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Organisation des élections : Halte à l’amateurisme !

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Dr-Brahima-Fomba

 

La rançon de l’improvisation et du bricolage finit toujours par se payer cash. Les Maliens l’apprendront à leurs propres dépens à travers l’amateurisme indescriptible qui marque d’une tache noire l’organisation des scrutins de 2018. Un amateurisme qui, au mépris royal de la répartition des domaines de la loi et du règlement, donne au ministre chargé de l’Administration territoriale, le pouvoir arbitraire de décider qui peut voter ou non avec la carte NINA. En lieu et place du pouvoir législatif seul compétent en la matière, le ministre décide des conditions substantielles d’exercice d’un droit constitutionnel comme celui du vote. Il s’agit également d’un amateurisme tendant à qualifier de biométriques, des cartes d’électeurs dont l’usage ne paraît pas accompagné d’un matériel technique d’identification et d’authentification de son détenteur à l’entrée de chaque bureau de vote.

Alors que le processus de confection des nouvelles cartes d’électeurs illégalement lancé est en cours d’exécution, l’adoption de la nouvelle loi modificative de la loi n°2016-048 du 17 octobre 2016 portant loi électorale vient en rajouter à la cacophonie dans laquelle l’organisation des scrutins de cette année 2018 est en passe de s’engouffrer. La loi modificative n°2018-014 du 23 avril 2018 qui vient d’être promulguée et publiée à la sauvette, soulève déjà deux problématiques fondamentales que le gouvernement s’est jusque-là évertuées à maquiller, mais qui ne vont pas tarder, comme par un effet de boomerang, à lui remonter à la figure. D’un côté, on constate que dans cette loi électorale, le ministre en charge de l’Administration territoriale s’est arrogé, comme dans une République bananière, les prérogatives du législateur. Ainsi, c’est lui seul qui décidera dans quels bureaux de vote précis le citoyen, faute de cartes d’électeurs dites biométriques, aura le droit d’exercer son droit constitutionnel de vote en utilisant sa carte NINA. De l’autre, il y a lieu de se demander si la belle promesse des cartes d’électeurs soi-disant biométriques n’est pas en réalité un conte de fée dissimulant la mise à disposition très probable de simples cartes d’électeurs qui, en réalité, ne seraient pas plus biométriques que les cartes NINA actuelles.

Les manœuvres tendant à restreindre le recours alternatif aux cartes NINA en faisant dépendre leur utilisation décision arbitraire du ministre en charge de l’Administration territoriale et la très probable fausse promesse de cartes d’électeurs biométriques constituent aujourd’hui deux sources d’inquiétude que les pouvoirs publics n’ont aucun intérêt à prendre à la légère.

Quand le ministre RPM de l’Administration Territoriale décide seul de l’utilisation des cartes NINA

A l’article 61, la loi modificative n°2018-014 du 23 avril 2018 a remplacé les cartes NINA par les cartes d’électeurs dites biométriques dans les termes suivants : « Il doit être remis à chaque électeur, au plus tard la veille du scrutin, une carte d’électeur biométrique dont le modèle et le libellé sont fixés par décision du ministre chargé de l’Administration territoriale ». Mais étant donné son impréparation évidente à affronter les scrutins cruciaux de 2018, le gouvernement s’est gardé de garantir aux électeurs maliens, la mise à disposition de la seule et unique carte d’électeur dite biométrique. A cet égard, l’aveu de bricolage du gouvernement paraît manifeste dans le recours à deux cartes d’électeurs pour le même scrutin. C’est ce bricolage qui nous vaut l’article 210 de la loi n°2018-014 du 23 avril 2018 modifiant la loi n°2016-048 du 17 octobre 2016 portant loi électorale ainsi libellé : « En cas de non disponibilité des cartes d’électeur biométriques pour cause de force majeure, la carte NINA tiendra lieu de carte d’électeur, pour les élections générales de 2018 et uniquement dans les centres de vote concernés et déterminés par décision du ministre en charge de l’Administration Territoriale »Une formulation pour le moins alambiquée, maladroite et inconstitutionnelle, qui ne peut que témoigner de l’embarras visible du gouvernement à embarquer le pays dans une entreprise hasardeuse et hautement risquée d’utilisation alternative de deux cartes d’électeur pour le même scrutin. Le fait est assez inédit. Il faut savoir en réalité qu’avec l’article 210, le gouvernement en est à sa troisième formulation de cette folle proposition.

Dans le projet de loi initial discuté au Conseil des ministres, il avait été inséré à l’article 89(Nouveau) l’alinéa 2 suivant : « En cas de non disponibilité de la carte d’électeur biométrique, la carte NINA tiendra lieu de carte d’électeur ». La mouture officielle issue du Conseil des ministres et transmise à l’Assemblée nationale disposait à l’article 210 : « En cas de non disponibilité des cartes d’électeur biométriques pour les élections générales de 2018, la carte NINA tiendra lieu de carte d’électeur ». On aura noté qu’entre le projet de loi initialement introduit en Conseil des ministres et la mouture officielle finalement transmise aux députés, le gouvernement a dû rétropédaler sur sa promesse de nouvelles cartes d’électeurs biométriques. Ce rétropédalage se ressent dans la nouvelle formulation qui ne laissait plus planer le moindre doute quant à la très forte probabilité, pour ne pas dire la certitude quasi absolue, de la non disponibilité des cartes d’électeurs dites biométriques dans l’ensemble des circonscriptions électorales et pour tous les électeurs lors des scrutins de 2018. En souscrivant qu’« en cas de non disponibilité des cartes d’électeur biométriques pour les élections générales de 2018, la carte NINA tiendra lieu de carte d’électeur », le gouvernement n’avait plus aucun argument sérieux susceptible de convaincre même les plus incrédules, que l’électeur ne pourrait pas utiliser indistinctement les nouvelles cartes d’électeur dites biométriques et les anciennes cartes NINA durant les scrutins de 2018. Le ministre chargé de l’Administration territoriale l’aura d’ailleurs appris à ses dépens lors des débats parlementaires où il s’était vainement employé à minimiser l’évidence embarrassante de l’usage alternatif généralisé des cartes d’électeurs dites biométriques et des cartes NINA tel que résultant du projet de loi électorale. Du haut de cette posture de déni, le ministre aurait soutenu en substance que l’utilisation alternative de la carte NINA ne serait possible que dans les seules localités où, pour une raison ou une autre, les nouvelles cartes n’auraient pu être distribuées. Et de renchérir, semble-t-il : « Partout où même si une seule nouvelle carte sera distribuée, le vote se fera uniquement avec ces cartes » ! Contre toute attente, les interprétations approximatives du ministre lors des débats parlementaires, qui ne résultaient aucunement ni de la lettre, ni de l’esprit de l’article 209 du projet de loi électorale tel que soumis à la plénière de l’Assemblée nationale, se sont vues subitement rédigées, par une sorte d’alchimie incompréhensible, dans la formulation finale de l’article 210 de la loi n°2018-014 du 23 avril 2018 modifiant la loi n°2016-048 du 17 octobre 2016 portant loi électorale.

Le ministre de l’Administration territoriale obtient plus que la simple caution parlementaire d’une interprétation anticonstitutionnelle du droit de vote.

Même si elle avait dû comme à son habitude, très vite plier l’échine, la majorité présidentielle servile de députés godillots n’avait pas été convaincue par les « clarifications » obscures du ministre chargé de l’Administration territoriale. Il n’empêche qu’à l’arrivée, et de manière quelque peu bizarre du reste, le ministre obtient bien plus que la caution parlementaire de l’interprétation erronée d’une disposition législative. L’interprétation donnée par le ministre à l’article 209 est entérinée par la formulation du nouvel article 210.De manière expresse, la loi n°2018-014 du 23 avril 2018 portant modification de la loi n°2016-048 du 17 octobre 2016 portant loi électorale reprend à son compte tout l’argumentaire inconstitutionnel du ministre qu’on retrouve à l’article 210 ainsi libellé : « En cas de non disponibilité des cartes d’électeur biométriques pour cause de force majeure, la carte NINA tiendra lieu de carte d’électeur, pour les élections générales de 2018 et uniquement dans les centres de vote concernés et déterminés par décision du ministre en charge de l’Administration Territoriale ».En d’autres termes, c’est le ministre qui décidera de manière parfaitement subjective et arbitraire, et non pas l’électeur victime de l’incapacité éventuelle du gouvernement à lui mettre à disposition la nouvelle carte d’électeur, si celui-ci peut ou non voter avec sa carte NINA ! C’est tout à fait inédit dans les annales électorales.

L’article 210 retient en quelque sorte la notion de force majeure dans son acception la plus limitative et la plus subjective qui affranchit en fin de compte l’administration de sa pleine et entière responsabilité quant à l’obligation de résultat qui lui incombe de rendre disponible pour tous les électeurs y compris dans les centres de vote où la distribution aurait eu lieu, des nouvelles cartes dites biométriques.L’Etat qui fait de la détention de la nouvelle carte d’électeur, une conditionnalité pour l’expression du droit constitutionnel de vote, tout en admettant explicitement l’usage alternatif de la carte NINA, ne peut en même temps se cacher sous la notion de force majeure pour discriminer entre les centres de vote par l’entremise d’une décision ministérielle arbitraire, discriminatoire et anticonstitutionnelle empêchant des citoyens d’exercer leur droit constitutionnel de vote avec ces cartes NINA. En fait, il va naturellement exister mille et une raisons d’incrimination objective de l’administration assimilable à des cas de force majeure dont on n’aurait aucun problème à lui faire imputer. L’esprit du droit constitutionnel de vote du citoyen malien qui est au-dessus de la loi électorale, implique obligatoirement que l’utilisation alternative de la carte NINA soit de droit non seulement dans les localités où, pour une raison ou une autre, les nouvelles cartes n’auraient pu être distribuées, mais également dans toutes les localités où la distribution des nouvelles cartes d’électeurs n’aurait pas permis, pour une raison ou une autre, à un électeur quelconque de disposer de cette nouvelle carte. Toute velléité restrictive d’utilisation alternative des cartes NINA comme finalement formulée de manière expresse dans la loi n°2018-014 du 23 avril 2018 ne pourrait que s’assimiler à une violation délibérée du droit constitutionnel de vote des citoyens. Le gouvernement incapable de s’engager sur la disponibilité d’une seule carte d’électeur n’a pas à faire payer par les paisibles électeurs les fâcheuses conséquences de l’impréparation l’ayant conduit à se ménager une petite porte de sortie peu glorieuse à travers la NINA de secours. Si le gouvernement s’avisait à empêcher un électeur n’ayant pu obtenir sa nouvelle carte d’électeur, de faire usage de sa carte NINA dans le but d’exprimer son droit de vote constitutionnel, il va lui falloir trouver d’autres argumentaires juridiques qu’une simple décision ministérielle arbitraire, discriminatoire et inconstitutionnelle, parce que s’arrogeant des prérogatives législatives qu’un ministre, sauf dans une République bananière, ne peut prétendre détenir.

Vers de vraies fausses cartes d’électeurs biométriques ?

Sans aucune explication, deux petits alinéas 4 et 5 apparemment anodins logés à l’article 89 du projet initial de loi électorale introduit en Conseil des ministres ont subitement disparus dans la mouture finale transmise aux députés. Ces alinéas 4 et 5 étaient ainsi rédigés : « La carte d’électeur biométrique est authentifié par l’administration en charge des élections en présence des assesseurs de l’Opposition et de la Majorité. Tout représentant de candidat en lice a la possibilité de vérifier cette authentification ». Ainsi, alors que le projet de loi initial prévoyait un mécanisme d’identification et d’authentification des cartes d’électeurs biométriques à l’entrée des bureaux de vote, le texte final déposé sur la table de l’Assemblée nationale qui maintient pourtant les cartes d’électeurs biométriques, ne fait plus mention d’un quelconque système d’authentification desdites cartes. Le même constat ressort de la loi électorale modificative n°2018-014 du 23 avril 2018. Est-ce à dire alors que le gouvernement va mettre à disposition des cartes d’électeurs soi-disant biométriques mais dépourvues de tout système matériel d’authentification à l’entrée des bureaux de vote ? Dans l’affirmative, comment alors ne pas s’interroger, s’il ne s’agirait pas en réalité de vraies fausses cartes d’électeurs biométriques promises aux électeurs maliens ?

En effet, il faut le savoir, et le gouvernement ne saurait l’ignorer, la nature biométrique d’une carte d’électeur s’apprécie autant en amont par l’enregistrement sur ladite carte de données biométriques comme la couleur des yeux, les empreintes digitales, la photographie, qu’en aval à travers la disponibilité de matériel technique d’identification et d’authentification automatique des électeurs le jour du vote. Sans garantie de moyens matériels d’identification et d’authentification automatique de l’électeur par exemple à travers ses empreintes digitales et sa photo, on ne saurait aucunement parler de cartes d’électeurs biométriques. En d’autres termes, il faudrait avoir la certitude qu’outre la confection des cartes d’électeurs biométriques, le gouvernement va devoir mettre à disposition des 23.000 bureaux de vote annoncées, du matériel technique d’identification et d’authentification automatique permettant à l’électeur de prouver physiquement que les données biométriques sur la carte correspondent effectivement aux siennes. Faute de quoi, on serait devant le fait accompli d’un mensonge d’Etat qui serait celui des vraies fausses cartes d’électeurs biométriques.

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Dr Brahima FOMBAUniversité des Sciences Juridiques  et Politiques de Bamako(USJP)

Source: L’Aube

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