instruction du dossier. Ces documents émanent des archives du service de documentation extérieure et de contre-espionnage au ministère de la Défense.
Selon les informations de RFI, ces documents sont retournés chez le ministre de la Défense pour la décision finale qui interviendra avant le dimanche 14 mai. Suivra le transfert de ces documents chez le juge d’instruction, pour qu’enfin la défense puisse consulter ces documents.
Blocage sur un document
Toutefois, la Commission du secret de la défense nationale a refusé de lever le secret-défense sur un document. Il s’agit du document n°1 sous scellé n°11 qui se trouvait en 2010 dans les locaux de la Direction générale de la sécurité extérieure.
De plus, ce qui attire l’attention, c’est que parmi les documents, qui remontent pour la plupart aux années 1965 et 1966, certains sont datés de 1964, soit avant l’enlèvement de Ben Barka en octobre 1965.
Depuis la disparition de Mehdi ben Barka, on ne compte plus le nombre de demandes de déclassification de documents adressées par la famille Ben Barka aux différents responsables français.
A trois reprises, en 2000, 2004 et 2008, des dizaines de pièces classées ont été rendues accessibles. Mais tout cela n’a rien donné et certaines sources supposent même que les pièces compromettantes ont été expurgées avant 1982.
Déjà en 1965, le général de Gaulle, lui-même, se heurtait au silence, malgré les demandes d’explications qu’il avait adressées à ses services. En apprenant la nouvelle de l’enlèvement de Ben Barka, il aurait dit : « Il faut que la justice aille au fond de cette abominable affaire ». « Cet homme s’était mis sous la protection de la France. Vous êtes coupables », lançait-il alors à son ministre de l’Intérieur de l’époque Roger Frey.
Une enquête ouverte depuis 52 ans
L’enquête sur la mort mystérieuse de l’opposant marocain est ouverte depuis 52 ans et les anciennes déclassifications de documents n’ont pas aidé la justice à avancer. Alors, cette dernière déclassification aura-t-elle son effet sur l’avenir de ce procès ?
En 1966-1967, un premier procès à Paris pour enlèvement et séquestration arbitraire avait mis en lumière des implications marocaines comme françaises. A l’époque, la justice française avait condamné à la perpétuité le ministre marocain de l’Interieur, le général Oufkir et un agent des services, considérés comme les commanditaires, ainsi qu’une bande de truands français, propriétaires de la villa où Ben Barka a été séquestré.
Des condamnations sans conséquences, car tous avaient quitté la France pour le Maroc juste après l’enlèvement. Deux hommes font de la prison : l’un des policiers de la brigade des Stupéfiants qui a illégalement arrêté Ben Barka, et Antoine Lopez. A la fois proche d’Oufkir et indicateur de la brigade des Stups, c’est lui qui aurait été la cheville ouvrière de l’enlèvement.
Malgré ce procès, les circonstances exactes de la mort de Ben Barka et le devenir de son corps restent un mystère. Sans parler des responsabilités. Pour Bachir ben Barka, son fils, pas de doute : la décision est venue du Maroc, au plus haut niveau. C’est donc surtout sur les complicités hexagonales qu’il s’interroge. D’autant qu’Antoine Lopez avait une troisième casquette : collaborateur du SDECE, les renseignements français. Le projet était-il donc connu avant l’enlèvement, au SDECE, voire parmi les dirigeants politiques ?
A l’époque, le général de Gaulle avait qualifié l’implication française de « subalterne » dans l’enlèvement. Peut-être, reconnaît Bachir Ben Barka, mais ensuite ? Le départ sans encombre d’Oufkir et consorts plusieurs jours après l’enlèvement et les obstacles mis durant des années au travail de la justice lui font dire que la volonté d’enterrer l’affaire a impliqué jusqu’aux plus hautes sphères.
Pour Bachir Ben Barka, cette déclassification n’est qu’un premier pas. Si on ne connaît pour l’instant pas la valeur de ces documents, il a toutefois saisi l’occasion pour appeler les autorités du Maroc à faire de même.
■ Mehdi Ben Barka, l’homme qui dérangeait
Le 29 octobre 1965, devant la brasserie Lipp boulevard Saint-Germain, Medhi Ben Barka monte dans une Peugeot 403 banalisée. Il ne sera plus jamais revu. Ben Barka a 45 ans. De l’infatigable révolutionnaire, du pèlerin tiers-mondiste parcourant le monde, il ne reste plus qu’une ombre planant sur les générations futures.
Ben Barka a fait peur aux grands de ce monde, de Washington à Paris, de Jérusalem à Rabat, car il a tenté de fédérer les mouvements tiers-mondistes. Il a notamment côtoyé Che Guevara, Amilcar Cabral et Malcolm X… Trois mots résument sa vie : exil, attentat et lutte populaire.
Par deux fois, l’exil le conduit à Paris. Le Maroc vit des années noires. Hassan II le combat, lui et son parti, l’Union des forces populaires, beaucoup plus à gauche que l’Istiqlal, dont il est un des fondateurs en 1943. Ben Barka n’a alors que 23 ans.
En 1956, il est l’un des négociateurs de l’indépendance. A partir de 1959, l’opposition au palais n’est plus feutrée mais frontale. Hassan II n’est pas encore roi mais tire déjà les ficelles. Un roi qui a eu comme professeur de mathématiques au Collège royal un jeune : Medhi Ben Barka lui-même. Un prof de maths très vite rattrapé par la politique.
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Source: RFI