Accueil NORD DU MALI Mali-Niger : une frontière entre conflits communautaires, rébellion et djihad

Mali-Niger : une frontière entre conflits communautaires, rébellion et djihad

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Dans le monde des ingénieurs de la paix, choisir le nom que l’on donne à un conflit violent, c’est déjà le résoudre en partie. Un conflit labellisé « agriculteurs-éleveurs » se traite par des négociations sur l’usage des ressources naturelles. Une rebellion séparatiste conduit éventuellement à des révisions constitutionnelles (décentralisation, fédéralisme). Les attaques « terroristes » appellent des réponses musclées, car « on ne négocie pas avec des terroristes ».

Le problème est qu’au Sahel, et ailleurs dans le monde, les conflits violents n’ont que rarement une seule dimension. Ils sont enchevêtrés et mobilisent une myriade de protagonistes aux alliances complexes et mouvantes. Leur attribuer un label et, ainsi, suggérer leur mode de résolution exclusif est donc lourd d’erreurs potentielles.

Depuis de longues années, l’un de ces conflits met aux prises des communautés d’éleveurs se déplaçant dans une zone transfrontalière située au nord de la capitale du Niger, Niamey, et au sud de Gao, au Mali. Les uns sont peuls, les autres tamacheq (touaregs), issus notamment de la tribu Daoussahak.

Ce conflit n’est originellement pas celui pour l’indépendance de l’Azawad, contre l’Etat malien. Il n’a historiquement rien à voir non plus avec le « djihad » que mènent désormais dans cette même zone plusieurs mouvements. Mais le séparatisme du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) comme le djihad qui a prospéré à partir de 2012 – notamment par le biais du Mouvement pour l’unicité du djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) – ont absorbé en partie le clivage initial entre éleveurs, contribuant à son escalade violente et compliquant sérieusement ses chances de résolution.

La « miliciarisation » de la politique

Dater l’origine du conflit est en soi lourdement chargé politiquement. Les représentants des communautés peules du Niger font remonter les tensions à la fin des années 1970, lorsque la combinaison des sécheresses et de l’extension vers le nord des terres agricoles exploitées par les populations sédentaires contracte l’espace disponible pour le pâturage du bétail. Contraints de se déplacer plus au nord, et donc de traverser la frontière qui sépare le Niger du Mali, les éleveurs peuls se trouvent alors au contact d’éleveurs touaregs et d’autres autorités. La position des pasteurs peuls est structurellement vulnérable puisqu’ils ne sont pas ressortissants maliens.

Les relations ne sont pas harmonieuses mais les tensions restent contenues par les systèmes de régulation communautaires des litiges éventuels. De l’avis des représentants peuls, elles ne s’enveniment vraiment qu’à partir de l’affirmation des aspirations émancipatrices touaregs dans toute la région, dans la deuxième moitié des années 1980, accompagnée d’une plus grande circulation d’armes à feu. Le projet émancipateur touareg se concrétise sous forme de rébellion, au Mali comme au Niger, dans les années 1990.

A cette période, les Peuls du Niger cherchent aussi à s’armer et finissent par le faire, avec l’assentiment officieux de l’Etat. Un représentant des Daoussahak considère la création de la milice peule au Niger comme le point de départ des tensions qui persistent aujourd’hui. Les chronologies du conflit varient donc, mais s’accordent sur un point : l’histoire déraille violemment à la suite de l’introduction d’armes et d’interférences politiques exogènes dans le régime local de gestion des ressources naturelles.

La bifurcation des années 1990 dote les communautés d’une expérience combattante. La milice peule nigérienne est rapidement désactivée, mais la « miliciarisation » de la politique et la criminalisation de l’économie sont érigées en normes de gouvernement au nord du Mali.

Au fil des années 1990 et 2000, les troupeaux des Peuls nigériens qui franchissent la frontière sont régulièrement pillés. Un recensement des éleveurs peuls évoque le vol de milliers de vaches, de chameaux ou de petits ruminants. Des expéditions punitives meurtrières sont conduites de part et d’autre. Le vol et la violence se systématisent au sein de ce qui ressemble à un trafic mafieux à grande échelle, impliquant, bien au-delà des communautés d’éleveurs ou de bergers, des acteurs étatiques ou para-étatiques.

Des médiations communautaires apaisent brièvement la situation entre 2008 et 2010, mais la formation en 2011, au Mali, du MNLA – dont la composante daoussahak est essentielle – relance la course à l’armement communautaire. La possession de bétail est cruciale dans cette dynamique puisqu’elle est directement convertible en achat d’armes. Début 2012, le MNLA passe à l’offensive contre le gouvernement malien, dont les troupes fuient le nord du Mali. Dans la région de Ménaka, l’une des opérations les plus meurtrières du MNLA est l’embuscade qu’il tend en mars 2012 à une milice peule malienne appelée Ganda Iso. Sous couvert de rébellion se règlent des comptes locaux.

La tentation djihadiste

Au Mali, et surtout à Gao et dans ses environs, la contre-insurrection ne vient pas de l’Etat mais des mouvements islamistes. Suite à la débâcle militaire gouvernementale, Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), Ansar Dine et le Mujao récupèrent ceux qui, au nord du pays, rejettent un projet séparatiste commandé par des Touaregs.

A Gao, le Mujao défait le MNLA militairement et gagne en partie les « cœurs et les esprits » des communautés non touaregs, et notamment peules. La victoire du Mujao en fait un espace de « recyclage » des milices communautaires, contre les prétentions du MNLA perçues comme hégémoniques. Des dizaines de jeunes Peuls du Niger, héritiers des anciennes milices, rejoignent le mouvement djihadiste. Quoique non partisan du djihad, un responsable peul du Niger explique la logique de ce ralliement : « Nos jeunes partis au Mujao ont été notre rempart contre le MNLA. »

A ce jour, ces miliciens ne sont pas revenus et leur présence dans les rangs islamistes attire le soupçon sur l’ensemble des tribus peules de la frontière Mali-Niger, qui se plaignent de harcèlement de la part des forces de sécurité. Les raids violents se poursuivent de part et d’autre, derrière les faux-nez du Mujao ou du militantisme azawadien. Face à ces clivages emboîtés comme des poupées russes, l’Etat nigérien, et avec lui des ONG nationales et internationales répond par la sensibilisation et le développement d’opportunités économiques de leur côté de la frontière (forages de puits, activités génératrices de revenus).

L’intention est de dissuader les jeunes Peuls de rejoindre les rangs djihadistes. La nature « terroriste » du Mujao interdit qu’on fasse revenirceux qui s’y sont engagés. Le démantèlement des circuits mafieux du bétail volé n’est pas une priorité déclarée. La fin du conflit n’est vraisemblablement pas pour tout de suite.

Deux observations. Premièrement, livrées à elles-mêmes, les communautés disposent de recours internes pour résoudre leurs différends. Un notable daoussahak interviewé à Niamey remarque : « Une bagarre pour des pâturages, ce n’est pas compliqué à régler, les chefs traditionnels peuvent très bien s’en charger. » L’affaire se complique lorsque les interférences de l’Etat, de gros trafiquants transfrontaliers ou de clivages nationaux se multiplient. Les recours communautaires sont alors défaits, submergés par des forces hors de leur portée. La seule voie de sortie qui s’offre alors aux protagonistes locaux est de se servir de l’une de ces forces comme d’un bouclier ou d’un instrument d’agression de l’adversaire, au risque d’aggraver le conflit.

La deuxième observation porte sur les ressorts locaux du terrorisme islamiste. Le contenu idéologique de l’islam radical séduit sans doute de nombreuses recrues, mais ce n’est pas le facteur dominant. Nul besoin d’aller chercher des experts en radicalisation pour expliquer le basculement de certains jeunes vers l’aventure djihadiste. C’est la logique de « dilemme de sécurité » qui prévaut. Dans cette partie du monde, le « terrorisme » commence avec un vol de bétail et des autorités locales qui n’ont pas su ou voulu y mettre fin.

Yvan Guichaoua est chercheur à l’université de Kent, Ecole d’études internationales de Bruxelles.

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Source: Le Monde

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