Peuple du Mali,
Dimanche 29 juillet 2018, nous nous sommes rendus aux urnes pour procéder à l’élection du président de la République. L’enjeu était de taille compte tenu de la situation dans laquelle se trouve notre pays. Il n’échappe à personne que, depuis janvier 2012, particulièrement, depuis avril de la même année, le Mali traverse une crise qui le menace dans son existence en tant que Nation.
Une lueur d’espoir nous a illuminés, en 2013, à la suite de l’engagement multiforme de la CEDEAO qui a permis d’organiser l’élection présidentielle, de baliser l’horizon pour le cantonnement et le désarmement des mouvements armés, et pour entamer des négociations inclusives 60 jours après l’installation du nouveau gouvernement.
La flamme aurait dû être entretenue. Elle ne l’a pas été. La démesure dans le comportement et le manque de discernement y ont été pour quelque chose. Le 21 mai 2014, à la suite d’un acte téméraire que rien ne justifiait, nous perdions, de nouveau, le contrôle d’une bonne partie du territoire national. A partir de cette date, la déliquescence de l’Etat, entamée depuis mars 1991, eut, comme conséquences, le développement exponentiel de l’insécurité, les conflits intercommunautaires susceptibles de conduire à une guerre civile et ce, après que notre pays eut été mis, de facto, sous tutelle par la Communauté internationale.
Face à cette réalité, j’ai eu à déclarer, dès le mois de mars 2018, que l’essentiel, ce n’est pas l’élection présidentielle mais le sursaut national pour la constitution d’un large front national afin que, d’une seule voix, nous affirmions notre volonté de décider de nos affaires en pensant par nous-mêmes et pour nous-mêmes. Cependant, je n’excluais pas la possibilité de me porter candidat au cas où l’élection serait organisée.
Et l’élection a été maintenue. Durant la campagne électorale, je n’ai occulté aucun des thèmes traditionnels qui, en pareille circonstance, sont abordés et développés : la modernisation du secteur agro-pastoral, le développement des industries et des mines, des affaires et des infrastructures, la décentralisation, l’éducation et la santé, les couches sociales vulnérables, les relations avec l’extérieur.
Cependant, conséquent avec moi-même, je suis allé plus loin en choisissant comme slogan de campagne : « Restituer au Mali son honneur, sa dignité et sa souveraineté ». Pour ce faire, j’ai précisé ma vision en ces termes : « Pour un Mali souverain, libéré, unifié et sécurisé ». L’originalité du slogan, comme celle de la vision, n’échappe à personne car, pour moi, cette élection présidentielle était à nulle autre pareille. Pour cette raison, j’ai centré ma campagne sur cinq axes prioritaires dont, en particulier, la nécessaire refondation de l’Etat et la réhabilitation de l’outil de défense.
Le jour de l’élection, le 29 juillet, j’ai indiqué dans les médias, après m’être acquitté de mon devoir civique, que le président issu de cette consultation doit bénéficier du soutien, de l’union sacrée de toutes les forces politiques et sociales du pays et se considérer comme un président de transition pour redresser l’Etat malien.
Les résultats provisoires de la consultation du dimanche 29 juillet 2018 ont été proclamés le jeudi 2 août. Ils ont été confirmés, pour l’essentiel, par l’arrêt de la Cour constitutionnelle de ce jour, mercredi 8 août 2018.
Des dizaines de milliers de voix se sont portés sur mon nom. Je tiens à remercier, solennellement, celles et ceux des Maliennes et des Maliens, jeunes et moins jeunes, des villes et des campagnes, de l’intérieur comme de la diaspora, qui m’ont fait confiance en m’accordant leurs suffrages. Cependant, je leur dis, comme je dis à l’ensemble du peuple malien : la lutte continue.
En effet, comment la lutte ne continuerait-elle pas, au regard de ce qui s’est produit le dimanche 29 juillet, aussi bien à Bamako que sur toute l’étendue du territoire national ?
Ce qui s’est produit défie tout entendement si l’on sait que ceux-là qui ont eu la charge d’organiser le vote se réclament de la démocratie. Bon nombre de rapports d’observateurs ne développeront que le thème connu à l’avance : les élections se sont déroulées, pour l’essentiel, dans le calme.
Cependant, ce qu’il a été donné de constater jure avec toute pratique démocratique. Ce qu’il a été donné de constater, ce sont :
– au Nord du Mali, dans bon nombre de circonscriptions électorales, des électeurs empêchés de voter sous la menace des armes ;
– au Nord du Mali, dans bon nombre de circonscriptions électorales, des électeurs sommés de voter pour tel candidat, sous la menace des armes ;
– au Nord du Mali, dans bon nombre de circonscriptions électorales, des urnes enlevées, vidées de leur contenu pour être, par la suite, remplies avec les bulletins du même candidat ;
– au Nord du Mali, dans bon nombre de circonscriptions électorales, des éléments des Forces de Défense et de Sécurité et des responsables des mouvements armés, sommant les populations de voter pour tel candidat ;
– au Nord du Mali, dans bon nombre de circonscriptions électorales, à quelques jours des élections, la nomination par le gouvernement, de plusieurs responsables des mouvements armés non encore réintégrés à la tête de plusieurs circonscriptions administratives en qualité de préfets ou de présidents des autorités intérimaires, nomination ne tenant nullement compte des structures sociologiques des circonscriptions en question ;
– à destination du Nord du Mali, des milliers de tonnes de céréales sortis des magasins de l’Etat, depuis Bamako, sous le prétexte d’être distribués aux populations sinistrées à la veille des élections et le reste bradé sur place ;
– dans le Centre du Mali, des conflits intercommunautaires risquant de se transformer en guerre civile ont été instrumentalisés, creusant ainsi le fossé entre des composantes de la Nation que tout unissait jusqu’à une date récente ;
– au sud du Mali, à quelques jours des élections, plusieurs gouverneurs, préfets et sous-préfets, nommés sans que les circonscriptions qu’ils sont censés administrer n’aient encore été délimitées géographiquement ;
– au sud du Mali, dans bon nombre de circonscriptions administratives, la campagne agricole menacée parce que les semences et les engrais qui sont d’habitude distribués entre les mois d’avril et de juin, n’ont été disponibles qu’à la veille des élections si ce n’est le jour même de la consultation, entre le 28 et le 29 juillet ;
– au sud du Mali, des agents des Forces de Défense et de Sécurité en formation exemptés de leur mission régalienne pour aller battre campagne au profit d’un candidat, ignorant du coup les conséquences désastreuses de la politisation à outrance et de la corruption dans la désintégration récente de l’Armée et les défaites militaires de notre pays ;
– au sud du Mali, les employés et les retraités du chemin de fer, privés de leurs salaires et de leurs pensions depuis douze mois pour les uns et six mois pour les autres, voyant leurs arriérés payés juste à la veille du scrutin ;
– dans la capitale, une bonne partie du stock national de sécurité alimentaire sortie des magasins de l’Etat pour être bradée ou injectée dans le circuit de la corruption du vote ;
– sur toute l’étendue du territoire national, la fraude ne se dissimulant pas, se manifestant à travers l’achat des consciences et, quand cela ne suffisait pas, le bourrage des urnes.
Outre ces constats, des questions se posent :
Comment se fait-il qu’un régime qui a failli à sa mission régalienne d’assurer la sécurité des personnes et de leurs biens, puisse être de nouveau, avec un tel score, « mis en orbite » par le peuple malien ?
Comment se fait-il que, dans les régions de Tombouctou, Gao, Kidal, Taoudénit et Ménaka, vidées d’une bonne partie de leurs populations à la suite des rébellions et de l’insécurité, l’on puisse décompter le nombre de votants qui leur a été attribué ?
Surtout, comment se fait-il que les populations qui ont eu le plus à souffrir du déficit de l’Etat aient pu voter en masse pour cet Etat défaillant ?
Assurément, une certitude : l’élection présidentielle du dimanche 29 juillet n’a réuni aucune condition d’honnêteté, d’équité ni de transparence. Tout se passe, au vu des résultats des localités du Nord et du Centre, comme si la rébellion et l’insécurité auraient été mises à profit pour se livrer à un tripatouillage rarement égalé afin d’imposer aux Maliens un pouvoir qui a largement failli à sa mission.
Ainsi donc, les privations de tout genre, l’extrême pauvreté, la faim, l’analphabétisme, l’insécurité et la rébellion au Nord ont été utilisées de façon inconsidérée pour acheter et détourner le vote des Maliens ; en un mot, pour corrompre ce vote.
C’est le lieu de rappeler que la démocratie a pour fondement la vertu, que la corruption déstabilise la nation comme l’a si bien indiqué un sage chinois, il y a de cela plusieurs siècles :
« Si vous voulez détruire un pays, inutile de lui faire une guerre sanglante qui pourrait durer des décennies et coûter cher en vies humaines. Il suffit de détruire son système d’éducation et d’y généraliser la corruption. Ensuite, il faut attendre vingt ans et vous aurez un pays constitué d’ignorants et dirigé par des voleurs. Il vous sera très facile de les vaincre. »
C’est visiblement le triste sort qu’une certaine élite, sous le couvert de la démocratie, a décidé, depuis 1991, de réserver au peuple malien. Voilà qui explique largement l’effondrement de l’Etat malien en 2012-2013 ; triste sort que je refuse de cautionner.
Or, il est deux certitudes : notre système éducatif est désarticulé et la corruption généralisée a été étalée au grand jour à la faveur de cette élection. Il s’agit de remédier à ces deux fléaux, et au plus pressé. Les résultats qui nous sont servis au terme de cette consultation électorale n’autorisent nul espoir.
Pour toutes ces raisons, je déclare ne pas me reconnaître dans les résultats proclamés les jeudi 2 août et mercredi 8 août 2018.
Peuple du Mali,
Tu aspires au changement. Tu veux que ton honneur, ta dignité et ta souveraineté te soient restitués.
Déclaration du candidat : Choguel Kokalla Maïga
Par conséquent, RESISTE !
Bamako, le 8 août 2018
Choguel Kokalla Maïga, candidat à l’élection présidentielle.
Source: Le Républicain