Macron sera dimanche à Bamako pour le lancement de l’armée interafricaine du «G5 Sahel», destinée à mieux lutter contre le jihadisme et les trafics. Avec l’aide de la France, qui y voit l’opportunité, à terme, de passer le relais.
C’est la deuxième fois en un mois et demi qu’Emmanuel Macron traverse le Sahara. La première visite, à Gao le 19 mai, était consacrée aux troupes françaises de l’opération Barkhane. Celle prévue dimanche à Bamako s’inscrit dans le cadre d’un sommet du «G5 Sahel», organisation balbutiante qui doit annoncer officiellement le lancement d’une nouvelle force armée composée de 5 000 soldats mauritaniens, maliens, burkinabés, nigériens et tchadiens. Elle aura pour mission première de combattre les groupes jihadistes qui continuent de frapper la région, quatre ans après l’intervention française au Mali, mais également de lutter contre le trafic transsaharien de drogue, d’armes et de migrants.
La France n’est pas membre du G5 Sahel, mais elle ne cache pas son influence prépondérante dans le dispositif. «Nous sommes le tuteur, le grand frère du G5», assumait l’an dernier le général Patrick Brethous, alors à la tête de Barkhane. La «montée en puissance des armées partenaires» pourrait en effet constituer, dans les prochaines années, une porte de sortie honorable – au moins en termes d’image – pour l’armée française au Sahel. D’où le retour pressé d’Emmanuel Macron au Mali. Mais la force interafricaine tiendra-t-elle ses promesses ? Retour sur les espoirs et les obstacles de ce nouvel attelage sahélien.
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Quelle est l’architecture militaire du G5 Sahel ?
La «force conjointe» du G5 sera composée de cinq bataillons d’environ 750 hommes, selon le schéma élaboré par les états-majors des pays concernés. Au total, 5 000 militaires et forces de sécurité pourraient être mobilisés – et non 10 000, comme s’était aventuré à annoncer le ministre malien des Affaires étrangères au début du mois. Le quartier général de la force sera installé à Bamako, sous commandement du général malien Didier Dacko.
«L’innovation principale sera la mise en place d’opérations transfrontalières, avec un droit de poursuite de part et d’autre des frontières», souligne l’Elysée. «L’idée est de prévoir une bande de 50 kilomètres de chaque côté dans laquelle les bataillons du G5 seront libres d’intervenir, précise un bon connaisseur de la région. Il faut une force mobile, donc dotée de moyens de projection rapides. Les 5 000 hommes ne pourront jamais être déployés au même endroit. Chacun interviendra dans son pays, ou dans son voisinage immédiat.»
Un espace est jugé prioritaire : le Liptako-Gourma, ou «zone des trois frontières», à la croisée des territoires malien, nigérien et burkinabé. C’est ici que les attaques jihadistes contre les garnisons ont été les plus nombreuses depuis le début de l’année. Dans les faits, les opérations transfrontalières y ont déjà commencé : une force tripartite avait même été lancée en janvier, qui sera vraisemblablement intégrée au G5 Sahel. «Barkhane va systématiser ces actions conjointes, il y en aura davantage, nous allons amplifier notre soutien», assure l’Elysée. «Si l’on regarde de près, sur le plan militaire, il n’y a pas vraiment de nouveauté, commente Laurent Touchard, spécialiste des questions de défense en Afrique. On va juste donner le label G5 Sahel à des opérations qui existaient déjà. Or, il faut bien avouer que les armées africaines n’ont pas le savoir-faire pour travailler ensemble : la force conjointe risque de fonctionner uniquement grâce à l’appui de Barkhane.»
L’Union africaine avait rêvé d’un dispositif plus ambitieux : une task force mixte de plusieurs milliers d’hommes spécialisée dans la lutte antiterroriste. «Les Africains ont vécu comme une humiliation le déploiement de Serval en 2013. Ils avaient imaginé mettre sur pied un corps expéditionnaire qui pourrait intervenir contre les jihadistes,explique un consultant militaire. Mais il faut être réaliste : ils ne peuvent pas faire mieux que Barkhane sur ce registre-là. Cela n’arrivera pas avant très longtemps. La force conjointe transfrontalière, en revanche, est à portée de main, et c’est une excellente nouvelle. Les Sahéliens en ont envie et le concept a fait ses preuves. Les Français ont simplement rodé la machine.»
Qui va payer ?
Les pays du G5 comptent parmi les plus pauvres de la planète. Et le financement de la force conjointe est loin d’être bouclé. Le président tchadien, Idriss Déby, a rappelé dimanche dernier dans une interview au Monde qu’il était «du devoir de tous ceux qui ont plus de moyens d’aider sur le plan militaire, matériel, logistique, financier». Et de prévenir : «Nous sommes arrivés au bout de nos limites. Nous ne pouvons pas continuer à être partout, au Niger, au Nigeria, au Cameroun, au Mali, et surveiller 1 200 kilomètres de frontière avec la Libye. Tout cela coûte excessivement cher et, si rien n’est fait, le Tchad sera malheureusement dans l’obligation de se retirer.» Une menace à peine voilée adressée à Paris.
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Lors du Conseil de sécurité du 21 juin à l’ONU, Washington a également affiché sa prudence sur le volet financier. Signe de sa défiance envers les opérations de maintien de la paix, l’administration Trump vient d’annoncer vouloir amputer de 600 millions de dollars son aide aux Casques bleus à travers le monde. «La discussion n’a pas été facile»,admet l’Elysée. Si la résolution «se félicite du déploiement de la force conjointe», son texte prévoit que «c’est aux Etats du G5 Sahel qu’il incombe de [lui] donner les ressources dont elle a besoin». Pour l’instant, seule l’Union européenne s’est engagée à mettre la main au portefeuille, à hauteur de 50 millions d’euros. Or, selon les travaux préparatoires du G5, la facture de la force conjointe serait dix fois plus élevée.
«Chacun est dans son rôle, relativise Jérôme Pigné, coordinateur du Réseau de réflexion stratégique sur la sécurité au Sahel. Idriss Déby s’offre un coup de communication pour faire monter les enchères, même s’il dit vrai quand il pointe l’épuisement de ses forces. Trump est également en cohérence avec sa critique du multilatéralisme, mais dans les faits, les Etats-Unis aideront le G5 en bilatéral.»
En attendant, la France se démène pour «impliquer d’autres Etats membres européens», notamment les Allemands. Un premier tour de table a eu lieu à Paris, le deuxième est prévu à Berlin. «Tout le monde n’a pas les mêmes priorités, relève un observateur. La France est focalisée sur le terrorisme, mais l’Allemagne et l’Italie, par exemple, se concentrent d’abord sur la question migratoire.» Pour montrer la voie, Emmanuel Macron devrait faire des annonces à Bamako «en matière d’équipement», a prévenu son entourage.
La force du G5 pourra-t-elle remplacer Barkhane ?
«Au Mali, le G5 est la clé du désengagement imaginée par Hollande et Le Drian, assure notre observateur. Sur le papier, c’est une belle solution, très pratique. La France veut à tout prix éviter l’effet bourbier.» Même si la présidence française assure qu’il est «trop tôt»pour évoquer une «stratégie de sortie», il serait logique que le G5 prenne le relais de Barkhane d’ici quelques années.
«On commencera à parler de retrait quand on constatera un reflux des actes terroristes», répète l’Elysée. Sauf que les attentats, au lieu de décliner, augmentent. En mars, plusieurs groupes armés de la région ont annoncé dans une vidéo leur fusion dans une nouvelle entité, le Groupe de soutien de l’islam et aux musulmans. Leur chef, le Touareg malien Iyad Ag Ghali, y a renouvelé son allégeance à Al-Qaeda. Plus de 200 militaires ont été tués en 2017 dans des attaques jihadistes, dont la plupart revendiquées par cette nouvelle organisation. De quoi relativiser l’efficacité de l’opération française au Sahel, qui compte 4 000 soldats déployés en permanence depuis 2014, pour un coût de 600 millions d’euros par an. Les 130 000 Casques bleus de la Minusma – dont le mandat, renouvelé jeudi, ne prévoit pas explicitement la lutte antiterroriste – ne parviennent pas davantage à contenir la menace.
Si la France ne parvient pas à «éradiquer les ennemis», selon les mots de Macron à Gao, elle pourrait à l’avenir justifier son retrait progressif par l’autonomie accrue des armées du G5. «Ce ne serait pas une trahison : le renforcement des capacités militaires des pays du Sahel est inscrit dans les objectifs de Barkhane, c’est l’un des piliers de sa mission», rappelle Jérôme Pigné.
Les soldats sahéliens seront-ils en mesure de supporter le fardeau ? Le mandat des troupes africaines (antiterrorisme, anticrime, douane volante) apparaît très ambitieux. Mais leur force de frappe sera, elle, sans commune mesure avec celle de l’armée française, mieux équipée et mieux entraînée.
Nouvelle force Sahel ici sortie
Source: Liberation