Accueil INSECURITE Philippe Migaux (Sciences Po): «Le jihadisme, le comprendre pour mieux le combattre»

Philippe Migaux (Sciences Po): «Le jihadisme, le comprendre pour mieux le combattre»

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Au Nord-Mali, tout près de la frontière algérienne, les soldats français de l’opération Barkhane ont tué mercredi matin une vingtaine de jihadistes présumés, dont un chef proche d’Iyad Ag Ghali. Quelle capacité militaire ont encore aujourd’hui les groupes terroristes au Sahel ? Philippe Migaux est maître de conférences à Sciences Po Paris. Il a cosigné « Le jihadisme, le comprendre pour mieux le combattre », aux éditions Plon. Il répond à RFI.

Philippe Migaux, maître de conférences à Sciences Po Paris

RFI : Le groupe Etat islamique a perdu la guerre en Syrie et en Irak, mais est-ce qu’il peut resurgir en Afrique ?

Philippe Migaux Oui, parce que l’Etat islamique a besoin de disposer d’une nouvelle base pour faire vivre territorialement le califat. En mars 2015, le porte-parole de l’Etat islamique, Abou Mohammed Al-Adnani, avait annoncé aux Européens et aux Maghrébins que ceux qui ne pouvaient pas rejoindre le jihad en zone syro-irakienne trouvaient un nouveau sanctuaire en Libye et que ce sanctuaire avait deux buts. Le premier, c’était de conquérir l’Afrique et le deuxième, c’était de lancer deux nouvelles frappes à travers la Méditerranée contre l’Europe.

Vous parlez de la Libye, mais en août 2016 le groupe Etat islamique a été chassé de la ville de Syrte !

C’est vrai, mais la bataille de Syrte n’a pas neutralisé les combattants de l’Etat islamique. Elle les a simplement dispersés. Vous avez un millier de Libyens qui ont rejoint leur campement et qui continuent à faire des opérations. Benghazi est la cible d’attentats et autour de Syrte on a toujours des poses régulières d’engins explosifs improvisés. Vous avez 600 vétérans tunisiens qui essaient de repartir en Tunisie pour y faire des attentats, et puis, vous avez à peu près 750 combattants étrangers en Libye, qui eux, sont dans la région d’Oubari…

C’est dans le Grand Sud…

Dans le Grand Sud, où, sous la conduite d’un émir irakien, ils ne sont empêchés d’entrer au Niger par la passe de Salvador, que parce qu’elle est contrôlée par des tribus touarègues et touboues, qui ne veulent pas que l’on s’approprie leur trafic.

Est-ce que le groupe Etat islamique, qui est donc bien implanté en Libye, a des relais jusqu’au Niger et au Mali ?

Oui, il en a au Mali, puisque vous avez une province de l’Etat islamique près de Ménaka, qui s’appelle la province du Grand Sahara, qui compte une centaine d’hommes, capables de mener des actions extrêmement offensives dans la région frontalière de Tillabéri, sur la route de Niamey. Par exemple l’attaque de Tongo Tongo, qui avait coûté la vie à sept soldats nigériens et à quatre forces spéciales américaines en octobre dernier.

Ça, c’est au Niger. En effet, pas très loin de la frontière malienne ; quatre soldats américains tués au mois d’octobre dernier.

C’est cela. Et puis, vous avez au Burkina Faso un petit groupe au Nord, qui s’appelle Ansarul Islam – les partisans de l’islam -, qui continuent à semer la terreur dans des postes administratifs isolés du nord du Burkina Faso et qui sont à peu près une cinquantaine d’individus.

Et puis, il y a aussi des relais au Nigeria.

Oui, il y a Boko Haram, qui, même s’il est séparé en deux branches, peut toujours faire des attentats réguliers, que ce soit sur les îles du lac Tchad, que ce soit au Nord-Cameroun, que ce soit sur le territoire nigérian, et qui est capable de faire de véritables opérations militaires contre le Niger, à partir du Nord-Nigeria.

Face à cette volonté du groupe Etat islamique de s’étendre au Sahel, comment réagit le groupe rival qui est formé des partisans d’al-Qaïda ?

Ils ont toujours considéré que le Sahel était leur zone réservée. Et Aqmi Sud – al-Qaïda au Maghreb islamique région sud -, a été remplacé en avril dernier par un nouveau groupe qui s’appelle le groupe de défense de l’islam et des croisés, dirigé par Iyad Ag Ghali, un touareg malien. Celui-ci a eu deux succès. Le premier, c’est qu’il a réussi à conforter un jihadisme touareg entre Kidal et la frontière algérienne. Et surtout, le deuxième succès, c’est qu’il a monté un deuxième jihadisme ethnique avec la population peule au centre et au sud du Mali, autour de ce que l’on appelle le Front de libération du Macina. Depuis cet été, il a remporté un troisième succès, c’est qu’il a réussi à relancer des opérations de frappe à longue distance, contre des cibles molles fréquentées par des expatriés. Cela a été l’attentat commis le 14 août dernier à Ouagadougou, contre le café Istanbul, où 18 personnes ont été tuées, dont deux Occidentaux. Et puis, peut-être plus inquiétant, c’est le 27 novembre, la veille du discours du président Macron à Ouagadougou. Dans la banlieue d’Ouagadougou, un véhicule banalisé des forces spéciales a été ciblé par une attaque à la grenade par deux individus cagoulés. Ce qui montre que l’organisation dispose aujourd’hui de sympathisants locaux, capables de préparer sur place des actions plus ciblées.

Donc, vous disiez : Niger, Burkina Faso, Mali. Y a-t-il d’autres pays de la sous-région qui sont menacés ?

Oui, je crois qu’il y a un triple cercle de menaces. Le premier, vous venez de citer les trois pays. Le deuxième cercle de menace – pour moi -, c’est le Tchad, le Cameroun et la Côte d’Ivoire. Et je dirais qu’il y a un troisième cercle de menace aujourd’hui, c’est la Mauritanie, où apparaît la montée en puissance d’un fondamentalisme religieux depuis quelques années. Mais aussi le Sénégal, qui voit apparaître pour les prochaines années de puissants facteurs de déstabilisation, qui peuvent favoriser la naissance de cellules jihadistes. Je pense en particulier à la perte d’influence des sectes soufies, qui servaient traditionnellement de rempart au fondamentalisme religieux.

Le Sénégal, où s’est ouvert au mois de décembre un procès. Le procès d’une trentaine de jihadistes présumés pour actes de terrorisme et financement du terrorisme. Au Mali, 2017 a été l’année la plus meurtrière depuis le déploiement des forces françaises de Serval. C’était il y a cinq ans. Est-ce que l’on peut dire que la situation se dégrade ?

Non, je dirais qu’elle est meilleure. Les jihadistes ne disposent plus du contrôle des grands espaces. Ils ne peuvent plus obtenir de taxe de passage de la part des réseaux criminels, de stupéfiants ou de migrants. Et donc, leurs ressources financières sont bien plus réduites qu’en 2013. Le deuxième point positif, c’est que certains pays africains ont montré leur capacité à affronter la menace terroriste. Les assaillants d’Ouagadougou, par exemple, sur l’attaque de l’Istanbul café, ont été neutralisés par le groupe d’intervention local de la Gendarmerie nationale. Et ça, c’est un vrai succès.

La gendarmerie du Burkina Faso…

Et je dirais maintenant que le point essentiel c’est de hâter la mise en œuvre opérationnelle du G5-Sahel

Une mise en œuvre qui tarde à cause du manque de moyens financiers !

Exactement. Et de l’immobilisme, aussi, de certains Etats.

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Source: RFI

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