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Désormais cardinal, l’archevêque de Bamako a abrité des millions d’euros en Suisse

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Désormais cardinal archevêque Bamako abrité millions euros Suisse

Les documents SwissLeaks révèlent sept comptes bancaires de la Conférence épiscopale du Mali chez HSBC à Genève.

Tout commence le 25 novembre 2002 à 9 heures du matin au Crédit lyonnais de Monaco. Ce jour-là sont ouverts, en toute discrétion, sept comptes en banque pour la Conférence épiscopale du Mali (CEM). Les documents SwissLeaks révèlent désormais pour ces comptes des codes IBAN propres à la Suisse, commençant par CH, à l’instar du premier : CH18 0868 9050 9118 1503 0.

Ces comptes étaient crédités de 12 millions d’euros (soit 7 milliards de francs CFA) en 2007, dernière date des relevés bancaires issus de la HSBC Private Bank à Genève que se sont procurés en 2014 Le Monde et le Consortium international de journalistes d’investigation (ICIJ).

Le trio des responsables chrétiens du Mali

Cette histoire rocambolesque mêle opacité, rencontres secrètes entre clergé malien et banquiers suisses et soupçons de détournements de fonds dans un pays où les chrétiens ne représentent que 2,4 % des 17 millions d’habitants. Elle implique les trois plus hauts dirigeants de l’époque de CEM, à commencer par Mgr Jean Zerbo, 73 ans, archevêque de Bamako, chargé des finances de la CEM au moment des faits. Il vient d’être élevé, le 21 mai 2017, au rang de cardinal par le pape François. Le consistoire, la cérémonie officielle au cours de laquelle cinq ecclésiastiques seront élevés au rang de cardinaux, aura lieu le 28 juin prochain. Les autres protagonistes sont Jean-Gabriel Diarra, 71 ans, évêque de San et ex-numéro 1 de l’église catholique du Mali, et Cyprien Dakouo, 60 ans, secrétaire général de la CEM à partir de 2004.

Au début 2015, lorsque éclate le scandale SwissLeaks, publié par Le Monde et une soixantaine de médias internationaux, coordonnés par l’ICIJ, d’autres Maliens sont repérés dans les documents HSBC, comme l’industriel Gérard Achcar ou l’homme d’affaires Modibo Keïta. Mais les comptes en Suisse des trois plus hauts dirigeants de l’épiscopat malien de l’époque passent alors inaperçus. D’où viennent ces 12 millions d’euros ? Est-ce que ce sont les dons des fidèles maliens qui dorment dans une banque suisse ?

Avant d’atterrir chez HSBC, les comptes troubles de la CEM ont voyagé. Du Crédit lyonnais du Rocher au Crédit agricole (CA) après le rachat du premier par le second. Puis du CA au Crédit Foncier, devenu CFM Indosuez Wealth, devenu depuis une filiale de HSBC Private Bank à Genève.

D’après les fichiers internes de HSBC, deux banquiers ont rencontré à plusieurs reprises les trois responsables catholiques maliens, dont Nen Khieu, responsable de la gestion d’actifs à revenu fixe chez HSBC entre 2000 et 2009, aujourd’hui à la tête du cabinet de gestion de fortune KBR Advisors à Genève, spécialisé dans la clientèle cambodgienne et que son profil LinkedIn décrit comme ayant « une solide expérience clients » ainsi que de « fortes compétences analytiques ».

Les banquiers se frottent les mains

Du 29 septembre au 18 octobre 2005, lui et l’un de ses collègues se sont entretenus au moins à trois reprises à Bamako avec Messieurs Zerbo, Diarra et Dakouo, lequel apparaît comme le plus concerné du trio par la gestion des sept comptes ouverts au nom de la CEM – même si les documents HSBC de 2006 et 2007 révèlent des codes clients pour chacun des trois responsables religieux et témoignent d’une répartition égale entre eux des 12 millions d’euros.

Au cours de ces rencontres, les banquiers et les prélats se mettent d’accord sur le taux de rémunération de ces avoirs : « 5 % » d’intérêt, selon les documents confidentiels que nous avons pu consulter. Les deux banquiers se frottent les mains dans leur correspondance : « la bonne gestion du portefeuille nous permettra d’obtenir une augmentation de ressource. »

L’archevêque de Bamako Jean Zerbo arrive au Stade de l’amitié, en 2012, pour une prière pour la paix alors que les combats font rage au nord du pays.

De ces rencontres, il ressort également que « l’archevêché ainsi que les paroisses sont d’accord » pour confier la gestion d’une partie du portefeuille à la banque ainsi que la capture de « 50 % du portefeuille afin de pouvoir en optimiser la rentabilité ». Des informations qui laissent pantois les fidèles des paroisses de Bamako que nous avons interrogés. « Nous n’avons jamais été informés d’une telle opération de la part de la CEM », confie un choriste de la Paroisse cathédrale.

Un autre responsable de la jeunesse chrétienne de la rive droite de Bamako se révolte : « il y a une grande opacité dans la gestion des ressources de notre confession.

Cela fait des années que ça dure. Et ça commence à nous monter à la tête. Profitant de l’extrême passivité des fidèles, ils se permettent tout et ne rendent de compte à personne ».

Ce manque de transparence ne surprend guère un haut responsable de la communauté catholique du Mali. « C’est toujours un défi pour l’Eglise, malgré une recommandation du Concile Vatican II qui veut que les fidèles soient associés à la gestion des ressources de l’Eglise », affirme, sous couvert de l’anonymat, cet interlocuteur qui dit pourtant avoir été informé de ces placements en Suisse. De son côté, un proche de l’ancien curé de Sikasso l’admet : « je me rappelle que Cyprien Dakouo recevait de l’argent provenant de CFM Monaco ». L’opacité sur l’origine et la gestion de ces fonds semble pourtant avoir provoqué des tensions au sein des chrétiens du Mali. En 2012, Cyprien Dakouo est démis de ses fonctions et quitte le pays « sur la pointe des pieds », selon plusieurs témoins.

Des comptes toujours actifs

Il se trouve que ces comptes sont toujours actifs chez HSBC Private Bank à Genève, qui n’a pas souhaité répondre à nos questions. C’est ce qu’indique une simulation de notre part d’un transfert d’argent sur deux des sept numéros d’identification bancaire. Et pourtant, impossible de retrouver les traces de cet argent dans la comptabilité de la CEM. Le chargé actuel des finances, l’abbé Noël Somboro, élude : « je n’ai pas envie d’aller fouiller dans les archives pour savoir d’où vient l’argent ou si les comptes existent toujours. Je n’ai pas ce temps. »

Puis il lâche une phrase étonnante de la part d’un professionnel de la finance : « j’ignore ce que c’est un compte offshore ou si la Suisse est considérée comme un paradis fiscal. Sinon, nous avons des comptes bancaires un peu partout. » Il ajoute : « il est possible que ces comptes aient existé, mais je n’ai pas de trace. » M. Noël refuse de communiquer le moindre chiffre sur le patrimoine de l’Eglise et ne veut pas non plus se prononcer sur la déclaration ou non de ces sommes au fisc malien. Il compare d’ailleurs ces fonds au « code nucléaire » que la France se garde bien de dévoiler.

Mathias Konaté, responsable de la législation fiscale à la Direction générale des impôts, lui, en est sûr : « un compte au nom de la CEM en Suisse n’est pas déclaré au niveau du fisc malien », dit-il.

Dans la capitale malienne, les protagonistes fuient les questions. Samedi 14 mai, à 7 heures du matin, après plusieurs tentatives infructueuses, nous avons attendu la fin de la messe du cardinal Jean Zerbo pour lui poser nos questions. Surpris, il ironise : « moi, un compte en Suisse ? Je suis donc riche sans le savoir ! ». Devant les éléments de preuve fournis, il tente une explication : « c’est un vieux compte. Il s’agit d’un système que nous avons hérité de l’Ordre des missionnaires d’Afrique qui géraient l’église ». Ajoutant toutefois n’avoir jamais ouvert un « compte personnel » à l’étranger, car « source de problèmes ».

Mgr Jean Gabriel Diarra, président de la CEM au moment des faits, a refusé de répondre à nos appels. Quant à Cyprien Dakouo, il réside en France depuis son remplacement en 2012. L’ancien bras droit des évêques du Mali a intégré, en 2013, l’unité Economie et Management de l’université de Lille 1, où il doit terminer en juin 2017 une thèse en économie. Parmi ses sujets de compétence, le site de l’université mentionne l’éthique des affaires. Cyprien Dakouo a lui aussi refusé de répondre à nos questions.

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