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Me Mamadou Konaté sur TV5 : «La question de la corruption fait partie de la justice aussi bien en Afrique qu’en dehors de l’Afrique»

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Justice en Afrique l’impossible indépendance, c’était la question de la semaine sur la page face-book de TV5, pour répondre aux préoccupations des téléspectateurs, Me Mamadou Konaté, l’ancien Garde des Sceaux du Mali.

Vous êtes  l’un des avocats les plus réputés du continent, vous avez été brièvement ministre de la justice, vous avez décidé de démissionner le 27 novembre 2017. Pour vous, il était impossible d’assurer correctement votre mission. Que s’est-il passé précisément ?

Je ne vais pas, sur ce plateau-là, parler spécifiquement des raisons de ma démission. Je me suis rendu compte simplement, en acceptant cette mission de servir l’Etat au niveau de celui qui est le ministère de la Justice, d’apporter ce que j’ai pu avoir, depuis 25 ans, comme expertise en matière de justice et en matière juridique. J’ai fait ce que j’aurais pu faire ; je n’ai pas pu aller loin…

Qu’est-ce qui a été le point de non-retour ?

Le point de non-retour parce que simplement la problématique juridique doit être la mieux appréhendée en Afrique, notamment par les pouvoirs publics, notamment par les dirigeants, notamment par les leaders. Il faut se rendre compte que la justice et le droit ne sont pas des petites allées ; ce sont des instruments qui sont essentiels, nécessaires et utiles pour la survie de nos pays. Bien évidemment, la question du développement ne peut pas être conçue en dehors de la santé, en dehors de l’éducation nationale. Je suis de ceux qui pensent que la justice est aussi utile et nécessaire que l’éducation nationale et la santé.

C’est à cause du pouvoir que vous êtes parti ?

On ne peut pas dire c’est à cause du pouvoir. Vous savez, c’est une divergence de vue fondamentale sur des questions qui sont essentielles, qui peut me permettre de mener à bien ma mission, qui a fait que  j’ai été en rupture. Je l’ai fait savoir et je suis parti.

Pour beaucoup de nos internautes la justice est instrumentalisée. Selon un internaute malien, le président de la République est le président du conseil supérieur de la magistrature. Le cas est très courant en Afrique. Est-ce que ce n’est pas la première réforme indispensable à mener en Afrique ?

Dans l’ensemble de nos Etats, chaque président de la République, qui arrive, vient avec son programme de réforme de la justice. L’on se rend compte que ces réformes de la justice ne concernent pas les points essentiels qui permettent aujourd’hui d’une part, de rendre la justice indépendante, d’autre part, de doter la justice de moyens efficients qui permettent aujourd’hui aux juges sur le terrain de pouvoir travailler. Rendre la justice indépendante aujourd’hui, indépendante de pouvoirs essentiels qui peuvent éventuellement contrarier la justice.

Et l’un des pouvoirs essentiels, c’est bien évidemment le pouvoir exécutif, qui est incarné par le président de la République. Mais ce n’est pas le seul pouvoir, les pouvoirs financier et économique peuvent alénier la justice. Pour ce qui concerne le pouvoir exécutif, le président de la République préside le conseil supérieur de la magistrature, il est le premier magistrat. Il est déterminant aujourd’hui pour la nomination des magistrats d’une part, pour l’affectation et la gestion de la carrière des magistrats.

Un autre internaute va plus loin, tant que les ministres de la justice et les magistrats seront nommés par les politiques, on ne pourra jamais parler d’indépendance. Alors aujourd’hui, est-ce que la fonction de magistrat est indéniablement politique ? 

Elle n’est pas politique mais elle est très fortement teintée. Parce que le décret qui nomme tel ou tel magistrat à la tête de telle ou telle juridiction, ou à la fonction de procureur de la République, par exemple, cette décision incombe et émane essentiellement du pouvoir politique. Bien évidemment, il ne s’agit pas de prôner la mise en place d’un gouvernement de juges. Le pouvoir politique doit avoir un contrôle à ce niveau. Mais, au-delà, ce qui est le plus important aujourd’hui, c’est que nos processus de justice doivent nous amener à casser le cordon ombilical entre le politique et la justice. D’un côté, la justice doit être représentée par des professionnels de droit, indépendants et autonomes, et de l’autre, le droit de regard, oui. Mais le moyen de contrôler, tel qu’on le contrôle par le biais de la nomination, par le biais de la gestion de la carrière, ceci peut être un élément de déliement pour une indépendance de la justice.

La nomination est un argument qui revient souvent.  Pour un autre internaute en Afrique, les pouvoirs en place utilisent la justice pour intimider l’opposition ou les hommes d’affaires. Il y a plusieurs opposants dont les procès judiciaires sont contestés, comme le maire de Dakar au Sénégal, Monsieur Sall, ou Soglo le maire de Cotonou au Bénin. Il y a plusieurs autres cas encore. Est-ce que c’est la réalité ?

Bien sûr que c’est la réalité. Chaque fois qu’un individu, un homme ou une femme sont dotés d’un pouvoir, on a tendance à en abuser. C’est pour cela d’ailleurs que Montesquieu avait demandé à ce qu’il y ait une limite, il y ait une séparation des pouvoirs à ce niveau. Mais dans le contexte africain, la justice peut éventuellement représenter un instrument  de pouvoir entre les mains du pouvoir exécutif. Ça peut aller contre les oppositions ; ça peut aller pour éventuellement préserver les intérêts particuliers ; ça peut être éventuellement source de crise à ce niveau. De ce point de vue, nos justices ont besoin d’être fondamentalement réformées.

Un internaute de Bamako pose la question de la corruption qui mine la justice. Il explique que quand on a une affaire en justice au Mali, au lieu que les avocats travaillent sur la défense du dossier, ils demandent à leurs clients de donner de l’argent, d’aller graisser les juges. Vous Maître, vous avez été avocat pendant 25 ans au Barreau du Mali. Est-ce que vous avez connaissance d’une telle pratique ?

Bien évidemment. Vous savez, il y a des brebis galeuses partout où on va : Bamako, Dakar,  Abidjan, N’Djamena, Libreville. Partout, il y a des brebis galeuses. Notre combat consiste à faire aujourd’hui que l’éthique, la morale, la déontologie et les bonnes pratiques professionnelles interviennent en Afrique.

On a déjà tenté de vous corrompre vous ?

Partout en Afrique, on tente de corrompre, ou vous-même, vous tentez de corrompre. Mais entre les deux, il faut se rendre compte simplement   que c’est tellement mauvais, qu’il ne faut pas en faire un point de passage à ce niveau. La question de la corruption fait partie de la justice aussi bien en Afrique qu’en dehors de l’Afrique. Il ne faut pas croire qu’ailleurs, qu’il n’y a pas de corruption, qu’il n’y a pas de tentative de corruption. Mais la question fondamentale c’est que nos justices soient réformées pour prendre en charge les moyens qui permettent aujourd’hui de juguler la corruption.

Ce sont des magistrats indépendants qui donnent à la magistrature son indépendance. Est-ce que, finalement, ce qui pose problème, ce n’est pas la conception de la fonction de magistrat par eux-mêmes ?

D’abord, les hommes et les hommes magistrats doivent être courageux, ensuite bien formés, ensuite capables devant des situations de fait, d’appliquer le droit.

Il manque de l’éthique aujourd’hui ?

Il y a beaucoup de manque d’éthique parce que simplement les moyens de contrôle ne sont pas suffisants à l’endroit des magistrats, qui sont laissés à eux-mêmes devant les justiciables, qui n’ont pas assez de moyens pour pouvoir réagir à ce niveau. C’est pour ça que la réalité du droit doit nous permettre aujourd’hui de mettre en place des instruments efficaces, des instruments qui sont adaptés à notre contexte, qui ne sont pas importés. Des instruments qui nous permettent aujourd’hui, aussi bien de contrôler le juge dans sa fonction de juger, que de donner des moyens au juge de pouvoir juger.

Est-ce qu’il y a un problème de recrutement ?

Bien sûr qu’il y a un problème de recrutement ! Je vous donne juste un exemple. Il y a environ 650 magistrats sur toute l’étendue du territoire national malien. C’est à peu près le même chiffre au Sénégal, au Niger, au Burkina Faso. C’est beaucoup moins au Gabon par exemple. Dans toute l’Afrique la question du niveau de recrutement se pose. La qualité du recrutement se pose. La question de la formation professionnelle se pose. C’est pour cela que les pouvoirs publics, le pouvoir exécutif justement doit pouvoir prendre éventuellement conscience de cela, et faire en sorte que la réalité de la justice puisse permettre de participer au développement de l’Afrique.

Beaucoup d’internautes rappellent et saluent l’exemple du Kenya. On a constaté l’impartialité de la justice comme à la dernière élection. Est-ce qu’il y a des pays en Afrique où la justice est indépendante, Maître ?   

C’est une colle.

Vous hésitez beaucoup ?

J’hésite beaucoup parce que les situations sont les mêmes d’un pays à un autre. Bien évidemment, il y a des pays qui sont en avance. Quand vous voyez un pays comme le Rwanda, quand vous voyez un pays comme le Cap Vert, quand vous voyez un pays comme le Botswana, quand vous voyez un pays comme l’Ile Maurice aujourd’hui, ce sont des pays qui ont fait des efforts énormes en matière de justice, pour réguler afin que des investisseurs étrangers interviennent.

En dehors de ceux-là, progressivement, quand vous allez vers le Sahel, le grand Sahel, la question de la justice est posée. Parce qu’on est incapable de juguler les crises, parce qu’on est incapable de combattre la corruption, parce qu’on est incapable de rendre la justice convenablement à la satisfaction de justice.

C’est pour cela qu’il faut prendre conscience de tout cela, c’est pour ça qu’ensemble aujourd’hui, il ne faut pas qu’on puisse raisonner simplement en tant que Gabonais, Tchadiens ou Maliens. La dynamique de la justice, comme dans le cadre de l’OHADA, doit nous interpeller tous, et mener à bien des réflexions qui nous permettent aujourd’hui d’être des Etats de droit.

L’indépendance de la justice africaine est tributaire de la démocratisation des régimes. On assiste au recul de la démocratie dans certains pays. Est-ce que ça ne présage pas un recul de la justice ?

Mais parce que la justice est désagrégée complètement, la démocratie ne peut pas se passer de la justice. L’Etat de droit ne peut pas se passer de la justice. La justice c’est quand même cet instrument qui est entre deux personnes pour dire le droit sur la base des faits. Elle ne regarde ni la couleur de leurs yeux, ni l’état de fortune qu’ils ont, ni leurs origines. Il faut aller vers la mise en place de justice forte, de justice indépendante, composée d’hommes et de femmes qui sont courageux, qui sont capables d’aller au-delà des fausses instructions venant des pouvoirs qui n’en sont pas.

Vous avancez souvent que la justice doit s’adapter aux réalités locales. Qu’est-ce que vous entendez par là ?

Quand vous allez dans nos contrées africaines et que vous voyez que les cours d’assises se réunissent encore avec des juges qui sont habillés en rouge, et que dans certaines contrées d’Afrique, le rouge est maléfique. Je vous donne simplement l’accoutrement pour dire le caractère inadapté de la justice, les lois aujourd’hui, notamment les lois sociales. Le contexte dans lequel la justice est rendue, tout cela doit nous interpeller, nous en tant qu’Africains, pour mener des réflexions d’adapter la justice aux attentes des justiciables. De faire en sorte aujourd’hui, que cette justice ne soit pas regardée comme tombant du ciel, alors qu’elle est parmi nous.

Source: TV5

 

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