Un incident à priori banal, né à l’occasion d’une friction ressentie par des jeunes gens de Kénièba, frustrés que l’on favorise d’autres, venant de Bamako, recrutés en priorité par une entreprise minière dont l’attitude est apparue injuste localement, dégénère en «guerre larvée» et embrase toute une ville. L’intervention nécessaire des forces de l’ordre sur le terrain n’est pas pour arranger les choses, bien au contraire, ça dérape… Bilan provisoire : au moins un mort et de nombreux blessés.
Cela se passe à Kénièba aujourd’hui et, hier encore, dans cette même ville aussi, des populations se sont réveillées pour descendre dans la rue et protester contre l’attitude de certains de leurs représentants qui ont cru exprimer une opinion politique en leurs noms, sans leur aval et assentiment. La révolte est là et elle semble diriger contre le pouvoir et les alliés de pouvoir.
Ce qui se passe à Kénièba, aujourd’hui comme hier, aurait pu ou va se reproduire dans chacune des villes du Mali si on n’y prend garde. Le constat tient à un fort ressentiment populaire qui laisse transparaître un instinct de révolte des populations contre leurs représentants et toutes les représentations. Le décalage entre les populations et leurs représentants est tel, que ces derniers apparaissent aujourd’hui comme des usurpateurs de titres qui s’emparent indûment des fonctions.
Aux yeux de l’opinion, que vaut un député dans sa circonscription électorale et que représente encore un conseiller régional, municipal ou même un maire dans sa commune. Et que représente un président de la République, un Premier ministre, un ministre ou un chef d’institution ? En politique et en démocratie, on appelle cela une rupture de confiance, une rupture du pacte républicain. En démocratie, l’on doit savoir qui est qui, qui fait quoi et pourquoi. Rien n’est possible lorsque celui qui «représente» ne sait pas ou plus pour qui il est, pourquoi il est là et ne sait plus ce qu’il faut faire ni quand faut-il le faire.
Pour mettre un terme à un tel hiatus, insupportable et inadmissible, rien d’autre qu’une démission qui incombe à l’élu et au nommé, ou une dissolution des assemblées, ce qui incombe au président de la République pour ce qui est du parlement. Incontestablement, se pose la question de confiance entre la représentation et le représentant. Le procédé par lequel sont désignés les représentants du peuple est loin d’être en adéquation avec les attentes. Le suffrage n’est expressif de rien. Il permet simplement d’imposer des représentants au moyen de la duperie et de la fraude, dans un contexte de démocratie biaisée et travestie au profit de pouvoirs nébuleux. Dès lors se pose la question de la légitimité concernant ces représentants. Un élu dépourvu de légitimité en raison de sa non-représentativité verra son autorité se diluer et s’effriter. L’expression de celle-ci rencontrera toujours le scepticisme et la défiance des populations face à la personne du représentant et de l’autorité qu’elle tente d’incarner.
Dans un tel contexte, des pouvoirs s’affirment en dominateurs omnipotents, mais seulement en apparence et pour un moment car la révolte des faibles et des sans-grades n’est jamais loin. Que ce soit des pouvoirs liés à l’argent, des pouvoirs en rapport avec les politiques et tous les autres pouvoirs occultes, y compris religieux, tous poursuivent leurs desseins de dominer et de s’affirmer à l’autre sans aucune base véritable. L’argent permet d’acheter tout le monde. Les positions politiques permettent d’abuser de tout. Les forces religieuses, par nature d’obédiences diverses et variées, mettent tout en œuvre pour fixer des alliances et soutiens ponctuels et néfastes, contre rétribution en monnaies sonnantes et trébuchantes. Sinon, elles y vont de leur chantage habituel jusqu’à promettre les pires malédictions à ceux qui voudront leur résister sur cette terre, tout cela au nom de Dieu, mais lequel ?
Tout le monde broute de l’herbe. Les uns aux côtés des autres, sans jamais rien vouloir dénoncer pour ne pas gêner et ne pas se gêner soi-même. La prédation continue… Et les injustices fleurissent et s’abattent sur les dos des plus faibles qui sont également les plus démunis. C’est pour cela qu’il y a de plus en plus de femmes mariées, battues, tuées ou égorgées, sans que rien ne se passe et qu’aucune obédience ne s’en plaigne. C’est également pour cette raison que des enfants mal nés sont sacrifiés au vu et au su du plus grand nombre. C’est aussi pourquoi des villages entiers dogons, peulhs, bambaras et soninkés sont attaqués et leurs habitants dépouillés de leurs biens afin de sauver leur vie.
Face ou contre tout cela, aucune justice n’est là pour connaître et traiter ces affaires. Aucune justice n’ouvre ses portes pour recevoir ces femmes battues, pour protéger ces jeunes gens que l’on voudrait sacrifier, pour comprendre le désarroi de ceux qui voient sans jamais entendre, de ceux qui entendent sans jamais comprendre, de ceux qui comprennent et qui n’ont pas les moyens d’agir, faute de juges ou de juges justes, capables et déterminés à poursuivre ceux qui pillent, dilapident et dissipent le bien et les intérêts publics. Pitié, est-ce bien dans un monde comme cela que l’on nous demande d’aller voter à nouveau ? Voter mais pourquoi : afin de se prononcer pour ceux qui tourneront le dos aux belles promesses dès le lendemain de la proclamation des résultats, pour ceux qui agiront à leur guise et à leur aise, sans tenir compte d’autrui, sans penser au peuple, pour ceux qui brandissent des argumentaires célestes bien éloignés de notre terre. Non !
De ça, je n’en veux pas, alors pas du tout. Dans un monde et un contexte politique dans lequel Nord-Coréens et Américains décident de se rencontrer et de se parler, le nôtre se caractérise par la disparition du président de la République et du chef de file de l’opposition politique, tous deux devenus candidats, à grands coups de rap, au milieu d’une foule d’adorateurs téléguidée par des courtisans prêts à jouer toutes les musiques de meetings et autres airs de campagne, pourvu que les gens dansent et oublient que l’un et l’autre sont sans fusible et n’ont ni second ni adjoint.
Kénièba Kénièba
Mamadou Ismaila KONATE
Source: Le Reporter