« La santé avant tout », a-t-on coutume de dire. Considérée comme le plus précieux des biens de l’individu, cette santé s’entretient. Elle n’a pas de prix, mais elle a un coût. Aussi, force est de reconnaitre que le développement de toute nation repose d’abord sur la bonne santé de sa population. C’est à cela que les Etats, qui sont aujourd’hui considérés comme les grandes puissances mondiales, se sont attelés dès le départ.
Cette situation résulte de la bonne maitrise dans la gestion des médicaments et produits pharmaceutiques mais et surtout de la volonté politique affichée des décideurs à lutter efficacement contre les pratiques malsaines dans le domaine. Malheureusement, notre pays qui était bien parti aux premières heures de son indépendance dans la gestion des médicaments à travers la création de la Pharmacie Populaire du Mali(PPM) en 1960, est confronté à un problème de santé publique. Et pour cause, le Mali fait face, au vu et su de tous, à la vente illicite de médicaments dénommés « médicaments par terre » ou « pharmacie dans la rue ». L’évidence est que la consommation de ces médicaments frauduleux, a des conséquences fâcheuses sur la santé humaine et impacte l’économie nationale.
Dans tous les cas, personne ne semble lever le petit doigt pour dire non à ce commerce illégal qui tue. A Bamako, et partout au Mali, ces médicaments se vendent comme des bonbons, à tel point que certains estiment que les pharmacies n’ont pas leur raison d’être. N’importe qui peut se lever à tout moment pour devenir commerçant de ces produits qui ne s’achètent plus en cachette. Qui ne voit pas, par exemple ces femmes, seaux sur la tête en train de balader toute la journée, ou assises au bord des autoroutes et dans les marchés pour exercer ce commerce ? Que dire de ces motocycles faisant le tour des villages pour vendre ces médicaments ? Rares sont ceux qui peuvent jurer qu’ils n’ont jamais consommé ou acheté ces médicaments. Dans cette affaire, il ya ceux qui vendent le poison et ceux-là qui s’achètent la maladie. Que faire ? A qui la faute ? Qui fait quoi pour lutter véritablement contre ce fléau qui devient de plus en plus un problème de santé publique. C’est pourquoi, votre hebdomadaire de référence a mené une enquête sur ce dossier pour donner la parole à des voix plus autorisées en vue d’éveiller les consciences. Il y va de notre mission. Nous ne sommes contre personne, mais notre devoir est de faire en sorte que la vérité soit sue et dite.
«On précipite sa propre mort »
Avant tout, il est important de se pencher sur les effets nuisibles de ces médicaments. Pour ce faire nous sommes allés à la direction nationale de la Santé, à la rencontre du Dr Mamadou Traoré. Il s’est d’abord félicité de l’opportunité qui lui est offerte pour parler de cette situation préoccupante: « Effectivement, ces médicaments ont beaucoup d’effet sur l’état du corps humain. Un médicament ordinairement prescrit pour une maladie peut avoir des effets secondaires à plus forte raison, un médicament procuré autrement. De façon globale un médicament acquis hors des officines peuvent atteindre désagréablement d’autres organes nobles que tout être humain est appelé à préserver. Quand on prend un médicament de la rue, cela veut dire qu’on va obliger les reins à travailler plus dur. Souvent c’est des médicaments surdosés. Le rein est le premier organe du corps qui peut être atteint. Si le rein est affecté, cela veut dire le sang sera pollué. Par la suite, ces médicaments peuvent agir sur le foie. De ce fait, on précipite sa propre mort. A notre niveau, on ne peut que proposer des stratégies. Cette lutte ne se limite pas qu’aux techniciens, il faut aussi l’appui de nos dirigeants et politiques, des leaders religieux, de la jeunesse pour aider l’Etat à sensibiliser nos parents sur les conséquences néfastes de ces médicaments et à les inviter à aller vers les centres de santé ».
L’insuffisance de moyens humains formatés, des moyens matériels adéquats et des moyens financiers
Ensuite, c’est la Direction régionale du Commerce et de la Concurrence du District de Bamako en plein déménagement dans les locaux abritant l’ancien USAID, qui a attiré notre attention. Après avoir expliqué les motivations de sa visite au directeur, votre fidèle serviteur a été orienté au bureau du Chef de Division Législation et Concurrence en la personne de Mamadou Sinayoko. Comme à la vieille école, le doyen a d’abord prêté une oreille attentive à nos préoccupations avant de donner sa réponse dont la teneur suit : « Dans le cadre de l’Assainissement des différents marchés du District, il y a le volet lutte contre l’importation frauduleuse des médicaments et le volet lutte contre l’exercice illégal de toute profession réglementée. La vente par terre des médicaments comme son nom l’indique, est une pratique commerciale frauduleuse dénommée « importation sans titre ». Et la distribution de produits pharmaceutiques par terre est une vente irrégulière de médicaments aux consommateurs. La lutte contre ces deux pratiques faisait partie des missions régaliennes de l’ancienne Affaires Economiques et de l’ancienne Direction nationale du Commerce et de la Concurrence. Actuellement, cette mission est prise en charge tant bien que mal par la Direction Générale du Commerce, de la Consommation et de la Concurrence et son démembrements que nous sommes à savoir la direction régionale du commerce et de la concurrence du District de Bamako et les autres directions régionales dans les régions administratives du Mali. L’exécution de cette mission requiert des moyens humains formatés (NDLR nouveau cadres), des moyens matériels adéquats et des moyens financiers à hauteur de souhait auxquels l’Etat est entrain de faire face constamment. A ceux-ci s’ajoutent les moyens psychologiques, en ce sens que d’une part la protection des agents enquêteurs doivent être constamment assurée, d’autre part, les contrevenants doivent être civilisés et galants pour ne pas agresser les enquêteurs dans l’accomplissement de leur mission, en quelques points que ce soit du territoire national. A mon avis, c’est là qu’il y a des efforts à faire de la part de l’Etat. Aussi, il revient à l’Etat de faire beaucoup d’effort pour que les mentalités changent dans le bon sens de part et d’autre sur toute l’étendue du territoire national dans l’intérêt des consommateurs. En tout cas, il y va de la protection des consommateurs sur toute l’étendue du territoire nationale de Diboli jusqu’à Tin-Zawantène Mali ».
Le manque de volonté politique de l’Etat
Pour compléter notre démarche, nous avons jugé nécessaire d’approcher la corporation des pharmaciens autrement dit l’Ordre des Pharmaciens. Dr Seydina AS Diakité, pharmacien de son état en sait beaucoup dans cette problématique de vente illicite de médicaments pour avoir été Président de l’Ordre des Pharmaciens au niveau de la région de Koulikoro. Selon lui, c’est le manque de volonté politique qui encourage l’exercice illégal de ce métier réglementé. Il poursuit : « Cette situation est vraiment embêtante sur divers plans, notamment sur la santé individuelle et communautaire, l’économie du pays. Cette pratique illégale fait perdre beaucoup d’argent à l’Etat par an. C’est un secteur assez informel qui fait que l’Etat est interpellé à tout point de vue. Il a l’obligation de garantir la santé de la population. Donc, sa responsabilité est grande. Les dégâts qu’engendrent ces médicaments sur la santé individuelle et collective sont très énormes. On ignore le circuit d’approvisionnement de ces médicaments. Personne ne sait aussi comment ils sont conservés. Même un médicament de bonne qualité mal conditionné peut souvent ne pas donner l’effet escompté. Cela fait perdre beaucoup d’argent aux patients, sans oublier les effets secondaires. Tout médicament est poison, seul le mode de conservation fait la différence. Généralement, ces médicaments sont des calmants, donc qui ne soignent pas la source des maladies. Dans le jargon des pharmaciens, ces produits favorisent ce qu’on appelle la dépendance. C’est-à-dire que tant que la personne ne les consomme pas, elle ne se sent pas satisfait et tranquille. Le plus gros problème à ce niveau, c’est que lorsque les antibiotiques censés tués les microbes sont utilisés de façon inappropriée, ils deviennent résistants aux molécules. Au niveau communautaire, cette situation rend inefficaces des molécules car les parasites s’adaptent à cet environnement. En plus, on voit de plus en plus de malades victimes d’insuffisances rénales. Tout cela est dû en partie à la consommation de ces produits. Sur le plan économique, c’est un circuit complètement hors contrôle. Ceux qui vendent ces médicaments se font de l’argent sur le dos de la population et de l’Etat sans payer les taxes et impôts. Personne ne va se faire déclarer au niveau des services d’impôts comme commerçant de pharmacie par terre. Cela fait perdre des millions à l’Etat et aux pharmacies qui sont du coup injustement concurrencés. Sur ce point, je précise que tout pharmacien n’est pas autorisé à vendre des médicaments. Aujourd’hui, il y a des centaines de pharmaciens sur le marché qui n’ont pas l’autorisation d’ouvrir des officines car c’est un domaine très réglementé. Après les études, on peut attendre jusqu’à dix ans avant d’ouvrir son officine. L’Etat met des règles. On ne peut ouvrir une officine n’importe où. J’avoue que de nos jours, au Mali, il y a 300 à 500 d’officines qui attendent l’autorisation d’ouvrir. Face à cette situation, on voit d’autres qui remplissent les boutiques de médicaments devant les regards impuissants de ces pharmaciens qui entendent respecter la loi. C’est cela qui fâche le plus. En réalité sur le plan de la lutte contre cette pratique, l’Etat fait très peu de choses. Chaque année, on organise des journées de lutte contre le paludisme et contre d’autres pratiques avec une dizaine de millions de FCFA. On ne peut pas être efficace dans la lutte contre un fléau avec seulement 10 millions pendant que d’autres sont entrain de générer des milliards au détriment des personnes. Tout cela enfonce le pays. C’est de l’utopie. Je pense que c’est un faux fuyant de la part de l’Etat. Tout le monde sait qu’à Bamako, et ailleurs au Mali, la vente de ces médicaments est informelle. Quand j’étais à Koulikoro, on a saisi les autorités administratives par rapport à cela. Notre surprise a été grande lorsque nous avons constaté que les autorités sont indifférentes à ce problème. Le Gouverneur nous même dit qu’il pensait que nous étions venus demander la fermeture des grands dépôts de médicaments dans le marché du Dabanani. Vous voyez que c’est aberrant. Bamako n’est pas Koulikoro. Il y a des gens qui n’ont aucune formation de pharmacien ou d’agent de santé qui ouvrent avec la complicité des autorités des dépôts de pharmacie. Normalement, cela est aussi réglementé. N’importe qui ne doit pas le faire. A l’Etat de prendre les mesures idoines pour assainir le milieu. Aussi, l’Etat a un grand rôle à jouer. L’Ordre des Pharmaciens est parvenu à instaurer de l’ordre dans la corporation. Les marchés sont partagés dans la transparence et dans les règles de l’art de façon ordonnée. En conclusion, je voudrai dire que l’Etat soit le premier responsable qui doit être en première ligne pour lutter contre ce fléau. Un Etat qui se souci de la santé de sa population ne laisse pas n’importe qui exercer le métier de pharmaciens. Il doit non seulement protéger la santé de la population, mais aussi protéger l’économie du pays. Dans un Etat pauvre comme le nôtre, on est en entrain de perdre banalement des milliards de cette manière. Ce que fait l’Etat est dérisoire. Cela relève de l’utopie et du faux fuyant. Au moins si les gens sont inquiétés, on pourra dire qu’il y a une volonté politique même si les moyens sont limités. Au contraire, personne ne se cache pour ventre les faux médicaments ».
En réalité ; cette situation est due en partie à la pauvreté. Beaucoup de personnes achètent ces médicaments par ce qu’ils n’ont pas d’autre choix. Le pouvoir d’achat de tout le monde ne permet pas d’acheter les médicaments autorisés. Nul n’ignore qu’à la pharmacie, pas d’argent, pas de médicament. Ce qui fait tomber les populations dans la facilité. Le mal étant connu, l’Etat est mis à l’épreuve pour davantage rendre disponible les médicaments à la portée des populations. Cela à travers le renforcement de la sécurité sociale pour tous.
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Enquête réalisée par Jean Goïta
Source: La Lettre du Peuple