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Comment sauver le Mali ?

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Le Président Ibk
Comment sauver  Mali 

La solution pourrait venir d’un dialogue plutôt que d’un renfort de troupes.

Hamidou Barry est venu à Bamako pour chercher son fils. Ikerena, son village, se trouve dans le cœur rural du Mali, loin de la capitale, mais on lui a dit que les forces de sécurité y emmenaient leurs détenus.

M. Barry a loué une chambre dans la maison de parents éloignés. Le coût de la vie est élevé : il n’a presque plus d’argent et il n’a encore rencontré personne qui puisse lui dire où se trouve son fils, qui s’appelle lui aussi Hamidou.

Des témoins ont dit à M. Barry qu’Hamidou, qui est âgé de 38 ans, avait été arrêté à la mi-décembre à l’hôpital de Douentza, où il avait emmené un ami. Pour une raison ou une autre, des policiers ont repéré les deux hommes, qui appartiennent au groupe ethnique peul. Ils ont trouvé un prêche d’Hamadoun Koufa, un islamiste radical de cette même ethnie, sur le téléphone d’Hamidou, mais M. Barry souligne que son fils n’en est pas pour autant un djihadiste.

M. Koufa est un marabout (un prêcheur) originaire de Niafunke, une ville du centre du Mali. Il est également le protégé d’Iyad Ag Ghali, leader touareg vétéran et chef d’Ansar Dine (les défenseurs de la foi), un groupe militant lié à Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI).

Ce lien entre les deux hommes n’est que l’un des éléments d’un ensemble de conflits imbriqués et d’alliances changeantes que le gouvernement malien a des difficultés à réprimer, même avec le généreux soutien militaire de l’Occident.

En 2012, M. Koufa a combattu au sein d’Ansar Dine et de groupes djihadistes alliés dans le nord du Mali ; ses hommes et lui se sont rapidement emparés des principales villes de la région. Ensuite, ils se sont dirigés vers le sud. Leur avancée, qui menaçait Bamako, a entraîné le déclenchement d’une intervention menée par la France et l’Union africaine (UA) et s’est soldée par la dispersion de ses troupes.

En 2015, M. Koufa a refait son apparition en tant que chef du tout nouveau Front de libération du Macina (FLM), un mouvement dont l’objectif est le rétablissement de l’empire du Macina du 19e siècle, un État islamique dirigé par les Peuls et établi dans les régions actuelles de Mopti et de Ségou, dans le centre du Mali.

Les recrutements au sein du FLM ont exacerbé et exploité les tensions entre les communautés, et notamment celles qui opposent les éleveurs peuls et les agriculteurs bambaras au sujet des terres et de l’accès aux pâturages. Les Bambaras se sont tournés vers la milice d’autodéfense dozo, soutenue par le gouvernement, et on assiste désormais à un cycle ininterrompu de meurtres de représailles entre civils et à des exécutions plus officielles de représentants du gouvernement par le FLM.

Le Nord a laissé sa place de région la plus dangereuse du pays au Centre.

« C’est un mélange toxique de violences intercommunautaires, d’activités djihadistes et d’abus de pouvoir commis par les forces gouvernementales qui alimente ce cercle vicieux », a dit Héni Nsaibia, un analyste de Menastream, une société de conseil en risques qui intervient au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et au Sahel.

Mais les violences ne sont pas que religieuses. Un rapport rendu public par Human Rights Watch (HRW) en début d’année a présenté les témoignages de membres des deux communautés, et notamment celui d’un responsable de la jeunesse peule qui a noté : « Nous, les Peuls, avons été les premières victimes des djihadistes [… ] nous avons aussi perdu des imams, des maires et des chefs à cause des djihadistes, mais personne n’en parle ».

Les deux camps ont condamné le gouvernement pour son incapacité à traduire les auteurs des meurtres en justice et à faire en sorte que ses forces de sécurité répondent de leurs actes.

Le rapport de HRW cite un chef bambara : « Depuis 2015, un très grand nombre de membres de notre communauté se sont fait tirer dessus dans leur ferme, chez eux ou alors qu’ils se rendaient au marché. Nous l’avons signalé aux autorités locales et à Bamako, mais on ne nous donne que des prétextes pour ne pas enquêter — la pluie, le danger, le nombre insuffisant de véhicules. En fin de compte, aucune justice n’est rendue et les meurtres se poursuivent ».

Quand le gouvernement passe à l’action, il n’y va pas de main morte. HRW a recensé un certain nombre d’arrestations arbitraires par les forces de sécurité, particulièrement dans les environs de Douentza, où Hamidou a été arrêté.

La dernière fois qu’IRIN s’est entretenu avec M. Barry, il n’avait plus d’argent et était sur le point de rentrer chez lui, sans son fils.

Les violences ont favorisé les recrutements au sein du FLM. Le groupe a adopté la stratégie d’AQMI : il a tiré profit de la faiblesse de l’État, il s’est infiltré au sein des communautés locales, il a écouté leurs problèmes et il a adapté son message. « Hamadoun Koufa est venu [à Mopti] pour faire des sermons sur le gouvernement. Il a dit que lui, il fournirait de l’aide, pas le gouvernement », a expliqué Amadou Thiam, un représentant politique de l’opposition qui appartient à l’ethnie des Peuls.

« Dans bon nombre de villages, il semble que les djihadistes aient pris la place des acteurs étatiques chargés de lutter contre le banditisme et contre la délinquance ordinaire, de résoudre les querelles conjugales ou familiales et de favoriser la réconciliation communautaire », a dit Corinne Dufka, directrice de la division Afrique de l’Ouest de HRW. « Les prêches qu’ils prononcent lors des réunions communautaires contre la corruption, la négligence de l’État, et les anciens de la communauté parfois violents, semblent trouver un écho favorable ».

Le gouvernement n’est pas très présent au-delà de la ville de Ségou, située à trois heures de Bamako. Même sans prendre en compte les problèmes posés par l’insurrection, les gouvernements successifs, basés dans le sud du pays, n’ont pas été en mesure d’asseoir leur autorité dans le nord, où la population est relativement peu nombreuse et où les conditions de vie sont extrêmement difficiles.

Les Touaregs, une communauté traditionnellement nomade, vivent dans le désert du Sahara. Ils sont le principal groupe ethnique du nord-est du Mali. Farouchement indépendants, ils ont toujours joué un rôle important de diffusion de l’islam dans le Sahel.

De la migration aux drogues, en passant par les cigarettes de contrebande, les réseaux commerciaux informels dont l’économie de la région dépend sont chapeautés par les militants touaregs.

Le nord du Mali est l’un des bastions des djihadistes depuis 2003 et l’arrivée du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), qui a traversé la frontière pour échapper aux mesures répressives prises par le gouvernement algérien. L’accord tacite passé avec l’armée malienne et les dirigeants de l’État, qui leur donnait une grande indépendance, était un élément clé de la survie des militants.

En 2012, ils ont fait cause commune avec le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), un groupe touareg. La rébellion a repris une ancienne revendication de séparatisme visant la sécession de cette région négligée du Nord. Mais peu de temps après la proclamation de l’indépendance de l’« Azawad », le MNLA a subi les attaques d’Ansar Dine et d’une coalition de combattants djihadistes déterminés à imposer leur interprétation radicale de la charia dans le Nord.

L’armée française a repris le contrôle de la région pour le gouvernement. L’Opération Serval, une mission aérienne et terrestre, a été lancée à la demande de Bamako, alors que les djihadistes avançaient vers le sud. La France poursuit son action au Mali dans le cadre de l’Opération Barkhane, la mission de lutte contre le terrorisme dans la région. Soulignant cet investissement, Emmanuel Macron, le nouveau président de la France, s’est rendu au Mali au début du mois pour sa première visite officielle à l’étranger.

L’Occident s’inquiète de la menace transnationale que représente le djihadisme. Certains groupes maliens ont des liens avec Boko Haram au Nigéria, et AQMI a lancé des attaques contre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire l’année dernière. Le Sénégal voisin craint d’être le prochain pays sur la liste.

Dans ce contexte, qualifié par l’International Crisis Group (ICG) d’« embouteillage sécuritaire », de nouvelles interventions militaires extérieures sont envisagées, avec le déploiement des forces du G-5 (Burkina Faso, Tchad, Mali, Mauritanie et Niger) et/ou du G-3 (Burkina Faso, Niger et Mali).

Mais la force militaire seule ne permettra pas de réconcilier le Mali. Le Nord est aujourd’hui divisé, avec l’apparition de mouvements concurrents – certains définis en termes strictement ethniques, d’autres soutenant les djihadistes. Le gouvernement a renoué avec des pratiques anciennes, telles que le versement de pots-de-vin, et a fait appel à des mandataires locaux pour régler le conflit. Mais ce qui fait principalement défaut, c’est une meilleure gouvernance.

La mosquée de Djenné, un édifice en terre crue construit il y a sept siècles, est un site touristique incontournable de Tombouctou. À l’intérieur, la lumière se réfléchit sur les piliers en adobe. C’est un espace frais et aéré, et l’acoustique est telle que l’on a l’impression de parler sous l’eau. Un drone militaire des Nations Unies bourdonne dans le ciel du désert, au-dessus de ce monument emblématique.

Quelques minutes avant l’arrivée de nouveaux visiteurs à la mosquée, un homme étend une petite couverture et y dépose des piles de cartes postales défraîchies et des bijoux. Il explique que cela fait cinq ans que ce site célèbre n’a pas accueilli un seul touriste. L’espace d’un instant, l’homme semble optimiste.

En 2012, Tombouctou a été sous le contrôle d’Ansar Dine, un groupe à majorité touarègue, pendant plusieurs mois. Le groupe a imposé une interprétation stricte et inhabituelle de la loi islamique dans ce pays traditionnellement modéré. Des sanctuaires soufis et des manuscrits islamiques vieux de plusieurs siècles, des trésors culturels qui font la renommée de Tombouctou, ont été détruits.

Si la ville a été reprise au mois de janvier 2013, les seuls visiteurs que l’on peut croiser à Tombouctou en ce moment sont des soldats des Nations Unies, quelques travailleurs humanitaires et des responsables gouvernementaux. Les groupes djihadistes règnent dans la grande étendue désertique au nord de la ville.

Les habitants de Tombouctou sont troublés par la présence djihadiste. Mais dans les zones rurales conservatrices, leur présence est mieux acceptée, a dit à IRIN un employé d’une ONG locale qui a demandé à garder l’anonymat.

Tombouctou reste peu sûre. Le 15 mai, l’aéroport a été attaqué à la roquette ; au début du mois, le quartier général de la police des Nations Unies et un poste de contrôle de l’armée malienne ont essuyé des tirs. Les raids se sont produits malgré la présence des contingents burkinabé et suédois de la Mission de stabilisation multidimensionnelle intégrée des Nations Unies au Mali (MINUSMA).

Les soldats maliens à l’allure débraillée qui assurent la sécurité de Tombouctou avec la MINUSMA semblent être marginalisés, vulnérables et détachés de toute notion de rétablissement des institutions nationales. Ils ne sont pas toujours présents lors des patrouilles conjointes nocturnes auxquelles ils sont censés participer.

Forte de 13 817 soldats, la MINUSMA dispose d’un budget de 933 millions de dollars.

Parmi les contributeurs de la MINUSMA figurent des pays européens qui l’ont pourvue de moyens sophistiqués — y compris des drones, des forces spéciales et des cellules de renseignement — dont peu d’autres missions des Nations Unies disposent. Mais c’est aussi la mission la plus dangereuse des Nations Unies : 118 soldats de la paix ont été tués depuis 2013.

Les djihadistes n’ont eu aucune difficulté à présenter la MINUSMA et l’intervention européenne comme des forces néocoloniales, venues au secours d’un régime corrompu, alors qu’ils pillent les matières premières du pays. Mais si les intérêts stratégiques occidentaux vont clairement au-delà de la lutte contre l’extrémisme, c’est en cherchant à surveiller les routes migratoires qui mènent de l’Afrique subsaharienne à la Méditerranée.

Du nord au sud, les institutions étatiques maliennes sont totalement brisées ou peinent à fonctionner. Au début de l’année et pendant plusieurs mois, les écoles et les hôpitaux publics ont fermé leurs portes à cause d’une grève des enseignants et du personnel de santé. « Il est difficile de dire ce qui fonctionne vraiment au Mali aujourd’hui », a écrit Abdelkader Abderrahmane, consultant international spécialiste de la paix et des questions de sécurité en Afrique, dans un courriel adressé à IRIN.
Kamissa Camara, chercheuse basée à Washington et spécialiste de la région africaine du Sahel, a dit douter que des enfants maliens, à l’exception de ceux qui vivent près de Bamako, aient fait une année scolaire complète depuis 2012. « Le récit de la menace [djihadiste] a entravé l’évaluation correcte des performances du gouvernement malien, et sa capacité à fournir des services publics de base et à créer des emplois », a écrit Mme Camara dans un article publié par l’Africa Research Institute.

M. Abderrahmane et Mme Camara pensent que la corruption a érodé le soutien de la population aux gouvernements successifs, et qu’elle a accru la résilience aux conflits imbriqués qui secouent le Mali.

L’Accord d’Alger, qui offre un cadre fragile au processus de paix, a été signé il y a deux ans, mais sa mise en œuvre est lente.

Les deux principaux signataires sont une coalition de rebelles touaregs, la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), et des groupes armés rivaux ouvertement progouvernementaux et rassemblés au sein de ce qu’ils appellent la Plateforme.

Les djihadistes n’ont pas été inclus dans l’accord et ont tenté de le faire capoter. L’exemple le plus flagrant a été l’attentat à la bombe perpétré à Gao au mois de janvier et qui a pris pour cible une patrouille conjointe de combattants rebelles (la première patrouille de ce genre, 18 mois après la signature de l’accord). L’attaque, qui aurait fait 80 victimes, a bloqué le processus.

Au mois de mars, les extrémistes ont créé leur propre coalition, baptisée « Jama’at Nusrat al-Islam wa al-Muslimin » (groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, ou JNIM). Dirigée par M. Ag Ghali, elle rassemble AQMI, Ansar Dine et le FLM. Une petite faction qui s’est rangée du côté de l’autoproclamé « État islamique » en a été exclue.

Le déploiement de troupes supplémentaires pour faire face aux djihadistes ne semble pas être la solution. Mais il pourrait y avoir un nouveau rebondissement dans le conflit qui dure depuis cinq ans.

Une Conférence d’entente nationale, qui a réuni le gouvernement et les groupes armés non djihadistes dans le Nord, allait suivre la même direction que les dispositions en suspens de l’accord de paix de 2015. Mais après une série de boycotts, elle a fait une recommandation clé le 2 avril, dernier jour de la conférence, qui a secoué la classe politique malienne : elle proposait que le gouvernement discute avec les djihadistes maliens, et notamment avec M. Ag Ghali et M. Koufa.

Le président malien Ibrahim Boubacar Keita a semblé accueillir la proposition favorablement, mais il a ensuite fait marche arrière. La France l’a rejetée catégoriquement. « Nous sommes engagés dans un combat. C’est un combat sans ambiguïté et contre le terrorisme […] Et donc il n’y a qu’un moyen, il n’y en a pas deux », a dit Jean-Marc Ayrault, alors ministre des Affaires étrangères, lors d’une visite au Mali en avril.

Le fait d’ouvrir des discussions avec des personnes liées à Al-Qaïda représente aussi des obstacles politiques et juridiques. Pour commencer, M. Ag Ghali figure sur la liste des terroristes dressée par les États-Unis, ce qui pourrait compliquer la signature d’un d’accord d’amnistie. Il y a des interrogations sur les concessions qu’il pourrait essayer d’obtenir, sur sa crédibilité en tant qu’interlocuteur et sur l’impact que les discussions pourraient avoir sur la coalition internationale qui a versé beaucoup de son sang dans le Nord. Au niveau national, le dialogue pourrait aussi être l’otage des élections qui doivent se tenir l’année prochaine.

Mais cela « vaut le coup d’essayer », a noté Alex Thurston, analyste réputé et spécialiste du Sahel, dans un récent article de blog : « Un processus de paix qui exclut M. Ag Ghali est un processus qui sera bouleversé, peut-être irrémédiablement, par les attaques régulières des djihadistes ». Cela ne veut pas dire que le gouvernement malien « pourrait trouver un terrain d’entente avec M. Ag Ghali par magie, mais cela veut dire que l’ouverture du dialogue pourrait porter ses fruits », a-t-il ajouté.

 

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Source: IRIN

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