Le président guinéen revient sur son année à la tête de l’Union africaine. Il dit « regretter » l’absence d’initiatives sur les crises en Libye, RDC et en Centrafrique.
Le chef d’Etat guinéen, Alpha Condé, vient de quitter la présidence de l’Union africaine (UA). « Je me suis efforcé, malgré les limites, d’imprimer une nouvelle dynamique », a-t-il déclaré le 28 janvier, dans son discours d’ouverture du 30e sommet de l’UA, à Addis-Abeba. Avant de passer le flambeau au président rwandais, Paul Kagamé, le Guinéen a insisté sur la nécessité de « passer de la rhétorique à l’action, des promesses aux résultats concrets et tangibles ».
En 2018, sous l’impulsion de M. Kagamé, l’UA pourrait faire sa mue et même devenir, pour la première fois dans son histoire, indépendante financièrement. Telle est la priorité de la réforme institutionnelle que doit concrétiser le Rwandais. Depuis la capitale éthiopienne, Alpha Condé, 79 ans, revient sur son année à la tête de l’organisation panafricaine.
Quel bilan dressez-vous de cette année de présidence de l’UA ?
Alpha Condé Ce n’est pas à moi de faire le bilan ! J’ai essayé, par fidélité à ce que j’ai toujours défendu, de servir le continent et de faire avancer l’UA. Toute ma vie, j’ai combattu, d’abord pour les indépendances africaines, puis pour l’unité de l’Afrique. Assurer la présidence de l’UA s’est donc inscrit dans la continuité de cette histoire. La bataille de l’unité africaine, je ne la mène pas depuis un an.
En tant que président, je me suis battu pour rendre l’UA plus efficace, réduire les sujets abordés lors des sommets afin qu’ils ne durent qu’une seule journée et non deux. Moins de palabres et plus de travail, tel était mon souhait.
Enfin, j’ai bien rappelé aux chefs d’Etat africains qu’ils doivent assister eux-mêmes aux sommets de l’UA et non pas dépêcher des vice-présidents ou des ministres pour les représenter. Car si nous, présidents, ne prenons pas au sérieux notre organisation, qui le fera ?
Quelles ont été les limites et les échecs rencontrés ?
J’aurais souhaité mettre en place un gouvernement d’union nationale en Libye. Nous avons adopté une feuille de route et nommé le président congolais, Denis Sassou-Nguesso, à la tête d’un Comité de haut niveau de l’UA sur la crise libyenne. Malheureusement, nous n’avons pas réussi à créer un consensus avec tous les acteurs libyens.
En Centrafrique, j’espérais pouvoir faire taire les armes et en République démocratique du Congo, j’aurais voulu que l’UA parvienne à soutenir l’organisation des élections. Ces trois objectifs n’ont pas été atteints. Je le regrette.
En tant que président de l’UA durant une année, n’avez-vous pas délaissé votre pays, la Guinée, où les défis sont également considérables ?
En 2017, je n’ai pas passé une semaine complète en Guinée, qui a aussi traversé des moments difficiles. Mais j’ai voulu honorer mon mandat à la tête de l’UA. A travers moi, la Guinée s’est investie pour que le continent parvienne à parler d’une seule voix, comme sur les crises du Moyen-Orient ou sur le terrorisme, et prenne un peu plus son destin en main.
J’ai l’impression que les chefs d’Etat s’investissent de plus en plus dans l’UA, notamment les « champions » qui sont chargés des thèmes particuliers tels que la migration, le libre-échange et la lutte contre le terrorisme… Chaque président prend désormais cela très au sérieux et donne du temps et des moyens à l’UA. Avec l’arrivée de Paul Kagamé, je crois que cette ligne va continuer, que les crises africaines seront de plus en plus résolues par les Africains.
Finalement, votre bilan ne repose-t-il pas sur les réformes institutionnelles de l’UA portées par Paul Kagamé ?
Non. Le premier défi auquel j’ai été confronté a été la réintégration du Maroc dans l’UA. Certains redoutaient que cela fasse éclater l’UA. Les tensions étaient fortes entre les Etats reconnaissant le [front] Polisario, considéré comme un mouvement de libération, et ceux qui soutiennent le Maroc. Nous sommes finalement parvenus à un consensus.
Le second défi a été le sommet Union européenne-Union africaine [en novembre 2017 à Abidjan]. D’ailleurs, le roi Mohammed VI était présent de même que le Polisario. Mais ce qui est important, c’est que nous, Africains, ayons pu inscrire à l’agenda les questions de la jeunesse et de la migration.
Pensez-vous que la réforme institutionnelle menée par le président Kagamé va enfin rendre l’UA plus efficace ?
Elle va rendre l’UA indépendante financièrement. Pour le moment, vingt-six pays appliquent la taxe à 0,2 % [sur une liste de produits importés] destinée à financer l’organisation. J’ai insisté pour que nous l’appliquions. C’est une avancée historique pour l’Afrique.
Que préconisez-vous pour que l’UA soit moins bureaucratique ?
Il y a encore du travail. Il faut notamment faire des économies et mieux contrôler les budgets. Certains employés de l’UA se font plaisir, voyagent trop, et accumulent des dépenses inutiles… C’est le cœur de la réforme Kagamé.
Pourquoi l’UA semble-t-elle toujours incapable de résoudre les crises elle-même ?
Soyons sérieux ! Nous avons géré la crise gambienne, sans débordement. Le président [du Zimbabwe] Robert Mugabe a quitté le pouvoir, sans problème, de même que le président [de l’Angola] José Eduardo dos Santos.
C’est l’UA qui est présente en Somalie, avec sa mission, l’Amisom, au Sahel avec le G5, dans le bassin du lac Tchad avec la Force multinationale mixte qui lutte contre Boko Haram. En matière de résolution des crises africaines par les Africains, je suis très clair : il faut que les puissances étrangères cessent leurs ingérences. Elles nous causent trop de problèmes.
A quelle crise et quelles ingérences faites-vous allusion ?
Prenons le cas de la Libye. Les chefs d’Etat africains avaient mis en garde contre les dangers d’une intervention occidentale. Car nous savions que ce pays sombrerait dans le chaos. Résultat : ça a contaminé tout le Sahel.
Aujourd’hui, l’UA a une très bonne feuille de route pour sortir la Libye de la crise. Si les puissances étrangères laissaient l’UA agir au lieu d’imposer leurs propres agendas, on avancerait.
C’est comme si vous cherchiez une aiguille et que quelqu’un a le pied dessus. Il ne faut pas nous accuser de ne pas trouver l’aiguille ! Il faut donc arrêter de dire que l’UA ne gère pas les crises africaines. Nous n’avons pas d’agenda. Nous ne soutenons aucun camp. Ce qui nous importe, c’est le rétablissement de la paix.
Pourquoi avez-vous décidé, juste avant ce 30e sommet de l’UA, de vous rendre en Guinée équatoriale pour vous entretenir avec le président Teodoro Obiang, qui dit avoir déjoué une tentative de coup d’Etat fin décembre ?
C’était plutôt une tentative d’invasion de mercenaires. J’ai tenu à apporter le soutien de l’UA au président Obiang. Car c’est inadmissible que des mercenaires cherchent à déstabiliser des pays africains. J’ai tenu à ce que le peuple équato-guinéen sache que l’UA est derrière son président.
L’ancien président gambien, Yahya Jammeh, vit en exil en Guinée équatoriale depuis janvier 2017. Il est notamment accusé de détournements de fonds par les nouvelles autorités démocratiquement élues. Doit-il être jugé par des chambres africaines extraordinaires comme l’ancien président tchadien Hissène Habré ?
J’ai reçu Yahya Jammeh à Malabo il y a quelques jours. Le président Obiang s’occupe bien de lui. L’ancien président gambien a accepté de quitter le pouvoir, de partir alors qu’il aurait pu rester. Son cas n’a rien à voir avec celui de Hissène Habré. Ce n’est pas comparable. Yahya Jammeh est un panafricain.