Soumi Africa24 gouvernance laisse désirer
Député à l’Assemblée nationale du Mali, président de l’URD (Union pour la République et la Démocratie), chef de file de l’opposition malienne, Soumaïla CISSE était chez nos confrères de la chaine AFRICA24. La crise globale et sécuritaire, le manque d’initiative du gouvernement, la mauvaise foi des groupes signataires, l’implication draconienne des partenaires de l’accord pour la paix et la réconciliation. Face aux questions de Babylas Boton dans l’émission TALK, il n y a pas de cadeau pour les responsables de l’heure.
Babylas Boton Africa 24 : Comment votre pays, le Mali aujourd’hui ?
Soumaïla Cissé : « Le Mali ne va pas bien. On ne peut pas dire plus. Aujourd’hui nous avons un pays où l’insécurité, malheureusement, est devenue une affaire quotidienne. Chaque jour nous comptons les morts. Chaque jour nous avons des hommes armés qui sont là, dédiés à la défense de notre pays que nous perdons. Nous avons des civils qui décèdent, nous avons malheureusement des partenaires qui viennent nous aider qui sont aussi tués dans des actes djihadistes tous les jours. Un pays qui est comme un bateau ivre qui ne sait pas trop où il va. Les maliens sont globalement très inquiets de la situation qu’ils vivent aujourd’hui. »
BB Africa24 : Parlons d’abord de la situation sociale, ces derniers mois, on a noté beaucoup de grèves dans les domaines de l’éducation, de la santé. Des grèves sans précédent, comment en est-on arrivé là Monsieur le président ?
Soumaïla Cissé : « vous savez, depuis quelques mois nous connaissons cette recrudescence d’un échauffement du climat social à commencer d’ailleurs par les juges, les syndicats de la magistrature, prolongé sur la santé, sur l’éducation et d’autres corps sociaux qui sont en attente. Je crois qu’il y a un réel déficit de dialogue dans notre pays. J’ai dit tout de suite une gouvernance qui laisse à désirer. On a connu une grève très très difficile, en particulier au niveau de la santé. On a connu plus de 300 morts dans les différents hôpitaux et il y avait une absence totale des soins. Je crois que les populations étaient totalement meurtries non seulement à Bamako mais aussi sur l’ensemble du pays. Comment est-on arrivé là ? Je crois que c’est une mauvaise prise en compte des besoins sociaux, surtout des besoins dans des secteurs sociaux de base comme l’éducation et la santé. Le gouvernement à mon avis n’a pas su anticiper. Ces choses, on les anticipe, on les sent, on les voit. Des syndicats qui ont déjà discuté avec le gouvernement, qui ont fait des ultimatums, qui ont fait des préavis de grève. Je crois que le gouvernement n’a pas su à temps apporter les réponses idoines. »
BB Africa24 : Des grèves, on en a eues souvent dans tous les pays mais dans le cas d’espèce, les dernières grèves ont été un peu longues. J’allais vous demander, est ce que c’est les syndicats qui ont été trop exigeants ou bien c’est le gouvernement qui n’a pas eu l’oreille attentive pour comprendre leurs revendications ?
Soumaïla Cissé : « Vous savez la grève du syndicat de la santé est une des grèves les plus emblématiques. J’ai eu personnellement à rencontrer les syndicats de la santé, l’opposition dans son ensemble a été voir les malades, a été voir les hôpitaux. J’ai fait moi-même une démarche auprès du chef de l’Etat pour aider à trouver une solution. Mais les syndicats m’ont montré le document signé par le gouvernement depuis de longs mois et le gouvernement n’a pris aucune réponse, au début de solution aux revendications et surtout aux accords qui étaient déjà signés avec les syndicats de la santé. Et quand ils sont allés en grève, ils sont restés deux bonnes semaines sans aucun contact. Le gouvernement n’a même pas daigné savoir ce qui se passe en leur faisant croire que quand ils seront fatigués, ils vont arrêter. Je crois ce n’était pas du tout responsable. Ce qui fait que le gouvernement n’a pas réagi à temps, n’a pas apporté des solutions à des revendications auxquelles ils étaient déjà d’accord, le gouvernement même était d’accord puisqu’il avait signé un certain nombre de documents. »
BB Africa24 : Mais quand on voit les conséquences, c’est vrai que c’est déplorable. Certaines personnes estiment que cette grève profite à quelqu’un, à un groupe de personnes. Est-ce que vous en voyez un peu à qui ça peut profiter ?
Soumaïla Cissé : « ce sont des morts d’hommes, on ne peut pas parler de profit. Quand il y a des hôpitaux qui se délabrent, on ne peut pas parler de profit. Quand le climat social devient délétère, quelle que soit votre position politique, vous en souffrez. »
BB Africa24 : Vous pouvez quand même récupérer ?
Soumaïla Cissé : « il n’y a pas de vraie récupération dans cette situation. On fait allusion aux opposants politiques. Non je crois ce qu’il faut voir, c’est qui perd le plus ? Ce qui perd le plus, c’est vraiment l’Etat, le gouvernement, sa notoriété et le pays dans son ensemble. Quand on perd 300 personnes, on ne peut pas s’en réjouir. »
BB Africa24 : Alors la situation a conduit à la mise en place d’une nouvelle équipe gouvernementale avec le départ du ministre de la santé, du ministre de l’éducation, est ce que c’était la bonne solution ?
Soumaïla Cissé : « Je ne suis pas sûr que le changement de gouvernement soit directement lié à la situation sociale. D’autres sont partis, mais il faut dire que le gouvernement est élargi. Aujourd’hui on a 36 membres du gouvernement, c’est énorme, c’est pléthorique. Mais nous en avons une situation sécuritaire, on en a parlé au début qui nécessitait des réactions. On a une situation sécuritaire qui est la qui n’a pas été résolue. On a un gouvernement qui est là qui je dirais plus qui est un gouvernement de campagne qui est en train de préparer des élections et non un gouvernement pour faire face à la situation. Il y a non seulement l’effectif mais aussi les acteurs. Le premier ministre c’était le directeur de campagne, celui qui a été mis à l’Administration territoriale, nous savons ses positions partisanes déjà au moment de la transition… »
BB Africa 24 : Au cours des trois derniers mois l’armée malienne a subi quand même des attaques meurtrières, est ce que cela ne sonne pas l’échec de la politique sécuritaire du gouvernement ?
Soumaïla Cissé : « Nous avons eu d’autres attentats encore plus meurtriers avant. Vous avez eu le cas de Gao avec une centaine de morts en un jour. Nous avons eu le cas de Nampala qui a poussé d’ailleurs à la démission le ministre de la défense à l’époque. Nous avons les problèmes de Kidal que vous avez connus en 2014. Il est évident aujourd’hui que l’insécurité avance de l’extrême nord au centre. Aujourd’hui jusque dans les faubourgs de Bamako.
BB Africa 24 : Qu’est ce qui ne fonctionne pas concrètement parce que le temps passe, on a l’impression que les rebelles gagnent du terrain, la situation sécuritaire est de plus en plus préoccupante ?
Soumaïla Cissé : « elle est d’autant plus préoccupante que les populations se demandent ce que fait le gouvernement. Vous savez, nous on est député à l’assemblée nationale, on a voté tous les crédits qu’il faut à la demande du gouvernement. On amis une loi de programmation militaire. »
Africa 24 : Donc ce n’est pas une question de moyens ?
Soumaïla Cissé : « Ça ne peut pas être une question de moyens parce que tous les moyens ont été donnés. Bien sûr il y a des marchés surfacturés, il y a peut-être des marchés qui ne vont pas au bon endroit, peut-être qu’il y a des matériels commandés qui n’arrivent pas. Je ne vais pas entrer dans ces détails là mais toujours est-il que ce n’est pas un problème de moyens. »
BB Africa24 : Il y a eu plusieurs accords qui ont été signés depuis le début de la crise, celui d’Alger récemment, son application est sans cesse retardée. Est-ce que dans ces conditions-là, on ne rate pas quelque chose en ne prenant pas le bon dispositif dès le départ ?
Soumaïla Cissé : « C’est que nous avons toujours dit que l’accord n’est pas si inclusif qu’on veut le faire croire. Il n’a pas été un bon accord. À partir de là, aujourd’hui l’accord a été signé il y a bientôt deux ans, mois de Mai d’ailleurs ça va faire deux ans. C’est à partir de ce moment qu’on doit évaluer. Vous savez dans l’accord, il est prévu qu’il y ait un cabinet indépendant pour évaluer les avancées. Ce cabinet n’est toujours pas constitué. On devrait avoir un rapport tous les quatre mois pour suivre ces accords. On devrait pouvoir évaluer les préjudices subis par les victimes, ce n’est toujours pas fait. »
Africa 24 : Oui Mais monsieur Soumaiila Cissé, à vous écouter on peut jeter facilement la pierre au pouvoir en place mais les autres parties en présence, est ce que vous pensez que de manière très sincère, chacun a intérêt que la paix revienne ?
Soumaïla Cissé : « c’est trop facile de se donner des excuses, je n’ai pas pu parce que l’autre n’a pas les mêmes responsabilités face à la population malienne. Celui qui a la responsabilité face à la population malienne, c’est le président de la République, c’est son gouvernement. C’est à eux de trouver les solutions. Si les interlocuteurs ne sont pas sincères, à eux de faire en sorte, puisque cet accord a été garanti par la communauté internationale, de faire en sorte que la communauté internationale oblige toutes les parties, par les moyens dont cette communauté dispose, à mener tout le monde sur la table de négociations. Il y a un comité de suivi des accords qui se réunit régulièrement où il y a les partenaires, il y a les groupes armés, il y a le gouvernement. Si ça n’avance pas, il faut s’interroger pourquoi ça n’avance pas. »
Soumi Africa24 gouvernance laisse désirer
A suivre
Source: Le Figaro du Mali