Les violences intercommunautaires impliquant les chasseurs et agriculteurs dogons aux éleveurs peulhs au centre et au nord du Mali dans les cercles de Koro, Bankass, Douentza, Mopti et Bandiagara, courant juin et juillet 2018, ont fait déplacer plus d’une centaine de réfugiés dans les villages de Berma, Koulérou et de Tôrôkôtô dans la commune de Barani au Burkina Faso. Ce flux de réfugiés est en train de devenir un problème qui mérite une attention particulière. Nous nous sommes rendus dans les villages d’accueil le mardi 3 juillet 2018. Certains témoignages font froid dans le dos.
Il est 14 heures lorsque nous sommes arrivés dans le village de Berma situé à une trentaine de kilomètres de Barani et à 5 kilomètres du Mali. Après les salutations d’usage avec le président du Comité villageois de développement (CVD) et les conseillers du village, nous voici dans une concession de fortune. Elle abrite une quarantaine de réfugiés qui vivent dans les conditions des plus exécrables.
A notre arrivée, les cris des enfants et le silence interrogatoire des adultes nous font croire aux premières heures, à un deuil. Assis, dos au mur sur une natte de fortune, un long chapelet en main, des yeux rouges d’insomnie, Abdouramane Tall, est le tuteur de trois veuves et plus d’une trentaine d’orphelins composés des enfants des défunts et des talibés. Ce Tall est l’un des parents d’un marabout, Seydou Tall, froidement abattu par, dit-on, les chasseurs agriculteurs dogons dans des affrontements à Torelli au Mali.
Dans cette atmosphère empreinte de tristesse et de détresse, nous déclinons l’objet de notre présence. Soulagé visiblement par cette visite, Tall Abdouramane n’hésite à nous mettre en contact avec Salimata Diallo, la deuxième épouse du regretté marabout, Tall Seydou. Visage fermé, regard perdu avec des yeux embués de larmes, Salimata, une jeune femme de 20 ans, originaire de Ouahigouya, s’avance vers nous à pas lents comme si elle a envie de repartir en courant.
Le calvaire de Salimata et de ses compagnons d’infortune
C’est avec un cœur meurtri que la pauvre veuve nous raconte la terrible scène que la famille Tall a vécue. C’était le samedi 9 juin dernier, autour de 10h dans le village de Torelli. Selon elle, les familles peulhs ont reçu une visite impromptue d’une cohorte déferlante de chasseurs agriculteurs dogons armés de fusils, de machettes, de massues, de lances, d’arcs, de haches de gourdins et de marteaux. Leurs bourreaux sont arrivés lorsqu’elles, les femmes, étaient en train de piler du mil.
Selon son témoignage, ils, une quarantaine environ, tous à pieds et vêtus de leurs tenues dozos. D’après elle, certains des assaillants ont commencé à rassembler leurs animaux, d’autres sont rentrés manu militari dans leurs maisons où ils ont mis tout en sac ( les motos, les vélos, les habits, le mil, les ustensiles de cuisine, les objets de parures et divers biens matériels). Pour elle, ils ont tout pillé avant d’éventrer les maisons et des greniers. Tout a été démoli devant elles et leurs enfants.
A l’en croire, ils ont vécu cette scène inimaginable digne d’un film. Après leur forfaiture, les bourreaux ont enlevé le marabout Seydou Tall et Amadou Dicko et se sont dirigés à l’autre bout du village. Quelques-uns continuaient de fouiller leur concession. Apeurés et traumatisés, les enfants et les talibés disparurent dans la nature. Les femmes, elles, ont tenté de récupérer quelques vêtements pour habiller les enfants.
Par la grâce de Dieu, elles ont pu regrouper tous les enfants sous un arbre à un kilomètre de Torelli où elles nourrissaient l’espoir que leurs maris seront libérés d’un moment à l’autre. Mais peine perdue, autour de 14 heures, des tirs ont été entendus au fond du village. Elles ont su exactement que leurs maris avaient été froidement abattus.
Au même moment, tous les enfants ont commencé à pleurer. Pour sauver leur vie, les fuyards avaient une décision à prendre. Et ils ont décidé de rentrer au Burkina Faso à pieds. Pour ne pas se faire identifier comme des peulhs afin d’éviter d’éventuelles attaques, ils ont ôté leurs bracelets et leurs boucles d’oreilles. Les coiffures ont été défaites.
En cours de route, ils se nourrissaient de fruits et des feuilles sauvages. Les mendiants bifurquaient pour demander de quoi manger lorsqu’ils arrivaient dans un village. Le chemin était périlleux. Plusieurs fois, ils ont passé les nuits à la belle étoile. « Nous avons tout perdu jusqu’à notre dignité… », a conclu Salimata Diallo.
A sa suite, c’est la veuve de Amadou Dicko de témoigner. Kadidia Dicko, âgée de 25 ans a en charge 5 enfants et 5 talibés. Sa famille a été dépossédée de ses biens. Dans d’autres villages en dehors de ceux de nos interlocutrices, les chasseurs dogons auraient massacré les hommes et les bergers.
Seules les femmes et les jeunes filles étaient épargnées, mais les plus jeunes filles et femmes sont violées. Selon les deux femmes, l’objectif serait de faire disparaître leur communauté. Oumou Sangaré, la cinquantaine bien sonnée, est originaire de Wouyan dans le cercle de Djenné d’où ils ont été pourchassés par les chasseurs dogons. Dans leur fuite, Oumou et ses compagnons ont pu emporter par devers eux, les moutons et les chèvres. Les bœufs ont pu être convoyés à Barani.
Leur tuteur, Abdouramane Tall demande urgemment de l’aide pour convoyer certains membres des deux familles à Dori d’où est originaire Sadjo Dicko 30 ans qui est la deuxième veuve du défunt Amadou Dicko. Il en est de même pour Salimata Diallo qui doit rejoindre ses parents à Bidou dans le Yatenga. L’Imam de Berma interpelle l’Etat burkinabè à intercéder auprès des autorités maliennes pour mettre fin à la crise.
Autre lieu, presque le même discours
Après Berma, nous voilà dans le village de Tôrôkôtô, situé à quelques kilomètres de Berma et à 3km du Mali. Là, résident 34 autres réfugiés peulhs maliens. Mais, le conseiller Boukary Karambiri nous relève qu’il faisait tard et l’endroit où sont les réfugiés est inaccessible à cause des dernières pluies. Ils sont actuellement dans le champ du fils du chef du village de Tôrôkôtô.
Le village de Koulerou a accueilli aussi des réfugiés. L’un des réfugiés qui se nomme Ali Diallo, âgé de 60 ans a hébergé, sa famille dans la cour de Assane Sangaré, le petit frère du conseiller municipal Samborou Sangaré. Déjà, le vieux Diallo a employé ses deux enfants de douze ans chez un commerçant et un agriculteur pour avoir de quoi payer les vivres.
Nos interlocuteurs ont attiré l’attention des autorités afin qu’elles traitent avec diligence la situation des réfugiés. Le maire de Barani Hamidou Sidibé nous informe que dès les premiers instants de l’arrivée des réfugiés, les populations se sont mobilisées pour côtiser, pour réunir des vivres, apprêter des logements et des habits pour les soutenir dans les localités où ils sont accueillis. Ils ont été assistés par le conseil municipal.
Cependant, leur nombre grandit chaque jour à tel point que la mairie n’a pas assez de ressources pour les contenir. C’est pourquoi, il lance un appel pressant au gouvernement, aux ONG, aux mouvements associatifs et aux personnes de bonne volonté afin qu’ils volent à leurs secours avec des vivres, des vêtements, des moustiquaires, des couvertures, des ustensiles de cuisine, des médicaments et bien d’autres matériels. Ceux qui sont là ont été enregistrés par l’action sociale, mais des réfugiés affluents chaque jour. C’est le conseiller Karambiri qui a relaté le substrat des affrontements qui ont causé la fuite des populations.
Pour lui, des antécédents existaient entre les Peulhs et les Dogons et ce, depuis plusieurs dizaines d’années au Mali. Les Peulhs avaient vendu leurs terres aux Dogons pour payer les impôts de capitations avant d’aller à l’aventure pour le pâturage. De nos jours, avec la surpopulation, ils sont revenus pour tenter de récupérer leurs terres vendues aux Dogons. Ces derniers se sont soulevés contre eux. Cette crise intercommunautaire s’est aggravée par la montée du terrorisme.
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Source: L’Indicateur du Renouveau