La Croix-Rouge a révélé que plus de 5 millions d’euros avaient été détournés en Afrique de l’Ouest, avec la complicité de ses employés, à partir des fonds versés pour lutter contre l’épidémie d’Ebola entre 2014 et 2016. Des enquêtes sont encore en cours pour découvrir l’ampleur des méfaits. La fédération s’est dit scandalisée par ces agissements et promet que tout sera fait pour récupérer les fonds volés et punir les coupables. L’effort de transparence dont elle a fait preuve est inhabituel.
La Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR) a découvert toute une série de malversations : surfacturations, détournements liés aux primes, au dédouanement de marchandises, fraudes bancaires. Guinée, Liberia, Sierra Leone : aucun de ces terrains d’intervention n’est épargné.
Pourquoi cet effort de transparence ? Le docteur Jemilah Mahmood, sous-secrétaire général en charge des partenariats, explique : « Ce qu’on a fait, c’est suivre les recommandations d’organisations comme Transparency international et de partager les résultats de nos enquêtes. On espère que ça va inspirer d’autres organisations. En tout cas, on avait besoin d’apprendre de nos erreurs. »
La FICR a réfléchi à toute une série de mesures pour limiter les détournements à l’avenir : déployer des experts au niveau local pour contrôler la gestion des opérations, voire engager des agences spécialisées dans l’évaluation des risques, mettre en place des formations pour les employés locaux et internationaux, limiter aussi la durée des missions de chaque agent pour éviter la création de réseaux de détournement bien installés.
Un problème structurel
Mais cette affaire n’est que l’arbre qui cache la forêt. C’est en tout cas l’avis du chercheur Marc-Antoine Pérouse de Montclos, fondateur de l’Observatoire de l’action de l’humanitaire et spécialiste du Nigeria. Pour lui, c’est un problème structurel, dû à l’urgence, notamment, qui implique d’agir vite, parfois en dehors des procédures classiques ; recrutements ou passations de marchés précipités. Mais c’est aussi une question de terrain.
« A partir du moment où vous intervenez dans des pays corrompus, où le détournement constitue un système en tant que tel, il n’y a aucune raison que les humanitaires soient épargnés. Dans des zones où il n’y a pas d’Etat de droit, il est très difficile de faire appliquer la loi et donc très difficile de vérifier le détournement de l’aide. Mais en parler, c’est déjà un moyen, quand même, d’exercer une pression plus forte sur la traçabilité, à la fois du don et de la façon dont le don est utilisé pour aider les populations dans le besoin », estime-t-il.
Marc-Antoine Pérouse de Montclos espère surtout que cet effort de transparence s’étendra, et notamment aux agences de coopération bilatérale, aux agences onusiennes, voire même aux entreprises qui, explique-t-il, pour des raisons d’image, ont plutôt tendance à cacher ces détournements.
« Une bonne nouvelle »
« Les formes de détournement peuvent être extrêmement variées d’un pays à l’autre. Là, on a un peu un panorama mais qu’on retrouve, après tout, aussi actuellement au Nigeria, par exemple, qui est régulièrement classé parmi les pays les plus corrompus du monde. Il y a, actuellement, une crise humanitaire qui sévit dans la région du lac Tchad, avec Boko Haram, et on retrouve bien ces mécanismes. Avec quelques-uns en plus, d’ailleurs, qui ne sont pas forcément mentionnés », spécifie Marc-Antoine Pérouse de Montclos.
« Il y a, notamment, évidemment, la surfacturation des contrats, le détournement direct de l’aide alimentaire, la revente au marché noir. Mais il y a aussi, par exemple, le fait de créer des ONG factices, qui servent d’intermédiaires pour capter une partie de la rente humanitaire. Ça, c’est aussi un point qu’on retrouve dans beaucoup d’autres pays d’Afrique. Donc, rien d’étonnant. C’est un problème structurel », rappelle-t-il.
« Ce qui est un peu étonnant pour moi – et je trouve que c’est plutôt une bonne nouvelle -, c’est qu’effectivement, les humanitaires commencent à en parler publiquement, ouvertement, ajoute Marc-Antoine Pérouse de Montclos. Autrefois, les départements de communication des relations publiques des ONG – et ça valait aussi pour le mouvement de la Croix-Rouge – avaient tendance à mettre ça au placard. »
« Surtout, il ne fallait pas en parler, alors que, encore une fois, c’est un problème structurel qui touche tous les intervenants, que ce soit des intervenants à titre lucratif, des entreprises, ou que ce soit des acteurs à but non lucratif, comme le mouvement de la Croix-Rouge ou bien les ONG, d’une manière plus générale », insiste le chercheur.
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Source: RFI