Trois recours ont été déposés pour faire annuler la victoire écrasante du président sortant fin octobre. L’opposant Raila Odinga, qui a boycotté le vote, s’est abstenu.
Comme un air de déjà-vu. Le sort de la crise politique kényane est à nouveau entre les mains de la justice. Lundi 6 novembre au soir, une série de recours, dont plusieurs contestent la validité de l’élection présidentielle du 26 octobre, a été déposée devant la Cour suprême du pays. Le tout intervient deux mois après l’invalidation historique du scrutin du 8 août par la plus haute juridiction du pays.
En tout, trois recours ont été déposés afin de faire à nouveau annuler le vote. Mais, contrairement au mois d’août, point de ténors de l’opposition dans les couloirs de la Cour. Cette fois, Raila Odinga n’a pas fait le déplacement jusqu’au centre-ville de Nairobi, siège de l’institution, et n’a transmis aucune requête à la justice. Le chef de l’opposition a en effet boycotté le scrutin et dénie toute légalité à la dernière consultation, qui a vu la victoire écrasante du président sortant Uhuru Kenyatta, vainqueur avec plus de 98 % des suffrages.
Des recours parfois farfelus
« Ayant boycotté les élections, M. Odinga ne se sentait pas le mieux placé pour aller en justice et comptait sur des ONG importantes et des figures majeures de la société civile pour monter au front judiciaire », explique un bon connaisseur du personnage. Mais, contrairement à ces vœux, la Cour suprême n’a été saisie que par des personnalités et des organisations de moindre envergure, parfois carrément farfelues.
Ainsi en va-t-il du nébuleux Mouvement du drapeau noir (Black Flag Movement), mené par un mystérieux citoyen « George Bush », venu enregistrer in extremis son dossier « anti-élection ». Ce dernier a lui-même reconnu ne pas avoir les fonds suffisants afin de payer ses frais de dossier. Un autre pourvoi émane d’un ex-député, John Harun Mwau, plus connu pour ses anciennes performances dans les stades comme champion national de tir à la carabine que pour son suivi de la crise en cours.
Le recours le plus sérieux semble donc être celui déposé par deux responsables d’ONG, Njonjo Mue, président de l’antenne locale de la Commission internationale des juristes (ICJ), et Khelef Khalifa, le directeur de l’organisation musulmane de défense des droits humains Muhuri. Mais ces deux personnalités demeurent peu connues du grand public et le contenu de leur dossier demeure encore assez flou.
La Commission électorale (IEBC), étrillée par la Cour suprême dans son jugement d’annulation du premier scrutin, affirme aujourd’hui se rendre devant les tribunaux sûre d’elle-même et de son élection. « Depuis le mois d’août, nous nous sommes mis en stricte conformité avec la loi, soutient ainsi Andrew Limo, le porte-parole de l’institution. Le 1er septembre, les juges de la plus haute juridiction kényane avaient invalidé un scrutin jugé « ni transparente ni vérifiable » reprochant notamment à l’IEBC d’avoir proclamé des résultats sur la base de procès-verbaux « douteux » ou carrément introuvables.
De l’aveu même de l’IEBC, les résultats avaient été déclarés en l’absence de près d’un quart des PV du pays. « Mais cette fois nous avons corrigé nos erreurs. Avant de donner le vainqueur, nous avons rassemblé à Nairobi les copies physiques de tous les procès-verbaux du pays : plus de 37 000 en tout ! », soutient M. Limo.
Pas de quoi convaincre les sceptiques. « Comment se fait-il que, subitement, contrairement au mois d’août et comme par magie, tous les PV s’envolent cette fois en un temps record à Nairobi ? », feint de s’interroger le chercheur Nic Cheeseman. Aucune des réformes mises en place par l’IEBC ne permet d’expliquer ce prodige. A moins d’avoir réussi à déformer l’espace-temps, je ne vois pas comment ils y seraient arrivés. »
« D’autant que d’un point de vue strictement légal, cette élection n’est pas plus valide », rappelle la juriste Nanjala Nyabola. En cause : l’impossibilité pour l’IEBC, du fait des violences, d’organiser une consultation dans 25 circonscriptions de l’ouest du pays, fief d’Odinga, alors même que la Constitution stipule qu’une présidentielle doit se tenir dans « chaque circonscription ». « Par ailleurs, si on se réfère à une décision de la Cour suprême de 2013, le retrait d’Odinga au mois d’octobre aurait dû remettre l’ensemble du calendrier électoral à zéro », poursuit la juriste. Avec un nouveau scrutin organisé, au mieux, début 2018.
Menace sur les juges de la Cour suprême
Malgré l’évidence constitutionnelle, difficile pourtant de prédire un verdict. Une série d’amendements contestés à la loi électorale a en effet été votée par la majorité présidentielle et publiée il y a une semaine au Journal officiel. Désormais, afin d’invalider une élection, la Cour suprême devra démontrer non seulement que le processus électoral a violé les principes de la Constitution (comme au mois d’août), mais aussi que le résultat final a été altéré et le vainqueur modifié.
La tâche paraît donc autrement plus laborieuse. Mais le dilemme semble aujourd’hui moins légal que politique. Menacés, traités d’« escrocs » par Kenyatta lui-même, « les sept juges de la Cour suprême vivent reclus dans une atmosphère de peur et d’intimidation. Le chef de l’institution, David Maraga, semble lui-même perdu dans ce grand désordre institutionnel et politique. Pas sûr qu’il souhaite prolonger encore la crise », explique une source bien informée.
Il y a de quoi être intimidé : le 24 octobre, le garde du corps de la vice-présidente de la Cour suprême a été attaqué et blessé par balle. Simple banditisme ou acte commandité par le pouvoir ? « Au Kenya, les criminels de droit commun n’attaquent pas les véhicules du gouvernement, conduit par des agents armés et qui savent tirer », a confié une source judiciaire à l’agence Reuters. De quoi faire réfléchir les juges avant d’invalider un nouveau scrutin.
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Source: Le Monde.fr