La ministre française des Armées était à Dakar au Forum international sur la paix et la sécurité en Afrique. Mise en place de la force conjointe du G5 Sahel, évolution de l’opération Barkhane, lutte contre le terrorisme… Florence Parly répond aux questions de Jeune Afrique.
C’était sa première visite à Dakar en tant que ministre des Armées. Les 13 et 14 novembre, Florence Parly, 54 ans, s’est rendue dans la capitale sénégalaise pour assister à la quatrième édition du Forum international sur la paix et la sécurité en Afrique, organisé avec le soutien des autorités françaises. Elle y a notamment rencontré les présidents sénégalais et malien, Macky Sall et Ibrahim Boubacar Keïta, avec lesquels il a largement été question de lutte contre le terrorisme au Sahel.
Ce forum est né en décembre 2013, lors du sommet de l’Élysée sur la paix et la sécurité en Afrique. Il s’agissait d’une initiative prise par le Sénégal, avec l’appui de la France. Depuis, cette manifestation a évolué, notamment en s’ouvrant davantage sur les pays anglophones. Ce forum est devenu le rendez-vous incontournable des échanges sur la sécurité en Afrique.
Il est aussi un lieu très ouvert, où l’on retrouve des chefs d’État, des représentants d’organisations internationales – comme les Nations unies ou l’Union africaine (UA) – ou encore des acteurs de la recherche, des experts, et des entreprises qui sont intéressés par ces sujets sécuritaires. Il permet donc l’échange d’idées et l’élaboration de solutions très concrètes.
Il a été convenu que la force conjointe devrait mener une première opération fin octobre. Ce rendez-vous a été tenu
La première opération de la force conjointe du G5 Sahel s’est terminée le 12 novembre aux frontières du Mali, du Burkina Faso et du Niger. Quand cette force sera-t-elle pleinement opérationnelle ?
Un calendrier très précis avait été mis au point quand cette force conjointe du G5 Sahel a été imaginée. Lors des échanges que le président Macron a eus avec les chefs d’État des cinq pays concernés au sommet de Bamako, en juillet dernier, il a été convenu que cette force conjointe devrait mener une première opération fin octobre. Ce rendez-vous a été tenu.
Le deuxième engagement pris pendant ce sommet était qu’elle soit ensuite pleinement opérationnelle fin mars 2018. Nous nous félicitons d’avoir franchi la première étape, mais il reste encore beaucoup à faire pour que la force conjointe du G5 Sahel tourne à plein régime.
En particulier sur son financement…
Pour parvenir à cet objectif, il faut compléter les financements. Des contributions très importantes ont été mobilisées : d’abord par les cinq États concernés, puis par l’Union européenne (UE), par la France, et tout récemment par les États-Unis.
J’étais à Washington il y a quelques semaines. J’ai profité de ce déplacement pour tenter de convaincre mes interlocuteurs américains de l’utilité de cette force conjointe, qui n’a pas vocation à se substituer mais à appuyer et décupler les efforts que d’autres mènent déjà dans cette région du monde. Je suis donc très heureuse que les États-Unis aient finalement pris la décision de contribuer à hauteur de 60 millions de dollars.
Toutefois, il manque encore environ 100 millions d’euros. Il n’y a pas de temps à perdre pour les réunir, c’est la condition pour que la force conjointe remplisse pleinement la mission qui lui a été impartie.
Ne faut-il pas voir une volonté de retrait progressif de l’opération Barkhane derrière le soutien appuyé de Paris au G5 Sahel ?
Les États africains doivent de plus en plus prendre en main leur propre sécurité. Ce n’est pas moi, mais eux, qui dressent ce diagnostic, que je soutiens totalement. Face à une menace aussi complexe et mouvante que la menace terroriste, il faut conjuguer nos efforts. Nous le faisons déjà entre Barkhane et la Minusma, mais nous avons aussi besoin que les pays du G5 Sahel soient de plus en plus acteurs de leur propre sécurité.
Peut-on dire que la force conjointe du G5 Sahel a pour vocation de remplacer Barkhane ?
La force Barkhane restera le temps qu’il faudra. Cela dépendra entre autres de la montée en puissance de la force conjointe du G5 Sahel.
Il n’y a donc pas de réduction de troupes à prévoir dans les mois à venir ?
Nous n’avons pas de projet de cette nature pour l’instant. En revanche, nous travaillons sur notre façon d’opérer et sur nos méthodes, pour être plus efficace et mieux nous coordonner avec les différentes forces présentes dans la région.
Barkhane, Minusma, force conjointe du G5 Sahel… Cette accumulation de forces militaires n’est-elle pas contre-productive ?
Ces différentes forces n’ont pas les mêmes missions. La Minusma est chargée du maintien de la paix et de la protection des populations. Barkhane contribue à la neutralisation des groupes terroristes et à la destruction de caches d’armes.
Leurs missions ne sont donc pas les mêmes, mais il y a une bonne coordination entre les deux. Barkhane forme aussi les forces armées maliennes et soutient la montée en puissance de la force conjointe du G5 Sahel. Tout cela est donc très complémentaire.
Les chefs d’État ou ministres sahéliens sont souvent sévères avec la Minusma, estimant notamment qu’elle capte beaucoup de moyens financiers pour peu de résultats. Partagez-vous ce constat ?
La Minusma a une mission extrêmement difficile à remplir sur un territoire très vaste. Il faut saluer son engagement. Il faut aussi que les opérations de maintien de la paix soient sans cesse adaptables, tout comme Barkhane, pour remplir au mieux leurs missions. Je comprends très bien qu’il y ait une exigence forte, mais il faut également garder en tête que ces forces de maintien de la paix sont extrêmement utiles, avec des contributions relativement modestes en terme d’argent investi.
Regrettez-vous que le Sénégal ne fasse pas partie du G5 Sahel ?
Le Sénégal est un pays majeur, qui contribue à la stabilisation de cette région. Voilà pourquoi il est impliqué et plus que bienvenu dans l’initiative Alliance pour le Sahel lancée par le président de la République.
Dans la nuit du 23 octobre dernier, un raid de la force Barkhane contre un campement jihadiste dans la région d’Abeïbara, au Mali, a causé la mort de onze soldats maliens détenus en otages. Reconnaissez-vous que ces soldats ont été tués dans ce raid et comment l’expliquez-vous ?
Ce raid visait un camp de terroristes. Il a permis de neutraliser un groupe de terroristes. Comme toujours, avant qu’une telle opération ne soit enclenchée, un certain nombre de repérages et de recueil de renseignements ont été réalisés. Ils ont permis de réunir toutes les informations permettant de penser qu’il s’agissait bien d’un camp de terroristes.
Après l’opération, Barkhane est retourné sur le terrain. Les éléments recueillis ont confirmé que les renseignements qui les avaient conduits à intervenir étaient bons.
Nous avons des informations factuelles montrant qu’il ne s’agissait pas d’otages
Cela pouvait aussi être un camp de terroristes avec des otages à l’intérieur…
Nous avions de très bonnes raisons de penser qu’il ne s’agissait pas d’otages. Nous avons d’ailleurs partagé ces raisons avec les autorités maliennes.
Vous sous-entendez donc que ces soldats maliens ont été « retournés » d’otages à combattants ?
Nous avons des informations factuelles montrant qu’il ne s’agissait pas d’otages. Nous nous sommes donc expliqués très franchement avec les autorités maliennes. Je crois pouvoir dire que cette question est derrière nous.
Je suis concentrée sur la montée en puissance de la force conjointe du G5 Sahel, dont j’ai beaucoup parlé avec le président IBK à Dakar. J’ai pu mesurer combien le Mali, qui est engagé depuis de nombreuses années à nos côtés dans la lutte contre le terrorisme, reste et restera un allié fondamental de la France.
Durant le quinquennat de François Hollande, les responsables du ministère de la Défense ne cachaient pas leur volonté de neutraliser les chefs jihadistes sahéliens lorsqu’ils les trouvaient, à commencer par Iyad Ag Ghali. Poursuivez-vous cette doctrine ?
Barkhane a contribué à la neutralisation de nombreux combattants terroristes. Nous continuons à le faire mais je n’ai pas de déclaration à faire sur des individus en particulier.
Que pensez-vous de l’idée, défendue par certains responsables politiques à Bamako, d’entamer un dialogue avec les jihadistes maliens, comme Iyad Ag Ghali ?
Un accord de paix a été signé à Alger. Des organisations sont signataires de cet accord et d’autres sont considérées comme terroristes. J’ai une vision assez simple des choses : ceux qui sont signataires de l’accord sont dans une logique de dialogue et de coopération. Quant à ceux qui ne sont pas signataires de l’accord, je ne vois pas de raison de changer d’attitude à leur égard. Nous combattons les terroristes, quels qu’ils soient.
Êtes-vous satisfaite de l’avancée du processus de paix au Mali ?
De notre point de vue, il avance trop lentement. Personne ne pense que la lutte contre le terrorisme pourra être résolue par la seule action militaire. Elle passe aussi par l’action politique.…lire l’article sur jeuneafrique.com
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Source: Jeune Afrique