Dans quelques jours- au maximum deux semaines-, le Mali institutionnel doit normalement enregistrer la démission des ministres de la République issus des rangs de l’Adéma/PASJ, normalement si lesdits ministres acceptent de se plier à la volonté majoritaire dans la Ruche. Depuis maintenant deux semaines (à compter du 5 mars dernier où fut lancé l’appel à candidatures), le parti de l’Abeille a effectivement déclenché le processus de désignation de son porte-étendard à la prochaine élection présidentielle dont le 1er tour est prévu ce 29 juillet. Au sein de la Ruche, le processus mis en branle après plusieurs mois de tergiversations devra aboutir, si tout se passe bien, au choix par le comité exécutif du porte-drapeau des “Rouge & Blanc”, basés à Bamako-Coura.
A l’instar de la dizaine de prétendants présidentiels médiatiquement annoncés ou logiquement attendus, le candidat de l’Adéma/PASJ va affronter le président IBK qui semble en voie de briguer un second mandat quinquennal. L’alignement plus que probable d’un candidat de l’Adéma/PASJ contre le même IBK ne sera pas sans conséquences dans la Ruche. Là, d’aucuns ne s’empêchent pas de relever que le plus souvent le raisonnement d’appareil ultra partisan ignore superbement la logique conventionnelle classiquement admise dans le jeu politique classique. N’empêche : l’enjeu de la présidentielle 2018 offre un choix clair au parti de l’Abeille. Soit ses ministres démissionnent du gouvernement, soit ils seront désavoués par un large pan de leurs camarades qui vont s’insurger contre leur comportement antiparti (raison suffisante pour que l’on exige leur démission de leurs responsabilités partisanes). Partenaire présidentiel depuis 2013, l’Adéma constitue un incontestable poids lourd du landerneau politique malien. Mieux, le parti de l’Abeille représente la 2e force de la Convention de la majorité présidentielle. D’où sa participation gouvernementale avec trois ministres : son président Tiémoko Sangaré (Mines et Pétrole), un de ses vice-présidents Abdel Karim Konaté dit Empé (Commerce et de la Concurrence) même s’il a été récemment délesté des charges de porte-parole de gouvernement, son secrétaire politique Adama Tiémoko Diarra (Aménagement du territoire et Population).
En principe, au nom de la loyauté et de la discipline du parti, ces trois ministres devront démissionner très prochainement. En plus d’eux, on évoque le cas du ministre des Collectivités territoriales, Alassane Ag Hamed Moussa. Mais, de nombreux observateurs estiment que sa présence au gouvernement répond plus au double souci d’équilibre régionaliste et de dosage communautaire que de représentativité de poids politique. Cet inspecteur des services économiques, sexagénaire, natif de Ménaka, est effectivement militant et cadre de l’Adéma/PASJ très influent dans une communauté nomade ayant une présence symbolique dans plusieurs localités de la nouvelle 9e région administrative du pays. La démission du ministre Alassane Ag Hamed Moussa n’est pas donc aussi évidente que celles logiquement attendues de ses trois camarades cités avant lui. Les observateurs s’attendent par ailleurs au départ éventuel d’un autre membre du gouvernement actuel : Housseyni Amion Guindo alias Poulo (ministre de l’Education) et président du parti Codem, membre lui-aussi de la Convention de la majorité présidentielle. Au sein de cette formation politique, les débats sont avancés sur la participation de son chef à la prochaine compétition présidentielle. En descendant dans cette arène électorale, le ministre Poulo sera logiquement amené à démissionner pour affronter éventuellement le président IBK. Si elle venait à s’effectuer, la démission des ministres Adéma et Codem va inévitablement relancer le débat sur la série de défections enregistrées ces derniers mois dans le Mali institutionnel sous le magistère du président IBK. Pour autant, la vérité historique nous enseigne que la démission des hauts cadres politico-administratifs est une donnée fréquente depuis bientôt 50 ans dans la pratique républicaine au Mali. Ici ou ailleurs, la décision d’un cadre de se démettre de ses responsabilités n’est pas un phénomène extraordinaire, selon plusieurs spécialistes qui en donnent une définition basique aussi simple que claire. Le Dictionnaire Universel de la Francophonie (Edicef, 1998) indique : “Démission, acte par lequel on renonce à un emploi, à une dignité” (P.331). De même, dans leur ouvrage collectif “Lexique de politique” (Dalloz, 2001), les universitaires français (Debbasch, Bourdon, Pontier et Ricci) définissent la démission comme “Acte par lequel une personne renonce volontairement, ou par contrainte, à son mandat avant son terme […] ou à la poursuite de ses fonctions. […] Dans la fonction publique, la démission doit être acceptée avant de produire ses effets” (P.134).
Au Mali, la démission d’un poste de responsabilité est une éventualité prévue dans les grands textes des pratiques institutionnelles (notamment la Constitution, les règlements intérieurs des institutions républicaines, le statut général des militaires, le statut général des fonctionnaires). Selon la nature et les missions desdites institutions, le cas de démission de leurs membres est déterminé par des dispositions spécifiques qui en fixent les contours et les conséquences. Le présent dossier entend revenir sur les aspects événementiels des cas de démissions volontairement décidées par leurs auteurs (des hauts cadres politico-administratifs) qui ont rendu le tablier pour diverses raisons ou sous de multiformes de pressions exercées sur eux dans l’exercice de leurs responsabilités politiques. Nous avons pu en recenser une trentaine de cas célèbres (en raison de la personnalité des partants), voire retentissantes (à cause du contexte sociopolitique de leurs départs). Ces cas de démissions rappelées ici sortent naturellement du cadre ordinaire des décisions de changement à des postes de responsabilité. Des décisions normalement prises par la plus haute autorité de la République qui, en toute souveraineté et dans l’accomplissement de ses missions régaliennes de chef de l’Etat, procède à des nominations et à des limogeages au sein de l’administration publique. Ces innombrables changements inhérents au fonctionnement régulier de l’appareil d’Etat ne sont pas retenus outre mesure dans les colonnes qui suivent. Par contre, le lecteur y trouve rappelés des cas de démissions célèbres qui sont tous de nature politique : malentendus au sommet de l’exécutif, crises sociopolitiques, scandales politico-financiers. Leurs retentissements sont de variantes multiformes et inégalées. Il est souvent arrivé qu’elles soient provoquées par des raisons politiciennes inavouées officiellement contrariant des “convenances personnelles” dont les auteurs se voyaient contraints et forcés de claquer la porte.
En somme, les démissions politiques célèbres au Mali sont toutes liées aux événements engendrés par l’évolution des pratiques institutionnelles au sommet de l’Etat. Là, le choc des ambitions personnelles, voire le combat pour la prééminence des légitimités historiques pousse des acteurs haut placés à s’engager dans des batailles fratricides aux lendemains incertains. De même, les démissions politico-médiatiques célèbres sont relatives à l’escalade d’événements découlant généralement des querelles de leadership au sein des partis majoritaires (au pouvoir) où les luttes de positionnement sont souvent féroces.
Outre ces cas, l’on retient deux cas de démissions retentissantes du fait de la personnalité des partants. Il s’agit du magistrat Malick Coulibaly et du général Moussa Sinko Coulibaly. En septembre 2008, le jeune parquetier au Tribunal de Kati a préféré quitter la magistrature que de se soumettre aux directives naturelles de sa hiérarchie. Il en deviendra célèbre avant de devenir ministre en avril 2012. En novembre 2017, le jeune saint-cyrien, ancien ministre, s’est décidé à se retirer de l’Armée pour se lancer dans la politique avec les perspectives présidentielles de juillet 2018. Mais, bien avant, ces deux cas atypiques, le Mali institutionnel avait enregistré de nombreuses démissions célèbres.
On en compte celles du président de la République Amadou Toumani Touré (ATT) en avril 2012, et celles des Premiers ministres Younoussi Touré (avril 1993), Me Abdoulaye Sékou Sow (février 1994), Dr. Cheick Modibo Diarra (décembre 2012) et Oumar Tatam Ly (avril 2014). A ce niveau, nous ne faisons pas cas ici des départs à la normale des chefs de gouvernement sur demande ou exigence des chefs d’Etat. En effet, l’article 38 de la Constitution du 25 février 1992 dispose en son alinéa 1 que : “Le président de la République nomme le Premier ministre. Il met fin à ses fonctions sur présentation par celui-ci de la démission du gouvernement”. Une telle démission prend ainsi l’allure d’un “remerciement” de fin de mission ou d’un limogeage voulu par le chef de l’Etat dans sa volonté de collaborer avec un nouveau Premier ministre, voire de disposer d’une nouvelle équipe gouvernementale.
S’agissant des démissions retentissantes, il y a eu, pour diverses raisons, les départs d’une dizaine de ministres : Abdoulaye Camara (juillet 1992), Mamadou Bamou Touré (novembre 1993), Mme Ascofaré Ouleymatou Tamboura (juin 2001), Nancoma Kéita (mai 2007), Hamed Sow (septembre 2008) et Oumar Ibrahim Touré (décembre 2010). Avant ces ministres, des barons des partis uniques avaient rendu le tablier : les députés US-RDA en janvier 1968, le colonel Youssouf Traoré de l’UDPM en mai 1981 et l’idéologue Djibril Diallo de l’UDPM en mars 1991. S’y ajoute la démission en août 1991 de Me Demba Diallo du CTSP (organe suprême de la Transition) pour pouvoir se présenter à la présidentielle de 1992.
Toutes ces démissions ont eu, à des degrés variés, un retentissement dans le landerneau politique national, suivi de très près par un microcosme médiatique qui s’adonne parfois à jouer le rôle de témoin-acteur.
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Dossier réalisé par la Rédaction
Source: Aujourd’hui-Mali