Emmanuel Macron sera lundi soir 27 novembre au Burkina Faso. Le président français aura un premier entretien avec son homologue Roch Marc Christian Kaboré et fera une première déclaration. Mardi matin, il prononcera à l’université de Ouagadougou un discours sur sa politique africaine devant 88 étudiants. Les thèmes qu’il entend mettre en avant ? Le développement du secteur privé, la mobilité et l’éducation. Son entourage l’assure : « le président n’esquivera aucune question ».
Les appels à manifester lancés ces dernières heures par plusieurs organisations de la société civile burkinabè ne font que confirmer une réalité : Emmanuel Macron ne sera pas mardi en terrain conquis.
Une réalité dont l’Elysée dit avoir parfaitement conscience : « On aborde ce discours en se disant “ce n’est pas un public conquis d’avance par ce qu’on vient de dire” ». Et l’un de ses conseillers d’ajouter : « Au-delà du Burkina Faso, le sens de ce déplacement c’est aussi de prendre conscience que la France en Afrique n’est pas attendue partout, que la vision n’est pas forcément bonne, que notre influence est en recul ».
Un discours qui a vocation à parler «aux Africains mais aussi à la France»
Un constat qui n’empêche pas son entourage de fonder de grands espoirs dans ce discours. L’objectif premier ? Qu’il enclenche le renouvellement de la relation entre la France et le continent. L’ambition à terme ? Que ce discours permette non seulement de « faire évoluer la perception de la France par cette jeunesse [africaine] », mais qu’il suscite également « un mouvement, un appétit, qu’il créée une mobilisation collective en France et en Afrique ».
Car selon l’Elysée, l’intervention d’Emmanuel Macron mardi à Ouagadougou a vocation à parler « évidemment aux Africains » mais aussi « à la France et notamment à la jeunesse française ».
Comment le président français entend-il s’y prendre pour marquer les esprits ? Pour garder l’effet de surprise, son entourage n’a divulgué que des bribes d’informations.
Des éléments qui ne sont pas sans rappeler la manière de faire de certains de ses prédécesseurs. Exemple : comme Nicolas Sarkozy il y a dix ans, Emmanuel Macron s’adressera à la jeunesse africaine. Comme lui, il s’exprimera depuis l’amphithéâtre d’une université. A un détail près, l’actuel locataire de l’Elysée aura face à lui 800 étudiants alors qu’en 2007, Nicolas Sarkozy avait préféré s’exprimer uniquement devant des universitaires pour éviter toute réaction hostile.
Développer le secteur privé, l’une des priorités pour Emmanuel Macron
Si l’on ne connaît pas la teneur du message qu’en entend délivrer Emmanuel Macron, plusieurs éléments permettent toutefois d’en entrevoir les contours. Durant la campagne, le candidat avait fait du « développement du secteur privé, notamment des PME africaines qui sont créatrices d’emploi », l’une de ses priorités. Car, expliquait-il dans Jeune Afrique en avril dernier, « un des grands défis pour nous tous, c’est de créer en Afrique des emplois pour la jeunesse africaine ».
L’entrepreneuriat et plus généralement l‘économie devraient donc être au cœur de son plaidoyer. A l’Elysée, on répète aujourd’hui vouloir établir « un nouveau partenariat » avec le continent. Au cours de son voyage, le président a prévu de soutenir l’innovation et l’entrepreneuriat. Dans ce cadre, Emmanuel Macron ira notamment visiter un incubateur de start-up jeudi à Accra. Et son entourage précise bien que ses déplacements sur le terrain illustreront son discours.
Un discours également axé sur la mobilité et l’éducation
Les autres thèmes qui seront mis en avant ? Les travaux du Conseil présidentiel pour l’Afrique (CPA) nous éclairent sur ce point. Cette structure chargée d’aider le président à préparer son discours, a centré sa réflexion autour non seulement du secteur privé, mais aussi de l’éducation, de la mobilité, de la culture et des nouvelles technologies.
Après s’être réuni une fois par semaine pendant deux mois, le CPA a remis ses conclusions au président le 14 novembre dernier. Ce soir-là, au cours d’un dîner à l’Elysée, chaque membre a été amené à sensibiliser le président sur chacun de ces sujets et à formuler des propositions. Si l’Elysée ne veut pas en dire plus, il apparaît clair que le président a en tête de mettre ce mardi l’accent sur la mobilité et l’éducation. Ce n’est donc pas un hasard si le ministre français de l’Education, Jean-Michel Blanquer, fait partie de la délégation qui accompagne le président.
Secteur privé, mobilité, éducation…. Emmanuel Macron abordera-t-il également des sujets plus sensibles comme la colonisation ? Pendant la campagne, le candidat Macron avait surpris son monde en qualifiant la colonisation en Algérie de « crime contre l’humanité ».
Dans Jeune Afrique au mois d’avril, il précisait le fond sa pensée : « Je ne m’inscris pas dans la repentance, mais je ne souhaite pas non plus refouler ce passé, dont la connaissance doit nous aider à construire un avenir apaisé ». Et le candidat d’enfoncer le clou : « C’est en assumant la vérité sur notre histoire commune que nous pourrons regarder l’avenir avec confiance ». Simple discours de candidat en campagne ou position clairement assumée ? Désormais président, Emmanuel Macron se veut beaucoup discret sur le sujet. Un événement récent lui a sans doute fait prendre conscience de l’importance de la question pour certains de ses interlocuteurs.
La colonisation, objet d’un débat animé lors du dîner avec le CPA
Selon plusieurs sources, le dîner du 14 novembre à l’Elysée avec les membres du CPA a donné lieu à un échange animé sur le sujet entre le président et l’une des membres de ce conseil, Elisabeth Gomis. Contrairement à ce qui était attendu, la journaliste décide ce soir-là de sensibiliser le président sur les enjeux mémoriels. « En fait, je me suis dit qu’il fallait qu’on commence par le commencement, explique-t-elle aujourd’hui. Parlons de la colonisation. En Afrique et en France pour la diaspora c’est un vrai sujet. En Afrique, toutes les crispations elles sont autour de ça. »
La ligne défendue par cette jeune réalisatrice ? Que la France regarde son passé en face. « Je ne demande pas qu’il se mette à genoux et qu’il demande pardon ! C’est pas ça l’idée, c’est juste acceptons l’Histoire, embrassons cette histoire de France et arrêtons d’en faire un tabou qui nourrit aujourd’hui tous les fantasmes ».
Ainsi ce 14 novembre, Elisabeth Gomis dit au président ce qu’elle a sur le cœur : « Je sais que De Gaulle c’est une figure pour Emmanuel Macron. Je lui ai dit qu’effectivement De Gaulle, c’était un héros pour la France mais c’était aussi le blanchiment des troupes coloniales. Et si on ne le dit pas, on ne raconte pas l’histoire ! »
Un parti pris qui fait vivement réagir le locataire de l’Elysée. « Il ne m’a pas lâché, relate-t-elle. Ça a été un petit peu une joute verbale, il fallait que j’argumente ». Au final, la journaliste formule plusieurs propositions comme le soutien à la création d’une fondation pour la mémoire de l’esclavage, un projet lancé par François Hollande et porté aujourd’hui par l’ancien Premier ministre Jean-Marc Ayrault. A-t-elle au final été entendue ? Si à l’Elysée on assure que le président n’a aucun problème avec ce sujet, la journaliste ne cache pas ses inquiétudes. « J’ai peur qu’il soit un peu trop léger sur cette question », confie-t-elle.
Autre sujet de tension sur lequel le président est attendu : le franc CFA. Emmanuel Macron en parlera-t-il ? Une source assure à RFI qu’il abordera le sujet non pas dans son discours, mais au cours de la séance de questions-réponses avec les étudiants. Une séance au cours de laquelle « le président n’esquivera aucune question », promet-on à l’Elysée. Y compris sur l’assassinat de Thomas Sankara, dont le Burkina Faso vient de commémorer le trentième anniversaire ? « S’il est interrogé là-dessus, il répondra », promet-on à l’Elysée.
Pas un discours de stigmatisation contre certains chefs d’Etat africains
Ce qui est sûr, c’est qu’à Ouagadougou, Emmanuel Macron n’entend pas pointer du doigt ses homologues africains qui ont du mal lâcher le pouvoir. « Ce ne sera pas un discours de stigmatisation, explique son entourage. Il ne parle[ra] pas aux chefs d’Etat ». Et l’Elysée de préciser : « Le lendemain [à Abidjan pour le sommet UE-UA, ndlr], on sera dans un autre exercice. Un exercice de huis clos entre chefs d’Etat et avec une diplomatie plus classique où on se voit, où on se parle et là les messages peuvent être passés ».
Ce mardi, Emmanuel Macron s’adressera aux étudiants qu’il aura face à lui pour tenter, décrypte ses proches, « de toucher aux préoccupations les plus immédiates de ce public ». Il formulera des propositions concrètes. Présents à ses côtés, les membres du CPA seront chargés d’assurer le suivi de ces propositions. Un suivi qui « sera aussi important que le discours lui-même » aux yeux de son entourage.
Ecoles fermées à Ouagadougou pendant la visite d’Emmanuel Macron
Les écoles sont fermées lundi et mardi dans la province du Kadiogo, c’est à dire à Ouagadougou et sa périphérie, en raison de la venue du président français au Burkina Faso. Une mesure destinée à faciliter la circulation des délégations, explique le porte-parole du gouvernement et ministre de la Communication, Remis Fulgance Dandjinou.