L’élection présidentielle de 2018, c’est l’opportunité historique, la nécessité de proposer de nouvelles ambitions au pays, c’est également le choix entre des personnalités politiques, des équipes et surtout des projets de société, la conquête du pouvoir n’est guère une sinécure, Il s’agit d’un choix très important, celui qui aura un impact sur la vie quotidienne de plus de 17 millions de maliens pour les 5 années à venir, soit jusqu’en 2023. Le parcours pour atteindre Koulouba la colline du pouvoir sera semé d’embûches.
La période qui s’annonce va être celle d’une intense activité politique. À un mois de l’échéance du scrutin présidentiel du 29 juillet 2018, le pays est encore plongé dans la crise multidimensionnelle exacerbée dans son aspect sécuritaire, du moins les crises: une ambiance délétère sur fond de grogne sociale, crise énergétique, pénurie d’eau, insécurité au centre du pays liée au terrorisme (le dernier attentat en date contre le QG de la force du G5 Sahel à Sévaré vient nous rappeler que la menace est là), conflits inter communautaires, tension sociale exacerbée au sortir du mois de Ramadan qui vient de se terminer, incertitudes liées à l’organisation de l’élection présidentielle…
Voilà le tableau sombre que présente le Mali à un mois de cette échéance électorale la plus importante pour le pays.
Lorsque le gouvernement a annoncé que la totalité des quelques 8 millions de nouvelles cartes électorales biométriques (???) étaient arrivées à Bamako et devaient être acheminées vers les différentes localités en vue de leur distribution qui devrait commencer le 20 juin, soit tout juste un peu plus d’un mois avant le scrutin, nous avions exprimé des doutes, de fortes appréhensions, il est fort à craindre que ces millions de cartes ne puissent être distribuées à temps raison de plusieurs facteurs:
– L’insécurité grandissante et très inquiétante dans le centre du pays où certains villages à feu et à sang ont été désertés;
– Le mouvement social des responsables de l’administration territoriale;
– La saison des pluies;
La violence de la répression de la manifestation patriotique pacifique du 02 juin vient encore assombrir l’horizon politique, en partie apaisée après celle du 08 juin 2018 qui a vu une démonstration de force de l’opposition, de la société civile malienne qui ont mobilisé des milliers de personnes dans les rues de Bamako ce jour-là, apaisement pour combien de temps, accalmie avant la tempête?
Les revendications de l’opposition étaient entre autres:
– L’organisation d’élections crédibles et transparentes,
– Le manque d’eau, les coupures d’électricité,
– La libération de l’ORTM pour un égal accès au principal média d’État et le constat de ce point de vue est sans appel comme un cri du cœur en forme de questionnements: Peuple malien, ne vois-tu pas ce qui se prépare?
N’as-tu pas tiré les leçons du passé?
Le Mali est malade !
Un pays dans lequel, la seule chaîne publique, l’ORTM est monopolisée exclusivement pour faire la promotion, la propagande du régime en place depuis plusieurs mois?
Oui, le Mali est malade, ce serait une lapalissade que de le répéter, ce diagnostic avait déjà été posé en 2013, à la veille de l’élection présidentielle, les mêmes maux sont là et viennent nous rappeler un long cauchemar interminable.
En 2013, le drapeau malien flottait à Kidal, l’armée malienne y était présente, les symboles de la République également, on ne parlait pas d’accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger; le centre du Mali n’avait pas basculé dans l’instabilité.
Aujourd’hui, force est de constater que des zones entières de la région de Mopti sont devenues des sanctuaires djihadistes, l’administration n’y est plus présente, des villages ont été désertés, des écoles sont fermées, des populations sont partis se réfugier dans les pays voisins, notamment au Burkina Faso, des conflits inter communautaires ont éclaté et font de nombreuses victimes, le pouvoir a tenté de reprendre la main en mettant en place le PSIRC, les forces armées de défense et de sécurité tentent tant bien que mal de lutter contre l’insécurité liée au terrorisme, et ont obtenu quelques succès, il faut le dire, mais, le mal est là, le pouvoir a manqué du sens de l’anticipation alors que tous les signaux d’alarme étaient au rouge, certains groupes avaient menacé de faire plonger le centre du pays dans la violence et le régime IBK est comptable de ce bilan désastreux, et aucun esprit partisan, tordu ou machiavélique ne saurait contester cette page de l’histoire récente du Mali!
Tout ce qui a été décidé, ou qui ne l’aura pas été pendant ce quinquennat, les actions, les omissions, doivent être prises en compte dans le bilan comptable du président IBK; 77% de l’électorat malien lui avait donné les pleins pouvoirs pour agir, pour résoudre la crise du nord du pays, pour restaurer et réaffirmer avec force l’autorité de l’État, il avait été investi avec les pleins pouvoirs et ce fut le désenchantement, la gouvernance des expérimentations hasardeuses avec cinq premiers ministres en cinq ans d’exercice du pouvoir: Oumar Tatam Ly, Moussa Mara, Modibo Keita, Abdoulaye Idrissa Maïga, et Soumeylou Boubeye Maïga.
La nouvelle loi électorale a été votée, la certification du fichier électoral validée, le top départ est désormais donné, les déclarations de candidature à l’élection présidentielle du 29 juillet 2018 ont été faites, le moins que l’on puisse dire, les choses sérieuses ont commencé, du moins c’était déjà le cas pour le camp présidentiel, car aucun discours ne nous fera croire que le Président de la République n’était pas déjà en campagne électorale avant sa déclaration de candidature, en trompe l’oeil certes, mais les mots, les signes n’ont trompé aucun observateur averti, les visites présidentielles à Koutiala, Segou avec un déploiement massif de moyens rappelaient la ferveur des campagnes électorales.
L’opposition n’a pas été en reste avec le MANIFESTE DE LA COALITION POUR L’ALTERNANCE ET LE CHANGEMENT et la démonstration de force lors de l’investiture le 12 mai 2018 du président de l’URD, chef de file de l’opposition, désormais candidat à l’élection présidentielle du 29 juillet 2018, une mobilisation massive, bien sûr cela ne suffit pas pour faire une élection, mais tous les observateurs avisés reconnaissent que cela est de nature à créer une dynamique.
1- Plusieurs prétendants, un élu…
Ils seront plusieurs sur la ligne de départ pour la conquête de Koulouba, plus d’une vingtaine de candidatures annoncées, les tendances vont se dessiner petit à petit, Il y a les candidats en orbite, les écuries présidentielles et les prétendants satellites qui vont graviter autour dans un positionnement pour des strapontins dans une éventuelle majorité hétéroclite; depuis l’avènement de la démocratie à l’issue de la révolution de mars 1991, jamais un président de la République sortant n’a été aussi contesté:
Que plusieurs personnalités politiques ayant été ministres dans les différents gouvernements du président IBK ou de soutiens puissants en 2013 (Mohamed Ali Bathily, Mountaga Tall, Mamadou Igor Diarra, Choguel Kokalla Maiga, Ousmane Amion Guindo, Jean Marie Idrissa Sangaré, Aliou Boubacar Diallo) se portent candidats contre lui pour cette présidentielle du 29 juillet 2018, en disent long sur la défiance, la contestation à l’endroit du locataire actuel du palais de Koulouba.
La lancinante question d’opportunité et de légitimité en politique est inévitable:
Les partis créés à la veille des élections qui ne survivent pas ou ne sont que l’ombre d’eux même…De même, les initiatives vont se multiplier, on verra fleurir des plateformes en tous genres pour soutenir tel ou tel candidat, les attelages baroques vont se nouer, les coalitions multiformes, la création de clubs de soutiens, la multiplication des associations, le lancement de mouvements qui fleurissent comme les feuilles du printemps, et qui seront éphémères comme une étoile filante.
Tous les coups seront permis, aux fausses informations propagées par un camp, vont répondre les coups tordus, les révélations, la divulgation de secrets de l’autre dans le but de déstabiliser hélas!
C’est le temps des incertitudes, des incohérences, les retournements de veste, les trahisons qui ressemblent au «coup de pied de l’âne». Il faut savoir arrondir les angles, danser la valse chaloupée, faire le grand écart, faire le ni ni, le noui (non oui).
Les opposants intimes, les cracheurs dans la soupe, les vendeurs de vent vont faire feu de tout bois, les marchands d’illusion vont développer leur litanie habituelle, et les mêmes discours reviennent, qui ne sont pas de nature à créer un optimisme pour le prochain quinquennat. Où allons-nous? Bien sûr, vers des élections, le rendez-vous du peuple malien avec lui-même, avec la démocratie! Il eût été souhaitable que le peuple fût épargné de ce spectacle affligeant, cauchemardesque et surtout qui ne relève pas le niveau du débat politique.
Si en politique, il n’y a pas de logique, il y a quand même une histoire des partis politiques. Nul doute que les véritables forces en présence seront d’un côté celles qui soutiennent le Président sortant et candidat à sa réélection, IBK avec le RPM et les différents partis, de l’autre côté, la Coalition pour l’alternance et le changement avec l’URD, le PARENA et tous les autres partis qui soutiennent le challenger Soumaïla Cissé, à moins que la Coalition des bâtisseurs qui tend vers une candidature unique, vienne créer les trouble-fêtes .
Abeilles en perdition, la ruche ne produit plus du miel !
L’ADEMA, un parti historique de l’avènement de la démocratie au Mali, est passé de parti de conquête du pouvoir à un supplétif, une succursale.
Déjà affaibli et divisé lors de l’élection présidentielle de 2013, il a été sacrifié et offert sur un plateau au parti au pouvoir pour des intérêts particuliers de certains qui ne visent que des strapontins.
Il n’est pas sûr que la majorité des militants de la ruche suivra les résolutions prises lors de la conférence du samedi 19 mai 2018.
Le cas Ras Bath avec le CDR…
Le Phénomène Ras Bath, faudrait-il l’appeler ainsi, car il est indéniable que c’est une première dans l’histoire récente de la République : voilà un jeune qui a osé, qui a mis sa vie en danger pour être le porte-parole des sans voix, pour dénoncer la mal gouvernance, les abus en tous genres, la corruption, le népotisme, les malversations, les droits des plus faibles bafoués, l’injustice…et le moins que l’on puisse dire, il est très populaire, soulève les foules partout où il passe, tant à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur; Ras Bath à lui seul a fait plus que toute l’opposition réunie serait-on tenté de dire, du moins avant l’ouverture de la campagne officielle, voilà un leader à la tête des CDR qui a réussi à forcer et créer sa place sur l’échiquier politique; l’absence de mobilisation, le vide laissé en termes de propositions concrètes et crédibles par l’opposition, l’inexistence d’un leadership affirmé qui suscite l’espoir, réenchante le rêve malien en perspective, ont favorisé l’émergence de ce jeune activiste au point qu’une bonne partie de la jeunesse en quête d’un désir d’avenir s’est créée un imaginaire collectif en se retrouvant en lui comme un guide. Le CDR avec son leader Ras Bath ont décidé d’apporter leur soutien au candidat Soumaïla Cissé depuis le jeudi 28 juin 2018.
Pour le bonheur du Mali, il serait souhaitable que l’élection présidentielle du 29 juillet 2018 ne soit pas un rendez-vous manqué, que le débat démocratique soit escamoté au profit des empoignades personnelles qui n’intéressent pas le peuple car l’essentiel est ailleurs :
Au-delà des prétendants dont les candidatures seront validées par le juge constitutionnel, il s’agit pour le peuple de réclamer, d’exiger un véritable projet de société, les moyens pour parvenir à sa mise en œuvre, la capacité des candidats à mener une campagne crédible car les maux sont trop profonds, les défis à relever très importants, le bateau Mali est en eaux troubles, le pays est un grand malade, oui, malade de l’insécurité liée au terrorisme et au grand banditisme, malade de son appareil éducatif, malade de son système sanitaire.
L’élection présidentielle n’est pas celle du maire d’une bourgade du fin fond du Mali, elle n’est pas non plus un foutoir où n’importe quel parvenu ou voleur de la République vient faire sa fiesta, NON, le Mali vaut mieux que cela, et l’heure est grave, les enjeux colossaux ressemblant aux douze travaux d’Hercule.
Gare à ceux qui voudraient vendre la peau de l’ours par anticipation, la surprise pourrait être au rendez-vous, le Président IBK n’a pas dit son dernier mot, la dispersion, voilà ce qui risque d’être préjudiciable pour l’opposition.
Quels plans de bataille?
Quelles stratégies de conquête du pouvoir et surtout quels projets de société pour cette opposition?
Une donnée à ne pas négliger dans cette élection présidentielle, en plus du socle électoral traditionnel, il faudrait prendre en compte le vote fluctuant, celui qui peut se décider aux abords du bureau de vote, la manipulation de l’électeur qui n’a aucune connaissance ou compréhension d’un projet de société d’un candidat, qui est dans la quête alimentaire est facile avec de l’argent, on ne saurait parler de cristallisation de ce vote qui peut se liquéfier rapidement, et l’on aurait tort de ne pas le prendre en compte.
Dans cette campagne électorale qui est déjà lancée avant l’heure, il s’agira également de stratégies de communication et pour un candidat, l’erreur serait de parler au cœur des citoyens en oubliant de s’adresser à leur tête, le peuple malien a une conscience liée à l’histoire et malgré les difficultés du moment, point de sentiments, de la réflexion collective et profonde, c’est de cela dont le Mali a besoin!
Pour le débat d’idées, demandons les programmes !
Heureusement -il faudrait l’espérer-que les slogans ne se limiteront pas à «BOUA KA BLA» BOUA DÈSÈRA, BOUA TA BLA, ANW KO BOUA, AN TÈ AN DA BÒ A LA, ANW SÒ NA, ANW BA FÈ KA GNÈDON…
Allons-nous assister pour une fois à un véritable exercice démocratique à travers l’organisation de débats qui englobent l’ensemble des sujets et problèmes de la société malienne:
Les problèmes sécuritaires (forces armées et de sécurité) ; l’économie
la création d’emploi, les investissements, l’éducation nationale, la santé, le développement durable, les défis environnementaux, l’énergie solaire ; la lutte contre la corruption, le népotisme, l’affairisme, l’enrichissement illicite?
2- De l’audace enfin !
Faites nous rêver, rendez possible le rêve de voir un Mali meilleur, réconcilié, uni dans sa diversité. Faites en sorte que nos espoirs ne se transforment en cauchemars encore une fois!
Puissions-nous rêver d’un Mali en sécurité, où le citoyen ne craint pas pour sa quiétude?
Oui de l’audace!
Qui en aura pour démanteler et démolir, les réseaux de corruption, les écuries de prédateurs fonciers, déraciner les pratiques néfastes au développement? Ils sont là les maux, solidement enracinés dans les pratiques et qui constituent autant de fléaux qui minent et gangrènent l’administration et toute la société d’une manière générale : corruption, népotisme, clientélisme, trafic d’influence, détournement de fonds publics, affairisme, absentéisme, médiocrité et impunité; Qui aura l’audace de déclarer la guerre à la délinquance financière, l’enrichissement illicite?
L’audace d’en finir avec la gouvernance par calculs personnels, par des expérimentations hasardeuses, la promotion d’un clan, de la famille;
Refonder et redonner à l’école de la République qui connaît une crise depuis une vingtaine d’années son lustre d’antan à travers des réformes structurelles et une formation accrue des formateurs. De ce point de vue, le retour de l’éducation civique et morale à l’école et une formation doublée d’un service civique national obligatoire seront salutaires;
– La réforme et la restructuration du marché céréalier afin de lutter contre la vie chère et pour l’autosuffisance alimentaire à travers des politiques incitatives pour les producteurs;
– Qui aura le Mali dans son cœur en mettant en œuvre les voies et moyens pour relever le niveau des formations et des prestations dans les structures hospitalières à travers une politique volontariste de coopération sanitaire ; tant que les populations seront atteintes fortement de paludisme, que les enfants meurent de diarrhées etc., les conditions d’un développement durable ne seront pas atteintes;
– Qui aura le flair de soutenir l’initiative privée à travers la création d’un fonds spécial d’investissement pour le secteur privé afin de favoriser la création d’entreprises et de richesses pour résorber et lutter efficacement contre le chômage des jeunes car les possibilités de l’état sont très limitées en matière d’emploi. Il y a le boom démographique à l’horizon 2030 et si rien n’est fait dès maintenant selon les experts, la situation n’en sera que plus catastrophique!
– Reprendre et développer le sport de masse et l’éducation physique et sportive au sein de l’école de la République et amplifier la construction d’infrastructures sportives.
– Entamer la réforme des institutions et le toilettage de la constitution afin de l’adapter aux exigences de notre société et de l’évolution psycho sociologique et démographique. De ce point de vue, il faut accroître et renforcer la politique de décentralisation au niveau des collectivités territoriales;
– Utiliser correctement les revenus importants des matières premières afin que nos ressources naturelles, minières ou pétrolières ne conduisent pas à une sorte de malédiction de ces ressources et rapportent des devises tout en apportant des recettes budgétaires qui puissent financer les projets industriels, l’éducation, la santé, les projets de PME, en un mot le développement;
– Promouvoir la protection de l’environnement à travers des politiques écologiques et le développement des énergies nouvelles et renouvelables afin de lutter contre la pollution dans les centres urbains, l’insalubrité dans nos quartiers la pollution de nos cours d’eau; de ce point de vue, la maitrise de l’énergie solaire résoudrait beaucoup le problème énergétique auquel notre pays est confronté chaque année. Il conviendra de lutter efficacement contre la déforestation et mener une politique dynamique de reboisement…
L’élection présidentielle de 2018 offre au peuple malien l’opportunité historique de renouer avec la démocratie afin de reprendre en mains son destin, et de mon point de vue, il ne faudrait pas se tromper d’objectif en essayant de focaliser le débat sur une question de vieille ou de jeune génération, il s’agit de construire une convergence dynamique pour créer les conditions d’une alternance possible et crédible autour d’un véritable projet de société, d’un homme, d’un groupe d’hommes pour mener à bien ce projet afin de créer l’espoir d’un avenir meilleur pour le peuple malien, et le concrétiser surtout.
Dans la gestion des affaires publiques, il n’y a pas de miracle qui tienne, seul le travail bien fait au service d’une réelle volonté politique serait salutaire pour le bien-être des populations; il nous reste à prier pour des élections apaisées, crédibles et transparentes pour un Mali de paix, de la diversité dans son unité, pour que vive la République!
Que nos espoirs transforment cauchemars Koulouba
Sory I Sakho
Source: L’Aube