Des dignitaires de l’ethnie kanourie, majoritaire au sein de Boko Haram et dans le nord-est du Nigeria, ont exhorté les djihadistes à négocier avec le gouvernement pour mettre fin à leur insurrection sanglante.
Mais certains observateurs y voient surtout un appel visant à préserver des intérêts ethniques.
Pour le Forum des Anciens du Borno, un groupe d’influence de l’ethnie kanourie composé de militaires et de notables à la retraite, “il est temps qu’ils déposent les armes”, qu’ils “se repentent et rejoignent le reste de la société”, huit ans après le début du conflit qui a fait plus de 20.000 morts.
“Si nos dirigeants ont eu la latitude de négocier avec Boko Haram pour la libération de certains de leurs captifs, ils devraient employer la même méthode pour négocier la fin de l’insurrection”, affirme une déclaration du Forum publiée vendredi dans la presse.
“Le gouvernement du Nigeria avait avant cela négocié avec succès avec les militants du delta (pétrolier) du Niger. Laissez le gouvernement faire de même avec Boko Haram”, ajoute le texte.
L’administration du précédent président, Goodluck Jonathan, avait à plusieurs reprises évoqué des pourparlers de paix avec les djihadistes et même un cessez-le-feu, jamais concrétisé.
Son successeur, Muhammadu Buhari, n’a pour sa part montré aucune volonté d’apaisement depuis son arrivée au pouvoir en 2015, promettant au contraire d’écraser l’insurrection.
Des négociations officieuses menées par son gouvernement ont toutefois permis la libération d’une centaine de lycéennes de Chibok, sur les 219 enlevées par Boko Haram en 2014.
Pour certains observateurs, l’appel lancé par les Anciens du Borno cachent surtout leur crainte de voir les Kanouris marginalisés par rapport à d’autres groupes importants comme les Haoussas, dans un contexte de fortes rivalités interethniques.
Pour Abdullahi Bawa Wase, expert en sécurité, les notables kanouris “tâtent le terrain” auprès des autorités.
Les pourparlers de paix “pourrait être une idée de Boko Haram vendue au nom des Anciens du Borno”, affirme-t-il.
Un responsable des milices civiles engagées aux côtés de l’armée contre Boko Haram juge lui aussi cette proposition “de mauvaise foi”.
“Les anciens savent comment entrer en contact avec leurs fils, leurs neveux et leurs frères qui sont de hauts dirigeants de Boko Haram”, explique-t-il sous couvert d’anonymat.
“S’ils pensent réellement ce qu’ils disent, ils devraient convaincre leurs relations au sein de Boko Haram de renoncer à leur appartenance au groupe et se rendre”.
– Ennemis jurés –
Dès la naissance de Boko Haram en 2002 à Maiduguri, capitale de l’Etat du Borno, ses liens étaient connus avec l’élite politique et religieuse locale, dont certaines familles avaient des membres haut placés au sein du groupe islamiste.
L’armée a souvent accusé les Anciens du Borno d’entraver délibéremment les opérations de contre-insurrection.
“Les gens méprisent Boko Haram pour la mort et la destruction qu’ils causent”, affirme Abubakar Gamandi, patron du syndicat des pêcheurs du Borno.
“Mais en termes d’affinités ethniques, certains les soutiennent tacitement quand les victimes ne sont pas kanouries”, regrette-t-il. “Beaucoup de Kanouris pensent que Boko Haram affaiblit leurs adversaires ethniques avec lesquels ils se disputent l’hégémonie sociale, économique et politique au Borno”.
Les Kanouris détiennent principalement le pouvoir politique, tandis que les Haoussas contrôlent l’agriculture, la pêche et le commerce. Les tribus peules et arabe shuwa se concentrent, elles, sur l’élevage du bétail.
Les tensions entre groupes ethniques existaient avant Boko Haram mais elles ont parfois exacerbé le conflit.
Les insurgés “ont causé davantage de destructions et de morts dans les villes non-kanouries et les campements occupés par les Haoussas ou les Arabes shuwa”, assure M. Gamandi.
Alors que l’armée a considérablement affaibli Boko Haram, l’appel à des pourparlers est aussi vu par certains comme une tentative de préservation des Kanouris, qui craignent de perdre une génération d’hommes – tués ou emprisonnés.
“L’élite les encourage à se rendre à l’armée par l’intermédiaire des chefs de la communauté locale en promettant un retour en douceur et une réintégration dans la société”, explique M. Gamandi.
L’autre obstacle potentiel à une paix durable est l’hostilité des habitants envers les insurgés, après tant d’effusion de sang et de chaos.
Selon Abba Aji-Kalli, coordinateur des milices civiles anti-Boko Haram du Borno, pourparlers de paix ou non, les djihadistes sont considérés comme des “ennemis jurés” par ses hommes.
Une amnistie pour des repentis “ne fonctionnera jamais”, estime-t-il. “Nous ne nous regarderons jamais dans le blanc des yeux avec Boko Haram. Rien ne peut changer cela”.
“Nous savons très bien qui ils sont. Ils vivaient parmi nous, nous avons grandi avec la plupart d’entre eux”, dit-il.
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Source: AFP